Intégration fiscale : Pas d’extension de la jurisprudence Stéria aux dividendes en provenance de sociétés non-UE

Dans 2 décisions rendues le même jour, la CAA de Versailles refuse d’étendre la jurisprudence Stéria aux distributions de dividendes provenant de sociétés établies en dehors de l’UE et apporte des précisions sur les dividendes reçus de sociétés européennes.

Rappel

Pour mémoire, les produits de participation qui ouvrent droit au régime dit « mère-fille » sont exclus du résultat imposable de la société bénéficiaire desdits produits, à l’exception d’une QPFC de 5 % du montant total des produits des participations (CGI, art. 216 et 145).

Pour les exercices ouverts avant le 1er janvier 2016, cette QPFC de 5% était neutralisée au titre des dividendes versés entre sociétés intégrées. Puis, la CJUE a jugé contraire à la liberté d’établissement la législation française selon laquelle les produits de participation reçus de filiales établies dans d’autres États membres ne pouvaient pas bénéficier de ce mécanisme de neutralisation (CJUE, 2 septembre 2015, aff. C-386/14, Groupe Stéria SCA).

Dès lors, pour les exercices ouverts depuis le 1er janvier 2016, la QPFC – désormais ramenée à 1 % – est applicable (i) aux produits de participations versés au sein d’un groupe d’intégration fiscale ainsi que (ii) pour les distributions perçues par une société membre du groupe fiscal, et versées par une société établie dans un autre État de l’UE ou de l’EEE ayant conclu avec la France une convention d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales qui, si elle était établie en France, remplirait les conditions pour être membre de ce groupe, en application des articles 223 A ou 223 A bis du CGI, à l’exception de la condition tenant à l’assujettissement à l’IS en France (LFR 2015, tirant les conséquences en droit français de la décision Stéria précitée).

Par ailleurs, pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2019, le taux de 1 % s’applique également, sous certaines conditions, à ces mêmes filiales établies dans un autre État de l’UE ou de l’EEE lorsqu’une société mère ne dispose pas, en France, de filiales éligibles au régime de l’intégration fiscale (LF 2019).

Dans 2 décisions rendues le même jour, la CAA de Versailles rejette une nouvelle fois toute approche extensive de la jurisprudence Stéria.

Les affaires

Dans ces 2 affaires, au titre d’exercices clos antérieurement à 2016, des sociétés françaises membres de groupes intégrés ont perçu des dividendes placés sous le régime des sociétés mères, de leurs filiales établies en dehors de l’UE.

Dans la 2e affaire, les sociétés françaises ont également perçu des dividendes provenant de filiales établies dans des États membres de l’UE ne remplissant pas toutes les conditions d’éligibilité au régime mère-fille ou éligibles au régime mère fille mais ne remplissant pas toutes les conditions d’éligibilité au régime de l’intégration fiscale (durée d’exercice non identique).

Conformément aux règles en vigueur, les dividendes provenant de sociétés établies dans des pays tiers et éligibles au régime mère-fille ont été soumis à l’impôt à hauteur d’une QPFC de 5 %, tandis que ceux provenant de sociétés établies dans des pays membres de l’UE mais non éligibles au régime mère-fille ont été pleinement imposés.

Les sociétés têtes de groupes ont ensuite réclamé le remboursement de l’impôt acquitté au titre de la réintégration de la QPFC de 5 % issue des dividendes de source non EU, perçus de sociétés qui auraient été « intégrables » si elles étaient établies en France, ainsi qu’au titre des dividendes de source EU mais non éligibles au régime mère-fille.

Dans les deux affaires, le TA de Montreuil n’a pas été convaincu par les arguments développés par les sociétés.

Les décisions de la CAA de Versailles

Sur la neutralisation de la QPFC relative aux dividendes reçus de filiales implantées dans des États tiers

Selon les sociétés, l’absence de neutralisation de la QPFC au titre des dividendes reçus de sociétés non EU :

  1. Constituerait une discrimination contraire au droit au respect des biens ( 1er du protocole additionnel Convention EDH et art. 14 Convention EDH) ;
  2. Serait incompatible avec la Directive mère-fille et le principe d’égalité (articles 20 et 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE) et génèrerait une discrimination par ricochet incompatible avec la libre circulation des capitaux (article 63 du TFUE).

