Loi de finances 2024 : focus sur les mesures liées aux HTVI

La loi de finances pour 2024 (loi n°2023-1322) a été adoptée le 29 décembre 2023 et a introduit de nouvelles mesures renforçant les exigences en matière de documentation de prix de transfert et le pouvoir de contrôle de l’administration fiscale sur les transactions impliquant des actifs incorporels « difficiles à évaluer », plus communément appelés Hard-To-Value Intangibles (HTVI).

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Des pouvoirs étendus en matière de contrôle des actifs incorporels « difficiles à évaluer »

La loi de finances pour 2024 introduit trois nouvelles mesures concernant les HTVI :

  • elle permet à l’Administration d’utiliser des données financières observées postérieurement à la date de la transaction (données « ex-post ») afin de valoriser un HTVI ;
  • elle étend le délai de prescription des transactions liées aux HTVI de 3 ans à 6 ans (3 ans étant le délai de prescription standard en France) ;
  • elle permet à l’Administration de vérifier plusieurs fois une même transaction impliquant un HTVI au cours de cette période de 6 ans, par le biais d’une huitième exception à la règle générale énoncée à l’article L.51 du Livre des procédures fiscales (LPF) selon laquelle l’Administration ne peut contrôler qu’une seule fois une même opération.

Ci-dessous, nous revenons sur la définition d’un HTVI, puis nous examinons les implications des nouvelles dispositions introduites par la loi de finances pour 2024.

HTVI : définition en droit français

La définition des HTVI en droit français est énoncée à l’article 1649 AH, II, E, 2° du Code général des impôts (CGI), introduit lors de la mise en œuvre de la directive DAC 6 en France. Cette définition reflète étroitement celle de l’OCDE, qui définit les HTVI comme « des actifs incorporels ou des droits sur des actifs incorporels pour lesquels, au moment de leur transfert entre des entreprises associées :

  • il n’existe pas d’éléments de comparaison fiables ; et
  • au moment où l’opération a été conclue, les projections concernant les futurs flux de trésorerie ou revenus attendus de l’actif incorporel transféré, ou les hypothèses utilisées pour évaluer cet actif incorporel sont hautement incertaines, et il est donc difficile de prévoir dans quelle mesure l’actif incorporel débouchera finalement sur un succès au moment du transfert ».

Cette définition est très large. Par conséquent, du fait de l’enjeu que représentent les nouvelles mesures introduites par la loi de finances, des contentieux sont à anticiper concernant le fait de savoir si un actif doit être considéré comme un HTVI. La jurisprudence clarifiera certainement cette définition.

HTVI : utilisation des données financières ex-post lors d’un contrôle fiscal

La loi de finances pour 2024 introduit, à l’article 238 bis-O I ter du CGI, un changement significatif concernant l’utilisation par l’Administration fiscale de données financières « ex-post » lors du contrôle de transactions intragroupes impliquant des actifs incorporels difficiles à évaluer (HTVI).

En vertu de cette nouvelle disposition, l’Administration est autorisée à rectifier la valeur d’une transaction liée à un HTVI en fonction d’une valorisation fondée sur les données financières réelles observées au cours des exercices suivant la date de la transaction vérifiée. Par exemple, si une transaction liée à un HTVI a eu lieu en 2024 et fait l’objet d’une vérification en 2027, l’Administration sera désormais en mesure d’utiliser les données financières postérieures à 2024 à des fins de valorisation, plutôt que de se fier uniquement aux données financières prévisionnelles (« business plan ») disponibles au moment de la transaction. Si le résultat de cette valorisation diffère du prix de la transaction, l’Administration peut alors ajuster ce prix en conséquence. Il convient de noter que les transactions liées aux HTVI peuvent impliquer soit la cession d’actifs soit la licence de droits sur des actifs incorporels. L’application des nouvelles dispositions introduites par la loi de finances dans ces deux cas devra être étudiée au cas par cas. Cependant, il convient de noter que les termes de la loi à ce sujet manquent de précision. Il peut alors être utile de se référer aux définitions fournies par les lignes directrices de l’OCDE en la matière.

