Nouveau référentiel dans le contrôle des concentrations en France : les nouvelles lignes directrices de l’Autorité de la concurrence sont publiées !

Le contrôle des concentrations en France s’inscrit dans le cadre légal des articles L 430-1 et suivants et des articles R 430-2 et suivants du Code de commerce.

Les opérations de concentration dépassant une certaine taille sont soumises au contrôle de l’Autorité de la concurrence (« Adlc »). L’Adlc se charge, en amont de l’opération envisagée, de s’assurer que celle-ci ne soulève pas de problèmes de concurrence, notamment par la création de monopoles ou le renforcement significatif d’une position dominante sur les marchés concernés.

A la lumière d’un état des lieux portant sur dix années de pratique en matière de contrôle des opérations de concentration et sur les contributions faisant suite à une consultation publique lancée fin 2019, l’Adlc a publié le 23 juillet 2020 ses nouvelles lignes directrices .

Les nouvelles lignes directrices de l’Adlc

Conçues comme « un outil pédagogique et dynamique », les nouvelles lignes directrices de l’Adlc se substituent aux lignes directrices publiées en 2013. Dans le cadre d’un traitement plus clair et plus didactique, elles éclairent les entreprises et les praticiens sur la procédure ainsi que sur la pratique et les méthodes d’analyse de l’Adlc en matière de contrôle des concentrations.

Un effort de simplification recherché 

Les nouvelles lignes directrices participent ainsi à l’effort général de simplification et de réduction des coûts de mise en œuvre du droit par les entreprises. L’effort est en l’espèce louable également en termes de méthode car, là où l’on tente souvent en vain, de simplifier par voie de « lois de simplification », l’Adlc en sa qualité de régulateur, a recours à des instruments de droit informel (soft law). Les lignes directrices n’ont aucune « portée normative », mais constituent « une directive opposable aux entreprises et invocable par elles ». A cet égard, on relèvera que sans ambiguïté aucune, l’Autorité dit qu’elle « s’engage à appliquer les lignes directrices » . Elle s’impose donc le respect des directives, qu’elle souhaite par ailleurs plus claires et plus pédagogiques. L’effort de sécurité juridique est ici très concret.

Les évolutions notables de la procédure de notification : anticipations et simplifications

Anticipation de la notification d’une opération de concentration

Afin d’anticiper la notification d’une opération de concentration, et préalablement à la phase de pré-notification, les entreprises ont désormais la possibilité de se rapprocher du service des concentrations de l’Adlc pour solliciter la désignation d’un rapporteur en charge de l’examen du dossier. A compter de la demande, le nom de l’adjoint au chef de service en charge de l’examen du dossier est alors communiqué à l’entreprise notifiante dans un délai de cinq (5) jours ouvrés.

Une information sur la complétude du dossier

Les lignes directrices prévoient également qu’après vérification du dossier de notification par le service des concentrations, l’Adlc informe l’entreprise notifiante de la complétude ou incomplétude du dossier. Cette information est généralement adressée dans un délai de dix (10) jours ouvrés à compter de la date de dépôt de la notification de l’opération de concentration.

Une information en cas de possibilité de procédure simplifiée

Afin d’offrir à l’entreprise notifiante une plus grande visibilité et lui permettre d’anticiper le calendrier de finalisation de l’opération, l’Adlc informe la partie notifiante de la possibilité de traiter l’opération selon la procédure dite simplifiée, et ce concomitamment à l’envoi de l’accusé de réception de complétude évoqué ci-dessus. Rappelons que le dossier simplifié permet d’alléger le contenu du dossier de notification pour les opérations qui ne sont pas susceptibles de porter atteinte à la concurrence. A ce titre, les nouvelles lignes directrices listent les opérations qui sont éligibles à la procédure simplifiée, et pour lesquelles il est supposé a priori qu’elles ne sont pas susceptibles de porter atteinte à la concurrence 1.

Les conditions de la notification dématérialisée

Les nouvelles lignes directrices précisent les conditions de la notification dématérialisée qui est applicable aux opérations qui n’entrainent pas de changement d’enseigne du ou des magasins de détail concernés et aux opérations qui ne se traduisent pas par un chevauchement d’activités de nature horizontale ou verticale ou conglomérale entre les parties à l’opération2.

Sont visées dans ce deuxième cas de figure la plupart des opérations qui sont menées par des fonds d’investissement. Il convient de noter cependant que les opérations concernant des fonds d’investissement détenant des participations contrôlantes dans des entreprises situées sur les mêmes marchés ou sur des marchés connexes ou reliés verticalement à ceux des actifs cibles, ne peuvent pas bénéficier de la procédure dématérialisée3.

