La maîtrise des contrats de licence et de maintenance : un réel enjeu fiscal. Editeurs de logiciels, à vos contrats !

La 3e chambre de Cour d’appel administrative de Versailles a rendu courant 2019 une décision rejetant les arguments d’une entreprise éditrice de progiciels et fournisseur de services informatiques tendant à voir reconnaître l’imputation de crédits d’impôts sur des retenues à la source opérées par le Brésil, l’Espagne, le Maroc et la Thaïlande, et relatives à des revenus de sources étrangères.

L’administration fiscale avait contesté l’application de ces crédits d’impôts au motif que les revenus en cause, à savoir la rémunération de prestations de maintenance réalisées sur des logiciels sous-licence, ne pouvait être qualifiée de « redevance » au sens des conventions fiscales applicables entre la France et les Etats précités.

Nous ne rentrerons pas ici dans les aspects fiscaux à proprement parler de cette décision, et sur les définitions de redevances au sens de l’OCDE et des conventions fiscales, pour nous concentrer sur l’analyse purement juridique des flux en question. Le raisonnement sur lequel la Cour s’appuie pour confirmer la position de l’administration nous semble en effet à cet égard particulièrement critiquable.

Selon la Cour :

« les prestations de maintenance, dont l’objet n’est pas d’accorder ou d’étendre un droit d’utilisation d’un logiciel mais simplement de fournir une assistance technique à l’utilisateur dans le cadre de la maintenance corrective et, le cas échéant, de le faire également bénéficier d’une amélioration des performances du produit par le biais, notamment, de mises à jour, sont distinctes de la licence de logiciel et donnent lieu à des facturations séparées. Ainsi, ces prestations ne peuvent pas davantage être regardées comme un simple accessoire indissociable du droit d’utilisation du logiciel. Par suite, les rémunérations perçues en contrepartie de ces prestations de service doivent ainsi, pour l’application des stipulations conventionnelles susvisées, être distinguées des rémunérations perçues en contrepartie de la licence de logiciels » ou encore « la maintenance de logiciels a pour objet, à titre principal, ainsi qu’il a été dit ci-dessus, de fournir un service au client relevant de l’assistance technique et tenant par ailleurs à l’adaptation et l’évolution du produit donné en licence et non de concéder l’usage d’un droit d’auteur »

Un tel raisonnement présente les caractéristiques d’un sophisme. Et les juges opèrent un raccourci fort dommageable en qualifiant, sans les distinguer, la maintenance corrective et la maintenance évolutive de prestation de service accompagnant une licence.

De son côté, l’éditeur semble avoir pris une mauvaise orientation stratégique en faisant valoir « que les prestations de maintenance attachées aux logiciels donnés en licence, indispensables à leur utilisation effective, présentent la même nature et sont indissociables de la licence des logiciels » pour tenter de convaincre la Cour que « les rémunérations perçues en contrepartie de telles prestations doivent être regardées, à l’instar des rémunérations perçues dans le cadre des licences de logiciels, comme la contrepartie de l’usage d’un droit d’auteur ». Elles sont, de fait, dissociables et nous approuvons la position de la Cour sur ce point.

Le débat n’a donc pas été engagé sur de bonnes bases.

Si en effet la pratique a l’habitude de qualifier indifféremment de maintenance l’assistance technique apportée au client dans l’utilisation d’un logiciel et les évolutions fournis dans le cadre de la politique éditoriale de l’éditeur, la réalité juridique est tout autre ; et elle est plus complexe.

L’assistance technique, sous la forme de « hot line » ou de « help desk » et, dans une certaine mesure, l’activité de correction des anomalies du logiciel sont indiscutablement des prestations de service. Cette qualification n’est pas discutable et elles relèvent du louage d’ouvrage au sens du Code civil (Article 1710 du Code civil). Il est en revanche permis d’en douter s’agissant de la maintenance évolutive.

La maintenance corrective

S’agissant toute d’abord de la maintenance corrective, celle-ci relève de quelques principes qu’il faut rappeler.

Le titulaire légitime d’une licence d’utilisation a des droits qui lui sont reconnus par la loi, plus particulièrement à l’article L 122-6-1 du Code de la propriété intellectuelle :

« I. Les actes prévus aux 1° et 2° de l’article L. 122-6 ne sont pas soumis à l’autorisation de l’auteur lorsqu’ils sont nécessaires pour permettre l’utilisation du logiciel, conformément à sa destination, par la personne ayant le droit de l’utiliser, y compris pour corriger des erreurs.

