Cet article a été publié dans les Éditions JFA Juristes & Fiscalistes Associés – novembre 2024 et est reproduit sur ce blog avec l’accord de l’éditeur.
L’implantation en Afrique francophone de sociétés étrangères est susceptible d’être réalisée par le biais d’une filiale ou d’une succursale. Le recours aux succursales est fréquent, dans la mesure où certaines sociétés qui s’implantent en Afrique de manière temporaire pour l’exécution d’un projet ne souhaite pas dans un premier temps y constituer une société commerciale pour exercer cette activité. L’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA) prévoit toutefois une réglementation spécifique s’agissant des succursales de sociétés étrangères implantées dans les États qu’elle réunit, dont la durée d’exploitation ne peut excéder 4 ans. Avant l’expiration de cette période, les sièges de ces succursales ont l’obligation de les filialiser. Cette opération implique d’analyser les conséquences juridiques (V. § 5), et fiscales (V. § 13) qui y sont associées. En cas de manquement à cette obligation, des sanctions sont prévues (V. § 24).
L’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA), qui réunit 17 États1, a oeuvré à l’harmonisation des règles matérielles du droit africain des affaires dans toute la zone réunissant ces États. Cette codification a pour objectif « l’élaboration et l’adoption de règles communes simples, modernes et adaptées à la situation de leurs économies »2, afin de garantir également, au niveau de ses États membres, une sécurité juridique pour les investisseurs et les entreprises.
L’implantation en Afrique francophone de sociétés étrangères est susceptible d’être réalisée par le biais d’une filiale ou d’une succursale dans l’espace OHADA (sauf dispositions sectorielles contraires qui imposeraient une constitution en forme de société 3). Le recours aux succursales est fréquent, dans la mesure où certaines sociétés qui s’implantent en Afrique, de manière temporaire pour l’exécution d’un projet ne souhaitent pas dans un premier temps y constituer une société commerciale pour exercer cette activité.
En droit OHADA, la succursale correspond à un établissement commercial ou industriel ou de prestations de services, appartenant à une société ou à une personne physique 4. Elle constitue ainsi un établissement secondaire. La succursale a également trois caractéristiques distinctes en droit OHADA (AUSCGIE, art. 117) :
- elle n’a pas de personnalité juridique autonome, distincte de celle de la société ou de la personne physique propriétaire, à l’inverse de la filiale ; elle n’a pas également de patrimoine qui lui est propre ;
- les droits et obligations qui naissent à l’occasion de son activité ou résultent de son existence sont compris dans le patrimoine de la société ou de la personne physique propriétaire ;
- elle dispose en revanche d’une autonomie de gestion.
Le droit OHADA opère une distinction entre les succursales appartenant à des personnes physiques ou morales immatriculées au Registre du commerce et du crédit mobilier (RCCM) dans l’espace OHADA, et celles appartenant à des sociétés ou des personnes physiques qui ne sont pas situées dans l’espace OHADA. La principale particularité qui les distingue concerne la durée d’exploitation. Lorsqu’elle appartient à des assujettis à l’immatriculation au RCCM, la succursale prend fin par l’expiration du temps pour lequel elle a été constituée, par la réalisation et l’extinction de son objet ou pour toute autre cause prévue dans la délibération ou l’acte à l’origine de sa création. Quand elle appartient à une personne étrangère, la durée d’exploitation de la succursale ne peut excéder 4 ans au total. En effet, conformément à l’article 120 de l’Acte uniforme révisé relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique (AUSCGIE), deux ans au plus tard après sa création, la succursale doit être apportée à une société, préexistante ou à créer, de droit de l’un des États parties, à moins qu’elle soit dispensée de cette obligation, pour une durée de deux ans non renouvelable, par un arrêté du Ministre chargé du Commerce de l’État partie dans lequel la succursale est située, sous réserve des dispositions applicables aux sociétés soumises à un régime particulier 5.
Différentes obligations sont rattachées à l’expiration de la succursale de sociétés étrangères située dans l’espace OHADA, à l’issue de la période de 4 ans, en particulier l’obligation de la filialiser dans ce délai imparti (I), sous peine d’encourir un certain nombre de sanctions (II)
Filialisation de la succursale dans le délai de 4 ans
Cette opération implique d’analyser les conséquences juridiques (A), et fiscales (B) qui y sont associées.
A. Conséquences juridiques (droit des sociétés) de l’apport de la succursale
L’article 120 de l’AUSCGIE oblige à « apporter » la succursale à une société préexistante ou à créer, sans préciser s’il s’agit d’un simple apport en nature de fonds de commerce6 ou d’un apport partiel d’actif (portant sur une « branche autonome d’activité ») soumis au régime des scissions (AUSCGIE, art. 195).