Un calendrier prévisionnel

Afin de donner à l’entreprise notifiante une visibilité accrue sur le déroulement de l’examen approfondi qui aura été déclenché (Examen dit de phase 2), les nouvelles lignes directrices prévoient la communication d’un calendrier prévisionnel, qui n’est qu’indicatif, retraçant les principales étapes de la procédure4.

Caractérisation du Gun jumping comme infraction

Les nouvelles lignes directrices caractérisent par ailleurs l’infraction de mise en œuvre anticipée d’une opération de concentration ( Gun jumping ), en précisent les conséquences et indiquent notamment les conditions dans lesquelles la conclusion de protocoles d’accord entre l’acquéreur et la cible visant à régir leurs relations pendant la période courant jusqu’à la conclusion ou l’autorisation de l’opération, ne doit pas conduire l’acquéreur à prendre le contrôle de la cible avant l’autorisation de l’opération5.

Les conditions applicables aux mesures correctives

Enfin, les nouvelles lignes directrices précisent les conditions applicables aux mesures correctives (mesures structurelles ou mesures comportementales) qui s’avèrent nécessaires lorsque l’opération est susceptible de porter atteinte au jeu de la concurrence6.

Les évolutions au titre de l’examen au fond : clarifications et précisions

Les nouvelles lignes directrices clarifient les conditions de l’analyse concurrentielle dont l’objet est d’apprécier si l’opération entraînera la détention d’un pouvoir de marché significatif, qui serait alors susceptible de porter atteinte à la libre concurrence.

A cette fin, les lignes directrices visent, aux côtés des parts de marché des entreprises et du degré de concentration du marché :

  1. Les principales caractéristiques des entreprises actives sur le marché concerné et les contraintes qui sont susceptibles d’influencer leur comportement concurrentiel que l’Adlc apprécie en présence de parts de marché significatives : taille des entreprises et étendue de leurs activité sur le marché concerné, activités d’entreprises sur les marchés connexes, structure des coûts et niveau de marge, capacités de production, comportement des entreprises, liens entre entreprises, capacité d’expansion ou risque de déclin des entreprises
  2. Les caractéristiques : intrinsèques des produits ou services concernés, des clients ou fournisseurs des parties concernées et celles du marché et ses modalités de fonctionnement
  3. Les sources de concurrence potentielle (visant à déterminer l’existence ou non de barrières à l’entrée sur le marché en cause)

De nouvelles annexes à vocation pratique sont ajoutées : analyse locale dans les concentrations dans le secteur du commerce de détail, prise en compte des ventes en ligne, documents internes susceptibles d’être demandés par l’Autorité de la concurrence, nouveau modèle d’engagement de cession devant l’Autorité de la concurrence et nouveau modèle de contrat de mandat.

Les lignes directrices « nouvelles », applicables depuis le 23 juillet 2020, servent désormais de référentiel pratique majeur pour les entreprises et les praticiens appelés à notifier des opérations de concentration auprès de l’Autorité de la concurrence.


Il est important, pour les entreprises, de disposer de la grille de lecture de l’Adlc afin d’être en mesure d’anticiper sur ces circonstances particulières ou considérations d’intérêt général.


A cet égard, rappelons que les lignes directrices se veulent être source de sécurité juridique pour les entreprises qui s’y réfèrent : c’est ainsi que l’on sait que l’Adlc s’engage à les appliquer chaque fois qu’elle examine une opération de concentration. Mais elle précise toutefois, « sous réserve … qu’aucune circonstance particulière » à l’opération concernée ou « aucune considération d’intérêt général ne justifient qu’il y soit dérogé ». On ne voit pas comment il en irait autrement, les sources informelles étant une alternative au droit « dur » précisément en ce que leur application préserve une application flexible. Il est alors important, pour les entreprises, de disposer de la grille de lecture de l’Adlc afin d’être en mesure d’anticiper sur ces circonstances particulières ou considérations d’intérêt général.

Les communications publiées par la Commission européenne auxquelles l’Adlc se réfère dans un souci de cohérence et d’harmonisation avec la pratique européenne pour déterminer la portée des différentes notions relatives au contrôle des concentrations, continueront, bien entendu, de servir de guide d’analyse complémentaires aux nouvelles lignes directrices 2020.


1 : Point 230 

2 : Point 234

3 : Point 236

4 : Point 300

5 : Points 173 à 183

6 : Points 351 à 470

Photo d'Arnaud Raynouard
Arnaud Raynouard

Professeur des Universités à l’Université Paris-Dauphine, Arnaud Raynouard anime le Comité Scientifique Juridique du cabinet Deloitte Société d’Avocats. Agrégé en droit privé et sciences criminelles, et diplômé en gestion, Arnaud […]