Toutefois, l’auteur est habilité à se réserver par contrat le droit de corriger les erreurs
et de déterminer les modalités particulières auxquelles seront soumis les actes prévus aux 1° et 2° de l’article L. 122-6, nécessaires pour permettre l’utilisation du logiciel, conformément à sa destination, par la personne ayant le droit de l’utiliser. »

Il en résulte que l’auteur se réserve le droit de correction lorsqu’il fournit à l’utilisateur sous licence une prestation de maintenance corrective.

Dans ce cas, ne sont remises aux clients, au titre de la licence, que les versions exécutables des logiciels et la documentation d’utilisation. L’accès aux sources n’est généralement pas nécessaire pour l’utilisation du logiciel conformément à sa documentation. Cet accès ne devient utile que dans les circonstances où l’éditeur est dans l’impossibilité d’exercer la maintenance corrective1.

L’utilisateur recouvre alors son droit légal de correction pour lui permettre d’utiliser le logiciel conformément à sa destination.

L’éditeur, assurant la prestation de maintenance corrective, s’engage à respecter des niveaux de service ; notamment des délais de correction des anomalies et de prise en compte des tickets d’incidents2.

C’est le service d’assistance technique de l’entreprise, quelque soit son appellation, qui est dans ce cas à la manœuvre. Ses équipes assistent le client pour la qualification de l’anomalie, lui fournissent des conseils d’utilisation du logiciel, trouvent des solutions de contournement et permettent ainsi à l’utilisateur de continuer d’utiliser le logiciel.

Ainsi, et dans ce cas, la rémunération afférente à la prestation de maintenance corrective doit être qualifiée de prix, si l’on se réfère aux dispositions du Code civil relatives au louage d’ouvrage .

Au lieu de cela, l’éditeur perçoit ce que la pratique qualifie à tort de « redevance » de maintenance, laquelle englobe également la mise à disposition des évolutions au client au titre de la maintenance évolutive. Cette pratique se comprend toutefois, sociologiquement, car la prestation de maintenance corrective est le plus souvent un contrat échelonné dans le temps (à exécution successive), rémunéré par une modalité d’abonnement. D’où l’emploi du terme « redevance », dans un sens synonyme d’échéance, et non pas en renvoyant à la notion de redevance d’une licence.

D’un point de vue du droit des contrats spéciaux, cela signifie que l’emploi du terme redevance en matière de maintenance corrective ne renvoie pas à la qualification précise de la redevance d’un contrat de licence.

La maintenance évolutive

Le sujet de la maintenance évolutive est tout autre. Les adaptations et arrangementsne sont en principe pas indispensables à l’utilisation de la version initiale du logiciel sous licence. Ce cas est donc très différent du précédent, qui vise des modifications venant corriger le code de manière à ce que, précisément, il soit utilisable.

La politique éditoriale est un choix de l’éditeur. Sa mise en œuvre incombe au département R&D de l’entreprise. L’éditeur fait bénéficier toute sa clientèle sous-licence des évolutions prévues du logiciel et non pas un utilisateur en particulier.

Le client qui paye la « redevance » de maintenance dans sa globalité bénéficiera des évolutions prévues dans la licence. Il pourra utiliser ces différentes versions qui sont le fruit d’un effort créatif au même titre que la version contemporaine de sa licence.

Cette maintenance évolutive consiste, selon les cas, à programmer mieux, accroitre les fonctionnalités, le rendre conforme à une évolution des systèmes d’exploitation, prendre acte des changements réglementaires, le rendre plus convivial, etc. cela amène d’ailleurs à s’interroger sur le caractère approprié du terme « maintenance » pour qualifier la mise à disposition par l’éditeur des évolutions du logiciel sous-licence.

Sans doute, la pratique parlera, selon les cas, de maintenance réglementaire, adaptative ou évolutive. Mais pour l’AFNOR, à très juste titre, il ne s’agira plus alors de maintenance, puisque cette dernière consiste précisément à assurer qu’un bien – matériel ou logiciel – continue de remplir sa fonction correctement, et non à l’améliorer pour donner lieu à un nouveau produit (NF EN 13306 X 60-319).