Compte tenu des contraintes fiscales liées à ce type d’apport, dont le régime de faveur (en matière d’impôt sur les sociétés et droits d’enregistrement, V. § 15) est en principe réservé aux opérations juridiques d’apport partiel d’actif soumis au régime des scissions, nous ne détaillerons ci-après que le régime juridique de l’apport partiel d’actif (APA), défini comme l’opération par laquelle une société fait apport à une autre (nouvelle ou déjà créée) de ses éléments d’actif et reçoit, en échange, des titres émis par la société bénéficiaire des apports.
L’oeil de la pratique
Il est tout de même pertinent de se poser la question de l’apport en nature du fonds de commerce7 selon la structure patrimoniale de la succursale. Il peut en effet exister des régimes spécifiques pour durée de détention et des exonérations sur des apports en nature8.
Principes applicables en droit OHADA
En droit OHADA, l’APA « est l’opération par laquelle une société fait apport d’une branche autonome d’activité à une société préexistante ou à créer […] L’apport partiel d’actif est soumis au régime de la scission » (AUSCGIE, art. 195).
Remarques
À la différence du droit français, l’application du régime des scissions à un APA en droit OHADA n’est pas une possibilité mais découle directement de l’apport d’une branche autonome d’activité. L’apport partiel d’actif doit comprendre, en droit OHADA, une « branche autonome d’activité » et non uniquement un ou plusieurs actifs isolés. L’apport d’une branche « autonome » implique en conséquence que soient en principe transférés l’intégralité des actifs et passifs composant la branche afin qu’elle puisse continuer son activité de façon autonome. Des actions nouvelles sont remises en échange de cet apport, et éventuellement une soulte dont le montant ne peut dépasser 10 % de la valeur d’échange des actions attribuées (AUSCGIE, art. 191.). Relevons également que seul le caractère « autonome » de la branche apportée est expressément requis en droit OHADA, et non le caractère « complet » de la branche (tel qu’exigé en droit français pour bénéficier du régime fiscal de faveur).
Soumis au régime de la scission, l’APA entraîne transmission universelle du patrimoine (TUP) (AUSCGIE, art. 190), c’est-à-dire transmission de plein droit des biens, droits et obligations se rattachant à la branche autonome d’activité apportée. En pratique, et conformément aux dispositions relatives au régime de la scission en droit OHADA, les sociétés participantes à ce type d’opération doivent établir un projet d’APA arrêté selon les cas par le conseil d’administration, l’administrateur général, le ou les gérants de chacune des sociétés membres à l’opération. Le projet d’APA soumis au régime de la scission indique notamment :
- les motifs et conditions de l’APA ;
- la désignation et l’évaluation de l’actif, soit la branche autonome d’activité apportée ;
- les modalités de remise des parts ou actions et la date à partir de laquelle ces parts ou actions donnent droit aux bénéfices ;
- la prime d’apport ;
- la nomination d’un commissaire aux apports ; ou encore – le rapport d’échange des titres sociaux et le cas échéant, le montant de la soulte9.
Dans un délai d’un mois avant la date de la première assemblée générale appelée à statuer sur l’opération, le projet d’APA doit être déposé au RCCM du siège social des sociétés participantes à l’opération (AUSCGIE, art. 194.).
Le commissaire aux apports rend son rapport 8 jours au moins avant la tenue de l’assemblée générale extraordinaire afin de permettre aux associés d’en prendre connaissance. Ce même rapport est conjointement déposé dans le même délai au RCCM compétent. Toute délibération sur l’opération en l’absence du rapport du commissaire aux apports est nulle (AUSCGIE, art. 622.). L’APA est effectif à la date de la dernière assemblée générale ayant approuvé l’opération, sauf si le contrat d’apport stipule que l’opération prend effet à une autre date, laquelle ne doit être ni postérieure à la date de clôture de l’exercice en cours de la société bénéficiaire ni antérieure à la date de clôture du dernier exercice de la société transmettant son patrimoine (AUSCGIE, art. 192.).
S’agissant des opérations transfrontalières, celles-ci sont expressément visées par l’article 199 de l’AUSCGIE, mais uniquement en cas d’opérations internes à l’espace OHADA (cas où une société d’un État A partie à l’OHADA est propriétaire d’une succursale dans un État B également partie à l’OHADA). Cet article indique en effet que « la fusion, la scission et l’apport partiel d’actifs peuvent concerner des sociétés dont le siège social n’est pas situé sur le territoire d’un même État Partie. Dans ce cas, chaque société concernée est soumise aux dispositions du présent Acte uniforme dans l’État Partie de son siège ».
