Les conditions d’exercice du « droit de retrait litigieux » par la caution dans le cadre de la cession d’un portefeuille de créances précisées par la Cour de cassation

Rappel du mécanisme du « droit de retrait litigieux » à l’aune des cessions de créances en bloc (exemple de l’affacturage)

Le droit de retrait litigieux est un mécanisme ancien, prévu, depuis l’origine du code, par les articles 1699 à 1701 du Code civil. Pothier affirmait que le retrait litigieux est le moyen offert au débiteur de contrer « l’odieux acheteur de procès » (Pothier, La vente, n° 598).

En effet, ce mécanisme permet à un débiteur (le « débiteur cédé »), dont la créance est cédée par son créancier (le « cédant ») à un tiers (le « cessionnaire »), d’éteindre sa créance en payant directement auprès du cessionnaire le prix que ce dernier a payé pour acquérir cette créance dans le cas où ladite créance est litigieuse.

En d’autres termes, l’acheteur de la créance paye un prix inférieur à son montant car il y a un risque de non-exécution par le débiteur, le rabais pouvant aller jusqu’à 90 % de la créance ; cet acheteur utilisera ensuite tous les moyens de droit pour obtenir le recouvrement de la créance (et donc 100 % du montant dû). Ainsi comprend-t-on que le cessionnaire achète « un procès », au moyen duquel il anticipe un potentiel profit (spéculant que le montant recouvré sera supérieur au prix payé et aux frais de recouvrement, généralement supporté par le débiteur).

La cession de créances en bloc (c’est-à-dire la cession d’un ensemble de créances pour un prix global et forfaitaire déterminé entre le cédant et le cessionnaire) peut être illustrée par le système de l’affacturage

Ce mécanisme permet aux sociétés d’accroître leur trésorerie en cédant des factures en attente de règlement (et souvent litigieuses) à une société d’affacturage (« affactureur » ou « factor »), qui se chargera ensuite de les recouvrer auprès du ou des débiteur(s) concerné(s) : 

Exemple 1
Une société A va céder une créance de 10 000 € (montant initial de la créance) qu’elle détient sur un débiteur B à un affactureur C pour un montant de 5 000 € (montant de la créance cédée).
L’avantage de l’opération pour la société A est de récupérer rapidement une somme de 5 000 € dans sa trésorerie (sur les 10 000 € de la créance initiale, souvent litigieuse), à charge pour l’affactureur C de recouvrer le montant initial de la créance de 10 000 € auprès du débiteur B, en supportant les éventuels risques et les frais de ce recouvrement.

Si la Cour de cassation avait déjà eu l’occasion de préciser, en ce qui concerne le débiteur cédé, que « la cession en bloc d’un grand nombre de droits et créances ne fait pas obstacle à l’exercice du droit de retrait litigieux à l’égard d’une créance qui y est incluse, dès lors que la détermination de son prix est possible » (Cour de cassation n° 06-16.746, 4 juin 2007), cette dernière décision permet de préciser les conditions dans lesquelles la caution du « débiteur cédé » peut exercer un droit de retrait litigieux.

Exercice du droit de retrait litigieux par la caution du débiteur cédé

Dans une décision en date du 14 février 2024 (Cour de cassation n° 22-19.801, 14 févr. 2024), la Cour de cassation rappelle que la caution du « débiteur cédé » peut exercer un droit de retrait litigieux puisque la créance est cédée avec ses accessoires, dont le cautionnement (art. 1692 ancien du code civil), et qu’elle devient litigieuse dès lors que la caution conteste.

En d’autres termes, la caution du « débiteur cédé » peut, si elle est actionnée par le créancier et sous certaines conditions, mettre un terme à son obligation (de régler la dette parce qu’elle s’en est portée caution) en payant au cessionnaire le prix auquel il a lui-même racheté la créance au créancier cédant :

Exemple 2
Si l’affactureur ayant acquis la créance de la société A pour 5 000 € (Exemple 1) souhaite actionner la caution du débiteur B pour recouvrer la somme de 10 000 € (montant de créance initiale), la caution du débiteur cédé pourra exercer son droit au retrait litigieux, en cas de contestation sur le bien-fondé de la créance et ainsi régler la somme de 5 000 € (montant de la créance cédée) à l’affactureur pour éteindre la dette et la contestation.

