Le Conseil d’État vient de refuser d’admettre le pourvoi formé dans l’affaire « Groupe Lucien Barrière », dans le cadre de laquelle la CAA de Versailles avait écarté l’imputation des pertes relatives à une filiale européenne belge en liquidation sur le résultat d’ensemble du groupe intégré français (CAA Versailles, 23 juin 2020, n°19VE01012).
Rappel
À la suite de la liquidation de sa filiale belge le 31 janvier 2012, une société membre d’un groupe fiscalement intégré a imputé sur son résultat 2012 les pertes fiscales cumulées de sa filiale belge sur le fondement de la jurisprudence « Marks & Spencer » (CJCE, 13 décembre 2005, aff. 446/03, Marks & Spencer).
Cette imputation a été remise en cause par l’Administration.
Si les juges de 1re instance ont fait droit à la demande de la société, la CAA de Versailles a retenu une analyse différente, en s’appuyant sur les récentes précisions apportées par la CJUE dans sa décision Holmen AB (CJUE, 19 juin 2019, aff. 608/17 et Memira affaire C‑607/17).
Rappelons que dans ce cadre, la CJUE a jugé que des pertes ne sauraient être qualifiées de « définitives » s’il reste possible de les faire valoir économiquement en les transférant à un tiers avant la clôture de la liquidation (par exemple, via la cession de cette filiale pour un prix intégrant la valeur de l’avantage fiscal que représente la future déductibilité des pertes).
Déclinant cette grille d’analyse au cas d’espèce, la CAA de Versailles a considéré qu’en l’absence de démonstration du caractère « définitif » des pertes subies par la filiale belge, qui ne présentaient pas intrinsèquement cette nature, leur imputation sur le résultat d’ensemble du groupe intégré français n’était pas possible (CAA Versailles, 23 juin 2020, n°19VE01012, Groupe Lucien Barrière).
Elle a, en outre, précisé que le caractère définitif des pertes ne saurait se déduire de la seule liquidation de la filiale non-résidente, dès lors que l’imputation de ces pertes sur un résultat imposable dans l’État de résidence demeure possible, notamment dans le cadre du transfert à un tiers assujetti à l’impôt dans ce même État avant la clôture de la liquidation.
La société requérante a formé un pourvoi devant le Conseil d’État.
La décision de non-admission
Le Conseil d’État a refusé d’admettre ce pourvoi, considérant qu’aucun des moyens soulevés par la société n’était de nature à en permettre l’admission.
Dans ses conclusions, le rapporteur public militait en faveur de l’admission du pourvoi et, surtout, incitait le Conseil d’État à adresser une question préjudicielle à la CJUE sur la transposabilité de sa jurisprudence Marks & Spencer au régime français et sur la notion de « pertes définitives d’une loi fiscale étrangère limitant l’utilisation des pertes en cas de cession » et la date d’appréciation de cette condition.
Compte-tenu de la difficile lisibilité de la grille d’analyse dégagée par la CJUE et des positions divergentes retenues par les juridictions du fond (pour une toute récente illustration, voir les décisions du TA de Montreuil 11 février 2021, n°1808706, Plastic Omnium – admission du caractère définitif des pertes de la filiale étrangère – 11 février 2021, n°1804038, Sté Générale – refus), il est permis de déplorer que le Conseil d’État n’ait pas fait suite à cette invitation.
- Voir CE, 7 octobre 2021, n°443126, Groupe Lucien Barrière