Le résultat de cette activité est tout autant protégé par les droits d’auteur que la version contemporaine de la signature du contrat de licence et leur exploitation interdite par quiconque qui ne détiendrait pas cette licence d’utilisation (Article L 122-6 du Code de propriété intellectuelle). Ce dernier s’exposerait donc à une action en contrefaçon s’il ne pouvait justifier d’une licence.

De fait, les évolutions du logiciel :

  • s’analysent, de par leur nature, comme des œuvre dérivées du progiciel sous-jacent, et sont en tant que telles protégées par le droit d’auteur (Article L112-2 du Code de propriété intellectuelle
  • sont bien mises à disposition dans le cadre du contrat de licence qui précise le périmètre des droits consentis au Client.

L’utilisateur téléchargera ou recevra en ligne les différentes évolutions qu’il installera seul. Il n’y aura aucune prestation attendue de l’éditeur pour en bénéficier.

Dans certains cas, il requerra l’assistance de l’éditeur dans le cadre d’une prestation payante. Il s’agira alors de « services additionnels ».

De tout ceci, il résulte que l’usage du terme « redevance » s’appliquant à deux réalités bien différentes est problématique : une prestation d’assistance et de correction, d’une part et la mise à disposition de nouvelles versions du logiciel conformément à la politique éditoriale de l’éditeur, d’autre part.

Dans cette perspective, il est intéressant de rappeler ce qui se passe lorsque l’utilisateur cesse de payer la redevance de maintenance.

La plupart du temps, il continue de pouvoir utiliser le logiciel dans toutes les versions qu’il a reçues au titre de la maintenance évolutive. En revanche, il ne pourra plus bénéficier pour l’avenir des évolutions des logiciels ni de la maintenance corrective.

En d’autres termes, il ne lui reste plus que le droit d’utiliser le logiciel dans toutes ses versions reçues jusqu’au jour de la cessation de la maintenance. C’est dire que les efforts consentis par l’éditeur à son profit et pour la communauté de ses clients pour améliorer le logiciel sous-licence sont financés via une quote-part de la redevance perçue auprès de ces derniers, celle qui ne rémunère pas la maintenance corrective y compris l’assistance technique.

Dans ces conditions, il est inexact et réducteur de juger que « la maintenance de logiciels a pour objet, à titre principal, ainsi qu’il a été dit ci-dessus, de fournir un service au client relevant de l’assistance technique et tenant par ailleurs à l’adaptation et l’évolution du produit donné en licence et non de concéder l’usage d’un droit d’auteur sur une œuvre scientifique, ou un procédé secret au sens des stipulations conventionnelles ci-dessus ».

La réalité est un peu plus subtile que semble l’entendre le raisonnement de la Cour.

La maintenance est plurielle. Elle est une prestation de service lorsqu’elle renvoie à un service d’assistance technique, à la fourniture de solutions de contournement ou de corrections réalisées sur place ou via télémaintenance dans des délais fixés contractuellement. La maintenance évolutive permet de recevoir ce que l’éditeur a prévu de développer pour améliorer son produit sous licence. Elle comprend les versions mineures et majeures, les « updates » ou « upgrades », ou encore dans certains cas les nouvelles versions ou « releases » – pour certains éditeurs, ces nouvelles versions ne sont remises ou mises à disposition des utilisateurs que sous réserve de souscrire une nouvelle licence. On trouve également dans les contrats de licence et de maintenance le terme de « mises à niveau » pour désigner une version du logiciel qui comporte la correction d’erreurs mineures qui ne justifiait pas, selon l’éditeur, une intervention immédiate dans le cadre de la maintenance corrective4. La licence d’origine autorise l’utilisateur à faire usage de toutes ces versions. L’éditeur ne réclame pas la signature d’une nouvelle licence pour utiliser les évolutions. Et inversement, des utilisateurs pourront même continuer de bénéficier de la maintenance corrective sans recevoir les évolutions, dans la limite toutefois de l’engagement de maintenabilité de l’éditeur5. Comment dès lors ne pas considérer que la licence d’utilisation du logiciel couvre le logiciel dans sa version existante lors de la conclusion du contrat mais aussi toutes les nouvelles versions mises à disposition de l’utilisateur ? Et comment dès lors ne pas considérer que ces évolutions, couvertes par la licence d’utilisation au même titre que le logiciel initial, sont rémunérées via la maintenance évolutive, sauf à dire que ces dernières seraient délivrées « gratuitement » aux clients, ce qui n’aurait manifestement pas de sens d’un point de vue économique ?