Exceptions dans le cadre desquelles l’Administration ne peut pas s’appuyer sur des données réelles postérieures à la transaction

L’article 238 bis-O I ter du CGI énonce quatre exceptions à la possibilité pour l’Administration de rectifier la valeur d’une transaction en recourant à des données réelles « ex-post » :

 

  1. Le contribuable, d’une part, fournit des informations détaillées sur les prévisions utilisées, au moment du transfert, pour déterminer les prix, notamment les modalités de prise en compte des risques et des événements raisonnablement prévisibles ainsi que leur probabilité de réalisation, et, d’autre part, établit que la différence significative entre ces prévisions et les résultats réels est due soit à la survenance d’événements imprévisibles lors de la détermination du prix, soit à la réalisation d’événements prévisibles, à la condition que leur probabilité d’occurrence n’ait pas été sous-estimée ou surestimée de manière significative au moment de la transaction ;
  2. Le transfert en cause est couvert par un accord préalable en matière de prix bilatéral ou multilatéral, en vigueur pour la période concernée, entre les juridictions du cessionnaire et du cédant ;
  3. L’écart entre la valorisation résultant des prévisions établies au moment de la transaction et celle constatée au vu des résultats réels est inférieur à 20 % ;
  4. Une durée de commercialisation de cinq ans s’est écoulée après l’année au cours de laquelle l’actif ou le droit a produit pour la première fois des revenus provenant d’une entité non liée au cessionnaire et, durant cette période, l’écart entre les prévisions établies au moment de la transaction et les résultats réels mentionnés au 1° est inférieur à 20 %.

Dans ce contexte, il devient crucial pour les contribuables d’étayer la documentation de leurs transactions liées à des actifs incorporels, soit pour démontrer qu’il ne s’agit pas d’HTVI, soit pour démontrer que le plan d’affaires utilisé tient correctement compte de l’ensemble des données disponibles, des risques et des évènements prévisibles au moment des transactions.

Cette documentation devrait également être mise à jour annuellement afin d’expliquer tout écart entre les plans d’affaires et les données réelles observées post-transaction.

Enfin, cette mesure justifie la demande d’APP multilatérale dans les cas où des montants importants sont en jeu, malgré la longueur potentielle de cette procédure.

Extension du délai de prescription à 6 ans

Le délai de prescription standard de l’Administration pour vérifier la situation d’un contribuable est de trois ans.

Cependant, la loi de finances pour 2024 a introduit l’article L.171B du LPF, portant ce délai de prescription à 6 ans spécifiquement pour les transactions liées à des HTVI.

La raison d’être de ce changement est claire : permettre à l’Administration d’utiliser les données réelles postérieures aux transactions afin de vérifier les transactions liées à des HTVI, ce qui nécessite une prolongation du délai de prescription.

Une nouvelle exception à la garantie de non-renouvellement d’un contrôle fiscal

L’article L.51 du LPF stipule que l’Administration ne peut pas contrôler plusieurs fois les mêmes écritures comptables ou les mêmes impôts. Cependant, cet article comprend une liste d’exceptions permettant à l’Administration de contourner cette règle et d’effectuer plusieurs vérifications d’une même opération.

Dans cette optique, la loi de finances pour 2024 modifie l’article L.51 du LPF en introduisant une huitième exception relative aux transactions portant sur des actifs incorporels difficiles à valoriser (HTVI).

Dorénavant, pour toute transaction ayant lieu au cours d’exercices ouverts à compter du 1er janvier 2024, l’Administration aura le pouvoir d’effectuer plusieurs vérifications dans le délai de prescription de 6 ans.

 

Aymeric Nouaille-Degorce

Aymeric Nouaille-Degorce, Avocat Associé, exerce au sein de l’équipe Prix de Transfert. Il a plus de 25 ans d’expérience en prix de transfert, dont six passés à Washington au sein […]

Thomas Pautrat

Thomas est associé au sein du cabinet Deloitte Société d’Avocats, avec plus de 11 ans d’expérience en prix de transfert. Thomas conseille ses clients dans tous les domaines des prix […]

Eléonore Christiaens

Eléonore Christiaens, avocate, exerce au sein de l’équipe Prix de transfert de Deloitte Société d’Avocats. Titulaire d’un double diplôme Audencia Business School et Master 2 Juriste Fiscaliste au sein de […]

Shalina Veerapen

Shaline est diplômée en droit. Elle travaille actuellement en tant qu’Assistant Manager spécialisé dans les questions de prix de transfert.