Dans un arrêt Société Lefebvre Petrenko du 12 décembre 2023 mentionné dans les tables du recueil Lebon (CE, 9e – 10e chambre réunies, 12 décembre 2023, n°466239, Sté Lefebvre Petrenko), le Conseil d’État est venu préciser, s’agissant du régime de la marge applicable aux ventes d’objets d’art et de collection, que la circonstance qu’un assujetti revendeur ne dispose pas d’une facture d’achat comportant les mentions obligatoires prévues par l’article 242 nonies A de l’annexe II du CGI ne fait pas obstacle à ce qu’il puisse faire application, lors de la revente, du régime de la TVA sur marge s’il établit que les conditions de fond prévues par l’article 297 A du même code sont satisfaites.
Quelles sont les règles applicables en la matière ?
Pour rappel, l’article 297 A du CGI dispose que « la base d’imposition des livraisons par un assujetti-revendeur de biens d’occasion, d’œuvres d’art, d’objets de collection ou d’antiquité qui lui ont été livrés par un non redevable de la TVA ou par une personne qui n’est pas autorisée à facturer de la TVA au titre de cette livraison est constituée de la différence entre le prix de vente et le prix d’achat ».
L’article 242 nonies A de l’annexe II du CGI dispose, quant à lui, que : « I. – Les mentions obligatoires qui doivent figurer sur les factures en application du II de l’article 289 du code général des impôts sont les suivantes : / (…) / 16° En cas d’application du régime prévu par l’article 297 A du code précité, la mention » Régime particulier-Biens d’occasion « , » Régime particulier-Objets d’art » ou » Régime particulier-Objets de collection et d’antiquité » selon l’opération considérée (…) ».
Quels étaient les faits de l’espèce ?
Dans l’affaire qui était soumise au Conseil d’État, un assujetti revendeur d’objets d’art et de collection avait appliqué le régime particulier de la TVA sur marge prévu à l’article 297 A du CGI au titre de ventes d’objets acquis auprès d’un assujetti revendeur.
Or, l’application de ce régime avait été remise en cause par l’administration fiscale au motif que les factures d’achat ne comportaient pas toutes les mentions obligatoires, notamment celle prescrite par le 16° de l’article 242 nonies A de l’annexe II au CGI.
Quel est l’apport de cet arrêt ?
Comme indiqué précédemment, le Conseil d’État a jugé que, dès lors que les conditions de fond étaient réunies, la détention, par un assujetti revendeur, de factures d’achats ne comportant pas l’ensemble des mentions obligatoires ne pouvait en aucun cas justifier la remise en cause de ce régime de marge.
Cet arrêt fait écho à des décisions rendues par le juge communautaire, dans lesquelles ce dernier a jugé qu’en matière de droit à déduction, « le principe fondamental de neutralité de la TVA exige que la déduction de celle-ci en amont soit accordée si les conditions matérielles sont satisfaites, même si certaines conditions formelles ont été omises par les assujettis. […] L’application stricte de l’exigence formelle de produire des factures se heurterait aux principes de neutralité de proportionnalité, en ce qu’elle aurait pour effet d’empêcher de manière disproportionnée l’assujetti de bénéficier de la neutralité fiscale afférente à ses opérations » (Barlis 06 – Investimentos Imobiliários e Turísticos SA du 15 septembre 2016, C-516/14 ; Lucreţiu Hadrian Vădan c/ Agentia Nationala de Administrare Fiscala – Directia Generala de Solutionare a Contestatiilor du 21 novembre 2018, aff. 664/16).
Ce principe du fond l’emportant sur la forme avait récemment été repris, en matière de droit à déduction, par le Conseil d’État (CE, 15 juin 2023, n°460576, Sté Groupe TSF).
Avec cette décision, le Conseil d’État vient donc étendre la portée de ce principe, en l’appliquant au régime spécifique de TVA sur marge prévu à l’article 297 A du CGI.