Là encore, le raisonnement de droit civil fournit la grille d’analyse : la valeur ajoutée des évolutions réside dans la mise à disposition (usage) d’un logiciel nouveau6 . Juridiquement, c’est bien la concession de l’usage d’un bien logiciel qui est l’objet du droit. C’est dire si la maintenance évolutive ne peut en aucun cas être qualifiée de louage d’ouvrage. Et cela est très différent d’une correction, où l’on voit que la valeur ajoutée du travail de l’éditeur est d’apporter une réponse à un problème de fonctionnement : c’est donc la prestation qui est l’objet principal de l’obligation.

Ce raisonnement vaut a priori pour les licences dites « on premise » qui renvoient aux logiciels, dont les exécutables sont installés sur les serveurs de l’utilisateur.

Mais quid des contrats Saas, où l’utilisation du logiciel est conçue comme un service ?

Dans le prix payé par l’utilisateur, il y a à la fois, le droit d’accéder à la plateforme sur laquelle se trouve le logiciel, le droit de l’utiliser et le droit de bénéficier des prestations qui visent à s’assurer de la continuité du service, parmi lesquelles : la maintenance corrective des infrastructures et du logiciel concerné, la mise à disposition des évolutions du logiciel, l’hébergement du logiciel, etc.

La licence d’utilisation du logiciel et de ses évolutions existe mais elle est diluée dans un ensemble plus complexe. L’utilisateur en bénéficie tant qu’il souscrit au service. On voit bien dans ce cas que le droit d’utilisation du logiciel et de ses évolutions n’est pas dissociable. Il en est, dans ce cas, de même de l’utilisation et des prestations de maintenance corrective. L’utilisateur n’a pas en effet la possibilité de continuer d’utiliser le service et d’exiger de l’éditeur qu’il ne paye plus l’assistance technique ou les corrections effectuées sur le logiciel. Il prend le service comme il est, « en bloc » dira-t-on. C’est la souscription au service et l’acceptation de ses conditions générales d’utilisation qui lui accorderont le droit d’utiliser le logiciel ainsi que toutes les évolutions que l’éditeur aura installées sur ses serveurs pendant toute la durée du service.

La question qui se pose est alors, en application du raisonnement de droit civil, de savoir comment ventiler dans le prix du service ce qui relève de la licence du logiciel et de ses évolutions et ce qui renvoie à une prestation de maintenance corrective et d’hébergement.

L’Administration fiscale fera une analyse au cas par cas des licences qui lui seront soumises. La précision est par conséquent de rigueur dans la rédaction des contrats de licence et de Saas. Cette précision permettra également de « neutraliser » la jurisprudence de la Cour d’appel de Versailles, car le juge appliquant les stipulations contractuelles ne pourra pas appliquer comme telle une approche unitaire.

Avec la contribution de Monsieur le Professeur Arnaud Raynouard.


1 : Cette faculté est notamment encadrée par l’Agence pour la protection des programmes lorsqu’un dépôt des sources a été prévu dans la licence.

2 : C’est ainsi que l’on nomme la caractérisation d’un incident dont on saisit le prestataire.

3 : Il peut, lorsqu’il est autorisé à utiliser le logiciel en application de l’article L 122-6 précité, effectuer :
« 1° La reproduction permanente ou provisoire d’un logiciel en tout ou partie par tout moyen et sous toute forme. Dans la mesure où le chargement, l’affichage, l’exécution, la transmission ou le stockage de ce logiciel nécessitent une reproduction, ces actes ne sont possibles qu’avec l’autorisation de l’auteur ;
La traduction, l’adaptation, l’arrangement ou toute autre modification d’un logiciel et la reproduction du logiciel en résultant »

4 : En principe, le premier chiffre représente une version majeure proposant de nouvelles fonctionnalités qui peuvent créer des problèmes de rétrocompatibilité (1,x,x), le deuxième chiffre correspond à une version mineure proposant de nouvelles fonctionnalités secondaires qui ne provoque pas de problème de rétrocompatibilité (x,2,x) et le troisième chiffre une correction ou un patch (x,x,3)

5 : Cette faculté s’applique pour les versions qualifiées de Long Term Support des logiciels concernés

6 : Au delta près des simples patchs et corrections

Hervé Gabadou

Avocat Associé, Hervé dirige l’activité juridique, Digital & Innovation, du cabinet d’avocats Deloitte Legal. Il accompagne différents acteurs du secteur privé et public dans leurs projets de transformation numérique faisant […]