La CJUE vient de rendre sa décision dans l’affaire Euro Park Service et considère que l’agrément préalable prévu à l’article 210 C, 2 du CGI est contraire à la Directive fusions ainsi qu’à la liberté d’établissement. On notera qu’elle a suivi pour l’essentiel son Avocat général, Melchior Wathelet.
Pour mémoire, le Conseil d’Etat avait renvoyé à la CJUE deux questions préjudicielles portant sur la compatibilité avec le droit de l’UE de la procédure d’agrément préalable prévue en cas d’apports faits à des personnes morales étrangères par des personnes morales françaises. En l’espèce, l’affaire concernait une dissolution sans liquidation d’une société française au profit de son associé unique luxembourgeois.
- La clause anti-abus de la Directive fusions (aujourd’hui codifiée à son article 15), permettant aux Etats membres de refuser le bénéfice du régime de faveur qu’elle prévoit aux opérations ayant comme objectif principal la fraude ou l’évasion fiscales, doit-elle être interprétée comme faisant écran à un examen de l’euro-compatibilité au regard de la liberté d’établissement des règles de droit interne mettant en oeuvre cette faculté ? Non !
La CJUE considère que la réserve de compétence accordée aux Etats membres par la Directive fusions ne constituant pas une mesure d’harmonisation exhaustive à l’échelle européenne des mesures relatives à la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales, un examen de l’euro-compatibilité au regard de la liberté d’établissement des règles de droit interne mettant en oeuvre cette faculté (clause anti-abus de droit interne codifiée à l’article 210 C, 2) est possible.
- Si tel n’est pas le cas, les dispositions de l’article 210 C sont-elles effectivement compatibles avec le principe de liberté d’établissement dans l’Union (TFUE, art. 49) ? Non !
La Cour examine, en premier lieu si la clause anti-abus de droit interne est conforme à la Directive fusions avant d’examiner le respect de la liberté d’établissement.
Non-conformité à la Directive fusions de la procédure d’agrément préalable
Sur la procédure préalable elle-même
En l’absence de réglementation de l’UE, les EM ont une autonomie procédurale, pour autant qu’ils respectent un principe d’équivalence (modalités qui ne sont pas moins favorables que celles applicables à la situation similaire interne), et un principe d’effectivité (notamment, exigence de sécurité juridique).
Si l’examen du respect du principe d’équivalence est laissé au juge national (Conseil d’Etat), la CJUE considère que celui d’effectivité n’est en l’espèce pas satisfait. En effet, les modalités procédurales prévues par la France ne sont pas suffisamment précises, claires et prévisibles pour permettre aux contribuables de connaître avec exactitude leurs droits, afin de s’assurer qu’ils seront en mesure de bénéficier des avantages fiscaux découlant de la Directive. La Cour relève, à cet égard, que la législation française ne précise pas les modalités d’application de la procédure préalable, d’autant que certaines sont susceptibles d’être modifiées au gré de l’Administration. On notera que le Gouvernement français s’est vainement prévalu de la pratique appliquée par l’administration fiscale (seule la condition de l’existence d’un motif économique serait en réalité exigée, caractère non suspensif de l’opération, cf. § 41). La Cour a également critiqué le principe de la décision implicite de refus passé un délai de quatre mois sans réponse, qui ne permet pas à la société de connaître le bien fondé des motifs de rejet (§ 45).
Sur les conditions requises aux fins de l’obtention des avantages fiscaux prévus par la Directive
La Cour juge, en substance, que la législation française est contraire à la Directive. Alors que celle-ci pose comme principe le bénéfice du sursis de l’imposition des plus-values afférentes aux biens apportés et n’en permet le refus qu’à une seule condition, à savoir uniquement lorsque l’opération envisagée a pour objectif principal ou un de ses objectifs principaux la fraude ou l’évasion fiscales, la législation française retient la logique inverse. Elle refuse de manière générale d’accorder ce bénéfice, à moins que le contribuable ne remplisse d’abord les exigences formelles et matérielles prévues par l’article 210 C (§ 50).
Elle étend ainsi le champ d’application de la réserve des Etats membres (§ 51).
On relèvera tout particulièrement que la Cour prend soin de préciser, qu’en exigeant que les modalités de l’opération permettent d’assurer l’imposition future des plus-values mises en sursis, la France pose une condition non prévue par la Directive et qui de surcroit, ne peut être justifiée par la lutte contre la fraude fiscale, déjà prévue par la deuxième condition de l’article 210 C (§ 52).
En outre, la présomption de fraude ou d’évasion fiscales ne peut jouer qu’en l’absence de motifs économiques valables, et seulement dans ce cas (§ 53).
En tout état de cause, la Cour rappelle qu’il est interdit d’instaurer une présomption générale de fraude (§ 54 et suivants). Or, la disposition française exige de façon systématique et inconditionnelle de démontrer que l’opération est justifiée par un motif économique et qu’elle n’a pas comme objectif principal la fraude, sans que l’Administration n’ait à fournir « ne serait-ce qu’un commencement de preuve de l’absence de motifs économiques valables ou d’indices de fraude » (§ 56).
Non-conformité à la liberté d’établissement de la procédure d’agrément préalable exigée seulement en cas d’apport à une société étrangère
La Cour confirme sans surprise l’existence d’une restriction à la liberté d’établissement, la procédure d’agrément n’étant exigée qu’en présence d’apports à une société établie dans un autre Etat membre. L’examen de la justification tenant à la lutte contre la fraude fiscale achoppe sur le point du principe de proportionnalité de la mesure. La même analyse que celle faite dans le cadre juridique de la Directive fusions peut être retenue à cet égard (§ 58 à 70).
Cette décision confirme les doutes sur la validité de certaines conditions de fond exigées, en pratique, depuis plusieurs années par le bureau des agréments. On attendra avec intérêt la décision du Conseil d’Etat dans cette affaire, pour apprécier la portée des aménagements dont le régime des agréments devra faire l’objet.
L’avis du praticien
Avec cette décision, s’ouvre une période d’incertitude forte pour les groupes qui envisageaient des restructurations à très court terme. Si le principe de la procédure d’agrément était maintenu, il est probable que ses nouvelles modalités ne seraient pas votées par le législateur avant l’automne. Les groupes ne seront donc pas en mesure d’apprécier la portée des aménagements dont le régime actuel des agréments devrait faire l’objet.
– Mathieu Gautier, Avocat Assoié