 

Quant à la discrimination contraire au droit au respect des biens :

Dans un premier temps, la CAA relève qu’en réservant le bénéfice de la neutralisation de la QPFC (CGI, art. 223 B) aux groupes fiscalement intégrés, le législateur a entendu inciter à la constitution de groupes nationaux, soumis à des conditions particulières de détention caractérisant leur degré d’intégration et a ainsi poursuivi un objectif d’intérêt général de nature à justifier la différence de traitement (voir en ce sens, Conseil constitutionnel, 13 avril 2018, n°2018-699 QPC, Life Sciences Holdings).

Dans un second temps, elle rappelle que l’extension du dispositif de neutralisation de la QPFC opérée par la décision Stéria précitée aux dividendes perçus de filiales établies dans un État membre de l’UE trouve son origine dans le respect du principe de liberté d’établissement (TFUE, art. 49).

Elle considère néanmoins que le respect de ces exigences européennes, qui constitue un objectif d’intérêt public légitime, est de nature à justifier une différence de traitement entre des situations « au demeurant comparables » – sociétés UE vs. sociétés non-UE.

Dans ces conditions, elle estime que l’exclusion du bénéfice de la neutralisation des QPFC afférentes aux dividendes provenant de filiales établies dans des États tiers, ainsi que la différence de traitement en résultant, répond à une justification objective et raisonnable (proportionnalité entre les moyens employés et les buts poursuivis).

La Cour en conclut que l’absence de neutralisation de la réintégration de la QPFC au titre des dividendes reçus de filiales implantées dans des États tiers ne constitue pas une discrimination contraire au droit au respect des biens (art. 1er du protocole additionnel Convention EDH et art. 14 Convention EDH).

Quant à la différence de traitement incompatible avec la Directive mère-fille :

La Cour relève que la Directive mère-fille du 30 novembre 2011 ne s’oppose pas à ce que les États membres mettent en œuvre un dispositif de réintégration de la QPFC, tout en en excluant, par un mécanisme de neutralisation, les participations de sociétés formant un groupe d’intégration fiscale dès lors qu’il traite pareillement les participations françaises et étrangères. La Cour juge ainsi que les règles françaises (CGI, art. 216 et 223 B) sont dans le champ de ces dispositions et n’instaurent aucune différence de traitement entre les sociétés françaises et européennes détenues à plus de 95 %.

La Cour rappelle une seconde fois que l’extension du dispositif de neutralisation de la QPFC opérée par la décision Stéria aux sociétés européennes « intégrables », est justifiée par le respect du principe européen de liberté d’établissement, cette extension n’ayant pas par ailleurs pour effet de remettre en cause son objectif initial, qui le réserve aux sociétés membres d’une intégration fiscale. Elle juge en conséquence que la différence de traitement qui en découle est « en rapport avec l’objectif légalement admissible ainsi poursuivi et est proportionnée à cet objectif ».

Elle écarte également l’argument tiré de la liberté de circulation des capitaux prévue à l’article 63 du TFUE.

Sur la neutralisation des dividendes non-éligibles au régime mère-fille et provenant de filiales « intégrables » établies dans l’UE

Une des sociétés demandait à bénéficier de la neutralisation des dividendes non-éligibles au régime mère-fille et provenant d’une filiale « intégrable » établie dans l’UE en revendiquant la neutralisation applicable aux dividendes non éligibles au régime mère-fille reçus de sociétés françaises membres de l’intégration fiscale (article 223 B al.3 du CGI dans sa version applicable à l’époque des faits).

L’argument tiré de l’incompatibilité avec la liberté d’établissement énoncée aux articles 49 et 54 du TFUE est toutefois écarté par la Cour (2nd affaire).

Sur la neutralisation de la QPFC relative aux dividendes reçus de filiales européennes mais ne remplissant pas toutes les conditions pour être membres de l’intégration

La CAA juge en outre que la société requérante ne peut solliciter le bénéfice de la neutralisation de la QPFC au titre des dividendes reçus d’une société établie dans un autre État membre de l’UE dès lors que la condition tenant à l’identité des exercices n’était pas remplie (CGI, art. 223 A), la différence de traitement avec une société ‘intégrable’ est justifiée.

Il conviendra de suivre la position du Conseil d’État en cas de pourvoi de l’une ou des 2 société(s) en cause.

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Alice de Massiac

Alice a développé depuis plus de 20 ans une large expertise en accompagnant de grands groupes en France et à l’international, tant en conseil qu’en contentieux, anticipant les impacts dans […]

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Myriam Mouloudj

Myriam, Avocate, possède une expérience de près de 15 ans en fiscalité. Arrivée chez Deloitte Société d’Avocats en 2006, elle réintègre le cabinet en 2019 pour rejoindre le Comité Scientifique […]