L’obligation de loyauté du dirigeant envers les organes sociaux

La Cour de cassation admet le manquement à son obligation de loyauté par un dirigeant vis-à-vis des organes sociaux (Cour de cassation n° 23-14824, chambre commerciale, 20 mars 2024, F–D).

La Cour régulatrice a eu l’occasion d’adopter cette position à l’occasion d’un pourvoi formé par un ancien président du directoire contre la décision le condamnant au titre du manquement à son obligation de loyauté envers les organes de la SA à directoire et conseil de surveillance où il avait exercé son mandat.

L’obligation de loyauté du dirigeant social est d’origine prétorienne, ayant été formulée en dehors de tout texte (Cour de cassation n° 94-11.241, 27 février 1996, Vilgrain). La jurisprudence a ensuite eu l’occasion d’affirmer l’existence d’un devoir de loyauté d’un associé à l’égard des autres associés à l’occasion de cessions de titres (Voir notamment Cass. Com. 12 mars 2013, n°12-11. 970 et Cass. Civ. 1re, 25 mars 2010, n°08-13.060), mais également à l’égard de la société elle-même (Cass. com. 24 février 1998, n° 96-12.638, Bull. civ. IV, n° 86 (arrêt Kopcio)). La Cour de cassation ne s’était toutefois pas encore prononcée sur l’obligation de loyauté du dirigeant vis-à-vis des organes sociaux.

L’affaire

En l’espèce, lors de sa démission, le président du directoire d’une SA, par ailleurs également salarié de la société, n’a pas fourni toutes les informations utiles aux organes sociaux. En particulier, il s’était abstenu d’informer ces organes de la possibilité dont disposait la société de renoncer à l’application de l’obligation de non-concurrence pesant sur lui au titre de son contrat de travail. Clause de non-concurrence qui était assortie d’une indemnité au profit du salarié démissionnaire. La société pouvait pourtant y renoncer sous réserve, notamment, d’en aviser le salarié dans les quinze jours de sa démission.

Après la démission du dirigeant de son mandat social et de son contrat de travail, la société constata que cette faculté de renonciation n’avait pas été rappelée par l’ancien dirigeant lors de son départ. En conséquence, la société décida ne pas verser l’indemnité prévue, bien que l’ancien dirigeant et salarié n’ait pas rejoint une entreprise concurrente. L’ex-dirigeant assigna alors son ancien employeur et obtint gain de cause devant les juridictions prud’hommales condamnant la SA à lui verser le montant de l’indemnité prévu par la clause de non-concurrence.

À la suite de cette condamnation, la société fit appel de la décision et ses arguments furent entendus par la Cour d’appel de Grenoble (Cour d’appel de Grenoble n° 21/00611, 15 décembre 2022). L’ex-président du directoire fut ainsi condamné à verser des dommages et intérêts à la société pour manquement à son obligation de loyauté vis-à-vis des organes sociaux lors de sa démission.

Saisie d’un pourvoi de l’ex-dirigeant la chambre commerciale de la Cour de cassation, approuvant la Cour d’appel, jugea « qu’en n’informant pas les organes de direction de la faculté pour la société Le Grenier de renoncer à la clause de non-concurrence insérée dans son contrat de travail, M. [T] avait manqué, en sa qualité de président du directoire, à son obligation de loyauté à l’occasion de sa démission de ses fonctions salariales ». Si l’arrêt d’appel est finalement cassé, c’est pour des raisons procédurales sans aucun lien avec l’affirmation de l’obligation de loyauté.

L’obligation de loyauté garante de la primauté de l’intérêt social

La Cour de cassation fait donc sienne l’analyse suivant laquelle l’obligation de loyauté de l’ex-président du directoire obligeait ce dernier à faire primer l’intérêt social, dont il était le gardien et le garant durant son mandat social, sur son intérêt personnel.

Le dirigeant demandeur au pourvoi est bien partie à la cause « en sa qualité de dirigeant » souligne la chambre commerciale. De ce fait, l’issue du litige prud’hommal est sans incidence sur le litige commercial et ne peut servir de prétexte pour écarter les obligations attachées à la qualité de dirigeant social. À juste titre, il en résulte que la validité de la clause de non-concurrence au titre du contrat de travail ne fait pas obstacle à un conflit d’intérêt lors de la démission des fonctions de président du directoire et de salarié.

L’obligation de loyauté du dirigeant est la clé de résolution de ce conflit d’intérêt. Elle devait l’amener à toujours fournir une information complète aux organes sociaux sur les conséquences possibles de la rupture du contrat de travail, quand bien même fut-ce le sien. Et, surtout, même si l’information pouvait avoir, pour lui, ès qualité de salarié, des conséquences pécuniaires défavorables en cas de renonciation par la société à la clause de non-concurrence ; situation qui ne préjudicie pas le salarié dès lors qu’il a accepté cette clause.

Le dirigeant social étant tenu d’une obligation de loyauté vis-à-vis de la société, il est, dès lors, logique que cette obligation pèse sur lui dans ses rapports avec les organes qui font vivre la société.

Extension inédite de l’obligation de loyauté du dirigeant aux profit des organes sociaux

La Cour de cassation avait déjà eu maintes fois l’occasion de rendre de nombreux arrêts relatifs à l’obligation de loyauté envers la société elle-même ou envers les associés de la société. L’affirmation de l’obligation de loyauté à l’égard des organes sociaux est, quant à elle, inédite.

Cette position de la Cour de cassation vient renforcer l’obligation de loyauté. D’aucuns diront que cela dote d’une consistance juridique l’exigence éthique du dirigeant. Non seulement à l’occasion d’opérations exceptionnelles, comme le départ du dirigeant mais, également, au cours de l’exécution du mandat du dirigeant, et ce, pendant toute sa durée.

Tout autre solution qui consisterait à écarter une exigence de loyauté au profit des organes sociaux, semble inopportune car elle permettrait au dirigeant de faire primer son intérêt personnel sur l’intérêt social.

La question de la sanction a donné lieu à une cassation pour des raisons purement procédurales sans que cela n’affecte la solution dégagée. L’arrêt attaqué condamnait en effet l’ex-dirigeant à verser à la société des dommages et intérêts s’élevant à 90 % du montant de l’indemnité versée au titre de la clause de non-concurrence pour perte de chance de pouvoir renoncer à l’application de ladite clause. Mais la Cour d’appel avait relevé d’office ce moyen ce qui conduit à une cassation sur le fondement de l’article 16 du code de procédure civile pour non-respect du principe du contradictoire.

Cet arrêt souligne tout l’intérêt, en droit des sociétés, de l’obligation de loyauté en raison du rôle qu’elle peut jouer dans la résolution des conflits d’intérêts du dirigeant. L’éthique, qui commande au dirigeant d’agir dans le seul intérêt de la société jusqu’en « faisant abstraction complète de son intérêt propre » (Tribunal de commerce de Paris n° 2019036759, 10 novembre 2020), reçoit, ainsi, un fondement juridique.

Photo d'Arnaud Raynouard
Arnaud Raynouard

Professeur des Universités à l’Université Paris-Dauphine, Arnaud Raynouard anime le Comité Scientifique Juridique du cabinet Deloitte Société d’Avocats. Agrégé en droit privé et sciences criminelles, et diplômé en gestion, Arnaud […]

Edouard Blémont Mouren

Corporate M&A lawyer.