Plus précisément [1], la Cour de cassation estime que la caution est en droit d’exercer un retrait litigieux lorsque trois conditions sont réunies.

  • Une créance principale est cédée avec ses accessoires : aux termes de l’ancien article 1692 du code civil (rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016), la cession d’une créance principale qui comprend aussi ses accessoires [2] (notamment les sûretés indiquées par cette disposition, cautions, privilèges et hypothèques), emporte au profit du cédant la cession de la créance sur la caution, de sorte que cette dernière peut, lorsqu’elle conteste le droit invoqué contre elle, exercer le droit au retrait litigieux. La caution dispose donc d’un droit au retrait litigieux lorsqu’elle est actionnée en paiement d’une créance cédée.
  • La caution dispose de la qualité de défendeur dans les cas suivants :
    • elle est assignée personnellement en paiement ; et
    • elle soulève au principal une contestation sur le fond du droit cédé et non seulement sur son quantum (en l’espèce, sur la nature disproportionnée de l’engagement) [3]
  • Il importe peu que la créance cédée l’ait été parmi d’autres créances, donc au sein d’un portefeuille de créances, pour un prix global forfaitaire.[4]

Cette décision illustre l’efficacité du retrait litigieux offert au débiteur cédé et à la caution de ce débiteur.

Mais c’est surtout un facteur supplémentaire que les professionnels de la cession de portefeuilles de créances (au premier chef desquels les affactureurs) doivent intégrer dans leur évaluation du risque dès lors que, par définition, le droit de retrait litigieux peut leur être opposé par le débiteur cédé et par sa caution ! La sûreté n’est alors pas une sécurité.

 


 

[1] Dans cette affaire, une banque avait consenti un prêt à une société, garanti par le cautionnement d’une personne physique. La société s’est ensuite trouvée en état de cessation des paiements, ce qui a conduit la banque prêteuse à assigner la caution en paiement des sommes liées au prêt. Alors que la caution a été condamnée en paiement en première instance, la banque a cédé à un fonds commun de titrisation un portefeuille de créances qui comprenait la créance en cause. Devant le juge d’appel, la caution actionnée en paiement a opposé le caractère disproportionné de son engagement et revendiqué son « droit au retrait litigieux ». C’est dans le cadre de l’appel que la caution obtient gain de cause, arguant de son droit à verser au cessionnaire le seul montant auquel il a acquis la créance, ce qui conduit ce cessionnaire à se pourvoir en cassation. La Cour de cassation donnera droit à la caution, confirmant la décision du juge d’appel.

[2] Pour rappel, au titre de l’article 1321 du Code civil, la cession de créance s’étend de plein droit aux accessoires. Ces accessoires peuvent être les suivants : intérêts, astreinte, titre exécutoire, sûretés personnelles ou réelles, clause compromissoire, clause de paiement à première demande.

[3] NB : Pour la Cour, la caution peut exercer son droit au retrait litigieux même après avoir interjeté appel du jugement l’ayant condamnée au paiement.

[4] Le fait que la créance soit cédée parmi un portefeuille de créances n’empêche pas de déterminer son prix, dans la mesure où la valeur de chacune des créances peut être déduite du montant global. En effet, la Cour indique que « la cession en bloc d’un grand nombre de droits et créances ne fait pas obstacle à l’exercice du droit de retrait litigieux à l’égard d’une créance qui y est incluse, dès lors que la détermination de son prix est possible ».

 

Photo de Muriel Féraud-Courtin
Muriel Féraud-Courtin

Muriel Féraud-Courtin, Avocat Associée, a acquis une expérience de plus de 25 ans en droit des affaires et travaille en étroite coopération avec les avocats du réseau international Deloitte Legal. […]

Guillaume Leclerc

Guillaume est avocat en droit des affaires. Il a rejoint le cabinet Deloitte Legal  en 2018. Il intervient principalement en droit commercial, droit économique, baux commerciaux et droit bancaire. Guillaume […]

Maxence Billiaud

Maxence a rejoint Deloitte Société d’avocats en 2024 et travaille en tant qu’avocat dans le département Droit commercial. Il conseille des clients nationaux et internationaux aussi bien en conseil qu’en […]