La position de la Cour de cassation quant au sort des actes conclus par la société en formation, c’est-à-dire non encore immatriculée était jusqu’alors très rigoureuse. Adoptant une lecture formaliste, elle soumettait la validité de la reprise des actes par la société une fois immatriculée, et donc dotée de la personnalité morale, à des exigences strictes. Un effet indésirable de ce rigorisme était de permettre aux parties le souhaitant de se soustraire de leurs engagements contractuels de manière purement opportuniste. Désormais, cela ne devrait plus être possible : la reprise dépend de la commune intention des parties, et non d’un critère formaliste.
Récemment, la Cour de cassation avait notamment jugé dans deux arrêts en date du 25 mai 2023 (Cour de cassation 25 mai 2023, chambre commerciale pourvois n° 22-15313 et 22-15314) , que le crédit-bail conclu par la société en formation elle-même devait être annulé. La justification est d’une logique -apparente- implacable : avant son immatriculation, la société n’a pas de personnalité juridique de sorte qu’elle ne peut pas être titulaire de droits, ni d’obligations.
Les premiers juges avaient pourtant relevé que la société civile immobilière, au moment de son immatriculation, avait dûment repris l’acte de crédit-bail par voie statutaire, que les associés avaient en particulier donné pouvoir au notaire de rédiger l’acte de crédit-bail en leurs qualité « d’associés et de caution » et qu’il était mentionné dans l’acte de crédit-bail qu’à défaut d’immatriculation de la société civile immobilière, les associés supporteraient personnellement les engagements découlant du crédit-bail.
En dépit de ces constatations de fait, qui ne laissaient pas place au doute quant à la volonté de reprise de l’acte accompli par les associés pour le compte de la société en formation, la cour de cassation, respectueuse de sa jurisprudence antérieure, prononça la nullité de l’acte du crédit-bail et de l’acte de caution personnelle des dirigeants aux motifs que : « lorsqu’un acte a été conclu, non pas au nom et pour le compte d’une société en cours de formation mais par la société elle-même, avant son immatriculation au registre du commerce et des sociétés, l’acte est nul pour avoir été conclu par une société dépourvue de la personnalité juridique ».
La Cour de cassation invoqua, en parfaite orthodoxie, les articles 1842 et 1843 du Code civil qui disposent que la société jouit de la personnalité morale qu’au moment de son immatriculation et que les personnes qui agissent au nom d’une société en formation sont tenues des actes accomplis avant son immatriculation.
La rigueur juridique du raisonnement suivi par la Cour régulatrice était pourtant contestable. Sans aucun doute, sans personnalité morale, nulle capacité de contracter de sorte que les actes accomplis lors de cette période de formation de la société empruntent la passerelle de la personnalité des associés. Mais, précisément, le législateur, après avoir énoncé cette évidence dans la première phrase de l’article 1843 du Code civil, en ajoutait une seconde indiquant que la société régulièrement immatriculée peut reprendre les engagements souscrits, qui sont alors réputés avoir été dès l’origine contractés par celle-ci.
Ces décisions antérieures étaient critiquables puisqu’une simple erreur rédactionnelle pouvait entraîner la nullité absolue d’actes, malgré le fait que plusieurs éléments factuels pouvaient laisser à penser que les associés avaient bel et bien agi au nom de la société en formation. Un revirement jurisprudentiel était donc souhaité par de nombreux praticiens afin de pallier cette situation que d’aucuns traitaient de formalisme.
Un revirement jurisprudentiel inattendu et bienvenu
La Cour de cassation vient précisément d’abandonner sa position antérieure. Opérant un spectaculaire revirement jurisprudentiel en rendant pas moins de des 3 arrêts sur cette question le 29 novembre 2023 ( Cour de cassation 29 novembre 2023, chambre commerciale pourvois n° 22-12.865, 22-18.295 et 22-21.623).
Dorénavant, la validité de la reprise des actes conclus pour le compte d’une société en formation dépend de la commune intention des parties. Autrement dit, la Cour de cassation fait dépendre la solution du pouvoir souverain d’appréciation du juge. Ainsi, par un examen de l’ensemble de circonstances, celui-ci devra apprécier les facteurs intrinsèques et extrinsèques de l’acte pour déterminer si la commune intention des parties était que l’acte soit conclu au nom et pour le compte de la société en formation et, si tel est le cas, l’acte litigieux conclu par la société en formation ne sera pleinement validé (rejet de sa nullité).
Cette décision, bien qu’elle rappelle à nouveau à tout rédacteur d’acte qu’il doit être extrêmement vigilant au choix des mots et à leur agencement (la syntaxe !) lors de la rédaction de ses actes, offre une importante marge d’interprétation aux juges du fond permettant de pallier les erreurs formelles et ainsi d’éviter la sanction de la nullité absolue.
Cette marge d’appréciation, saluée comme un pragmatisme bienvenu en la matière, risque d’entraîner une certaine incertitude juridique sur la nature des facteurs « intrinsèques et extrinsèques » pouvant être pris en compte et constitutif de la commune intention des parties. Il faudra ainsi attendre des décisions des juges du fond pour qu’une grille de lecture se dessine… en souhaitant que cela n’augure pas une jurisprudence dissonante et incertaine.
La forme sociale et l’identité des associés ne sont pas des critères de validité d’un acte conclu au nom et pour le compte une société en formation
Un dernier point mérite de retenir l’attention. Dans ces arrêts, la Cour de cassation décide, aux visas des articles L. 210-6 et R. 210-6 du code de commerce, « que la validité de l’acte passé pour le compte d’une société en formation n’implique pas, sauf les cas de dol ou de fraude, que la société effectivement immatriculée revête la forme et comporte les associés mentionnés, le cas échéant, dans l’acte litigieux ». La Cour de cassation rappelle que la forme sociale d’une société et l’identité des associés n’étant pas des critères de validité des actes conclus au nom et pour le compte de la société en formation, ils ne peuvent pas être pris en compte pour déterminer la validité de ces actes. Est évidemment réservée, l’hypothèse selon laquelle le consentement à l’acte par le cocontractant est subordonné à une forme sociale déterminée (celle-ci ayant, par exemple, une incidence sur l’étendue de la responsabilité des associés).