La Commission européenne vient de dévoiler le 11 mai sa proposition de Directive dite « DEBRA » (Debt-equity bias reduction allowance), visant à encourager les entreprises à financer leurs investissements par des apports en fonds propres, au lieu de recourir à des emprunts.
La proposition prévoit l’introduction de 2 nouveaux dispositifs : un nouveau mécanisme d’intérêts notionnels (1), ainsi qu’une nouvelle limitation à la déduction des intérêts financiers (2).
Champ d’application (art. 2)
La Directive s’appliquerait à toutes les entités soumises à l’IS dans un ou plusieurs Etats membres – y compris aux établissements stables localisés en Europe de sociétés sises dans des Etats tiers.
Un certain nombre d’exclusions spécifiques sont toutefois prévues en faveur notamment des établissements de crédit, des entreprises d’investissement, des gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs, des sociétés de gestion, des entreprises d’assurance et de réassurance, des institutions financières, des fournisseurs de services de crowdfunding ou de cryptoactifs, etc. (liste exhaustive fournie par l’article 2 de la proposition de Directive).
Le mécanisme d’intérêts notionnels proposé (art. 4)
Economie générale du dispositif
L’idée est de permettre la déduction, au titre de 10 exercices consécutifs, d’intérêts notionnels, dans la limite de 30% de l’EBITDA de l’entreprise.
Calcul des intérêts notionnels
Les intérêts notionnels seraient calculés à partir de la différence entre le montant des fonds propres ‘nets’ de l’entreprise à la clôture de l’exercice et à l’ouverture de l’exercice.
Les fonds propres ‘nets’ retenus sont égaux aux fonds propres de l’entreprise (somme du capital souscrit, des primes d’émission, des réserves de réévaluation, des réserves et reports à nouveau) minorés de la valeur fiscale des participations que l’entreprise détient dans des entreprises associées ainsi que de la valeur fiscale de ses propres titres.
On appliquerait ensuite à cette assiette un risk-free interest rate à 10 ans selon la monnaie augmenté d’une prime de risque de 1% (prime de risque de 1,5% s’il s’agit d’une PME au sens du droit européen). Ce dernier taux pourra être modulé, ultérieurement et sous conditions, par la Commission européenne.
Si l’assiette de déduction devient négative au titre d’un ou plusieurs exercices (baisse des fonds propres ‘nets’), alors les intérêts notionnels déduits devront être reversés, à moins que l’entreprise ne soit en mesure d’établir que cette baisse résulte de pertes comptables, ou bien d’une obligation légale de réduire son capital.
Report
Si, au titre d’un exercice, ces intérêts notionnels excèdent le résultat net imposable de l’entreprise, le reliquat devrait pouvoir être reporté sans limitation temporelle au titre des exercices suivants.
Si ces intérêts notionnels excèdent 30% de l’EBITDA de l’entreprise, le reliquat devrait pouvoir être reporté dans la limite de 5 exercices.
Règles anti-abus (art. 5)
Opérations exclues (art 5§1)
Il est prévu que les Etats membres devront prendre les mesures nécessaires afin que les capitaux propres pris en considération n’incluent pas les augmentations qui résulteraient de :
- Prêts accordés par une entreprise liée ;
- Transfert de titres de participation ou de fonds de commerce entre entreprises liées ;
- Apport en numéraire d’une personne résidente fiscale d’une juridiction qui n’échange pas les informations avec l’Etat membre dans lequel le contribuable entend bénéficier d’une déduction relative aux fonds propres.
Clause de sauvegarde : sauf à ce que le contribuable apporte la preuve que ces opérations ont été réalisées pour des raisons commerciales valables et ne génèrent pas une double déduction basée sur les fonds propres visés.
Actifs pris en compte et valorisation (art. 5§2)
Lorsque l’augmentation des fonds propres résulte d’un apport en nature ou d’un investissement dans un actif, les Etats membres devront prendre les mesures appropriées pour s’assurer que la valeur de l’actif est prise en compte dans le calcul des fonds propres seulement lorsque l’actif est nécessaire à l’activité génératrice de revenus du contribuable.
Si les actifs sont des actions, elles doivent être prises en compte à leur valeur comptable.
Si les actifs ne sont pas des actions, ils doivent être pris en compte à leur valeur de marché, à moins qu’une valeur différente ait été certifiée par un commissaire aux comptes.
Réorganisation de groupe (art. 5§3)
Lorsque l’augmentation des fonds propres résulte d’une réorganisation de groupe, cette augmentation doit être prise en compte dans les fonds propres que si elle ne résulte pas d’une conversion, en nouveaux fonds propres, de fonds propres/partie de fonds propres qui existaient déjà dans le groupe avant la réorganisation (en conformité avec l’article 4).
Limitation de la déduction des intérêts (art. 6)
La déduction de l’intérêt notionnel sur les accroissements de fonds propres nets s’accompagne d’une réduction de la déductibilité des charges financières nettes. Dans ce cadre, les Etats membres devront s’assurer que le contribuable ne peut pas déduire plus de 85% des charges financières nettes.
Ainsi, le contribuable devra déterminer sur la base des règles ATAD1 en vigueur (Directive ATAD1 n°2016/116435) la déductibilité de ses charges financières nettes :
- Si le montant non déductible est supérieur à 15% des charges financières nettes, alors l’excédent non déductible au-delà de 15% doit être reportée en avant ou en arrière conformément aux règles ATAD1 ;
- Si le montant non déductible est inférieur à 15%, alors la déduction des charges financières nettes est plafonnée à 85%.
Ces dispositions s’appliqueront aux charges financières nettes encourues à compter de l’entrée en vigueur de la Directive DEBRA.
Suivi (art. 7)
Dans les 3 mois de la fin de chaque exercice fiscal, chaque Etat membre doit communiquer un certain nombre d’informations à la Commission (e.g. nombre de contribuable qui ont bénéficié du dispositif, montant total des surcoûts d’emprunt, montant total des surcoûts d’emprunt non-déduits, nombre de contribuables qui ont fait l’objet de l’application des mesures anti-abus prévues par la Directive DEBRA et les conséquences/sanctions correspondantes etc…)
Reporting (art. 8)
La Commission devra présenter un rapport au Parlement européen et au Conseil de l’UE sur la mise en œuvre de la Directive DEBRA avant le 31 décembre 2027, qui sera publié sur son site Internet.
Transposition (art. 11)
Les Etats membres devraient assurer la transposition de la Directive d’ici le 31 décembre 2023, pour une application à compter du 1er janvier 2024.
Il est par ailleurs prévu que les Etats qui disposeraient d’ores et déjà de mécanismes d’intérêts notionnels (i.e. Belgique, Portugal, Pologne, Chypre, Malte et Italie) pourraient accorder aux entreprises qui en bénéficient au 1er janvier 2024 un report de l’application des dispositions de la Directive, de 10 ans maximum.
Précisons que le texte de la proposition de Directive est encore susceptible d’être modifié, et qu’elle requiert, à ce stade en tous cas, l’unanimité des Etats membres de l’Union européenne.