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Modification d’une date de clôture et abus de droit

Le Comité de l’abus de droit fiscal confirme le caractère abusif de la modification, par une société ayant opté pour le régime des SIIC, de sa date de clôture, aux fins d’éviter de perdre rétroactivement le bénéfice de ce régime d’exonération à raison d’une modification de son actionnariat.

Rappel

Les sociétés d’investissements immobiliers cotées (SIIC) peuvent bénéficier, sur option et sous certaines conditions, d’une exonération d’IS sur les bénéfices provenant de la location ou de la sous-location d’immeubles, ainsi que de certaines plus-values (CGI, art. 208 C – sous réserve notamment d’une obligation de distribution, variable selon la nature des résultats exonérés).

Le régime d’exonération est notamment subordonné à des conditions tenant à la détention du capital de la SIIC. Ainsi, son capital ou ses droits de vote ne doivent pas être détenus, directement ou indirectement, à hauteur de 60 % ou plus, par un ou plusieurs actionnaires agissant de concert au sens de l’article L. 233-10 du Code de commerce (exception faite des SIIC elles-mêmes). Cette condition est appréciée de manière continue au cours de chaque exercice d’application du régime.

Le non-respect de la condition tenant au plafond de détention entraîne la sortie du régime d’exonération, avec effet rétroactif au 1er jour de l’exercice de sortie du régime (imposition des résultats de la SIIC à l’IS dans les conditions de droit commun, voir BOI-IS-CHAMP-30-20-50, 12 septembre 2012, n°20).

L’histoire

Une société a opté pour le régime d’exonération des SIIC à compter du 1er janvier 2007, avec une date de clôture de l’exercice fixée au 31 décembre.

En février 2019, la société a annoncé, par un communiqué de presse, avoir signé un protocole d’accord portant sur la cession d’un portefeuille d’actifs immobiliers, représentant près de 72 % de son patrimoine total.

Ce communiqué précisait expressément que la réalisation effective de cette cession se traduirait :

  • Par la distribution de 2 dividendes correspondant aux obligations légales de distribution imposées par le régime des SIIC ;
  • Par le lancement d’une offre publique de rachat d’actions à l’ensemble de ses actionnaires, son principal actionnaire (à hauteur de 54 %) ayant fait part de son intention de ne pas apporter sa participation à l’OPRA.

Le communiqué précisait, de plus, que cette OPRA ferait l’objet d’une décision de conformité de la part de l’AMF, et qu’en fonction de son résultat, son actionnaire majoritaire déposerait un projet d’offre publique de retrait, suivi d’un retrait obligataire au même prix que celui de l’OPRA.

En mai 2019, l’AG des actionnaires de la société a décidé de modifier au 30 juin la date de clôture de l’exercice, sous réserve (i) de la réalisation effective de la cession, (ii) de l’obtention du visa de conformité de l’AMF.

Dans le rapport du conseil d’administration, il était expressément indiqué que cette modification de la date de clôture visait à préserver l’application du régime SIIC pour le 1er semestre 2019, lequel était sinon susceptible d’être remis en cause dans l’hypothèse, où à l’issue de l’OPRA, l’actionnaire majoritaire viendrait à détenir, seul ou de concert, plus de 60 % du capital ou des droits de vote de la société.

La cession du portefeuille envisagée a été réalisée quelques jours après, se traduisant par une plus-value substantielle, exonérée d’impôt par application du régime SIIC.

Début juin 2019, la société a déposé une OPRA, validée par l’AMF, clôturée le 23 juillet et conduisant l’actionnaire majoritaire à détenir, à la suite de l’annulation des actions rachetées, 96 % du capital, avant qu’une offre publique de retrait ne soit mise en place en septembre 2019.

A l’issue d’une vérification de comptabilité, l’Administration a considéré que le changement de date de clôture de la société au 30 juin 2019 avait eu pour seul objectif d’éluder l’impôt sur les plus-values immobilières de cession et a remis en cause l’opération sur le terrain de l’abus de droit.

Le Comité de l’abus de droit fiscal (CADF) a été saisi.

L’avis du CADF

A titre liminaire, le CADF indique que si une société est libre de modifier la date de clôture d’un exercice et s’il n’appartient pas ainsi à l’Administration de se prononcer sur l’opportunité d’un tel choix arrêté pour sa gestion, cette modification ne peut toutefois pas avoir été décidée dans un but exclusivement fiscal afin de bénéficier d’un dispositif fiscal favorable en contrariété avec l’intention que le législateur a entendu poursuivre en instituant ce dispositif.

Il souligne, ensuite, que les dispositions de l’article 208 C, IV du CGI (prévoyant un plafond de détention de 60 % des SIIC), ont été adoptées par le législateur afin de mieux garantir le respect des objectifs visant à faciliter et à diversifier l’accès au capital des SIIC, et qu’à cette fin, il a, pour lutter contre les effets d’aubaine fiscale et respecter l’esprit de ce dispositif, décidé d’éviter la création de SIIC détenues très majoritairement par le même actionnaire – et par suite, contrôlées par cet actionnaire majoritaire.

En décidant de modifier la date de clôture de son exercice à la seule fin de faire échec à l’application de ces dispositions, une société doit être regardée comme ayant poursuivi un but exclusivement fiscal, dès lors qu’elle n’apporte pas d’éléments de nature à établir que cette modification lui a été imposée afin de respecter la règlementation à laquelle elle est soumise eu égard à sa nature de société cotée sur un marché réglementé, ou qu’elle était indispensable afin de conduire à leur terme l’ensemble des opérations en cause.

Le CADF confirme donc la mise en œuvre de la procédure de l’abus de droit fiscal, et l’application de la majoration de 80 %.

Il a retenu la même position dans une affaire très similaire, examinée au cours de la même séance (affaire n°2025-02).

Notons enfin que, par le passé, le CADF avait déjà retenu l’existence d’un abus de droit dans des hypothèses de modification d’une date de clôture (notamment, affaires n°2004-51 et 2005-25 : modification de la date de clôture d’une société holding luxembourgeoise pour éviter l’application du dispositif de l’article 123 bis, ou encore, affaires n°2013-29 et 2013-32 : cas de sociétés ayant avancé la date de clôture de leur exercice pour faire échec à l’application de l’avenant à la convention fiscale franco-luxembourgeoise prévoyant l’imposition en France des PV de cessions d’immeubles situés dans cet Etat pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2008).

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    Alice de Massiac

    Alice a développé depuis plus de 20 ans une large expertise en accompagnant de grands groupes en France et à…

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    Clara Maignan

    Clara Maignan, avocat, a rejoint les équipes de Deloitte Société d’Avocats en 2011. Elle exerce au sein du Comité Scientifique…