Dans le cas d’un APA transfrontalier non purement interne à l’OHADA (cas où une société d’un État A non partie à l’OHADA – la France par ex. – est propriétaire d’une succursale dans un État B partie à l’OHADA dont elle apporte les actifs à une société située dans ce même État ou dans un autre État partie à l’OHADA), on ne peut pas exclure une interprétation a contrario de l’article 199, qui interdirait toute application à cet APA du régime des scissions10.
Il nous semble toutefois que l’application du régime de faveur des APA pourrait être défendue, sous réserve du respect par chaque société de sa propre Loi applicable. Le juge de l’État situé dans l’espace OHADA saisi d’un litige sur ce point pourrait considérer que l’opération puisse être qualifiée, du point de vue du droit OHADA, d’apport partiel d’actif soumis au régime des scissions à condition qu’elle constitue également une telle opération (réalisant une transmission universelle de patrimoine) au regard du droit français applicable à l’apporteuse puisque les mêmes concepts y existent11.
Autres points d’attention juridiques en cas d’apport partiel d’actif d’une succursale
En matière de contrats – Les contrats apportés avec la branche autonome sont transférés sans notification, sauf s’ils ont été conclus intuitu personae et notamment avec une autorité administrative : il y a alors a minima nécessité d’informer le cocontractant, voire d’obtenir son consentement pour le transfert. Un audit des contrats (clients, contrats de financements, etc.) sera donc nécessaire pour s’assurer qu’aucun contrat transmis ne devrait faire l’objet d’une procédure spécifique (d’approbation préalable) vis à vis du cocontractant12.
En matière de droit social – L’article L. 1224-1 du code du travail français prévoit qu’en cas de « modification dans la situation juridique de l’employeur, notamment par mise en société, tous les contrats en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise ». Lors du transfert, il convient de se poser la question des autorisations/ consultations des salariés et des modalités de transfert des contrats de travail des salariés. Si les contrats de droit français sont transférés à la société bénéficiaire de l’apport, il convient de vérifier qu’aucune disposition nationale ne fait obstacle à un tel transfert pour les contrats locaux. En outre, il convient d’être attentif d’une part au transfert de l’ensemble des obligations en matière de droit social relatives à la branche d’activité concernée (allocations spécifiques reconnues à certains travailleurs en raison du secteur d’activité, accords de branche) et à l’éventuelle notification de l’opération aux autorités nationales compétentes d’autre part. Toutefois, considérant que la société bénéficiaire de l’apport est une société de droit local, les éventuelles difficultés sont à relativiser.
En matière de protection des créanciers – Par ailleurs, la filialisation permet de donner aux tiers une certaine protection de leurs intérêts, car ils seront en mesure de pouvoir agir aussi bien contre la société ayant apporté sa succursale à la nouvelle société, que contre la société qui a été bénéficiaire de cet apport. Elles seront solidairement tenues des dettes de la succursale apportée, sauf stipulation contraire prévue dans le traité d’apport20. Dans ce cas, les créanciers peuvent former opposition à la scission dans un délai de 30 jours à compter de la publication de l’opération devant la juridiction compétente21.
B. Conséquences fiscales de l’apport de la succursale
1° Régime fiscal applicable à l’opération de filialisation
a) En matière d’impôt sur les sociétés (IS) et de droits d’enregistrement
Lieu d’imposition à l’IS – En l’absence de convention fiscale bilatérale – Il existerait une imposition dans l’État membre de l’OHADA où la succursale est exploitée et également dans l’État de la société propriétaire de la succursale. Cinq pays de l’OHADA n’ont pas conclu de convention fiscale avec la France (les Comores, la Guinée-Bissau, la Guinée équatoriale, le Tchad et la République Démocratique du Congo), et trois l’ont récemment dénoncée (le Burkina Faso, le Mali et le Niger13).
Dans le cas d’existence d’une convention fiscale bilatérale – Le modèle OCDE de convention fiscale énonce que « les gains provenant de l’aliénation de biens mobiliers qui font partie de l’actif d’un établissement stable qu’une entreprise d’un État contractant a dans l’autre État contractant, ou de biens mobiliers qui appartiennent à une base fixe dont un résident d’un État dispose dans l’autre État, y compris de tels gains provenant de l’aliénation de cet établissement stable (seul ou avec l’ensemble de l’entreprise) ou de cette base fixe, sont imposables dans cet autre État ». Les gains (plus-values) générés par l’apport d’une succursale sont donc exclusivement taxables dans le pays de localisation de la succursale.
Parmi les 17 pays membres de l’OHADA, douze d’entre eux ont conclu une convention fiscale bilatérale avec la France et 3 ont ratifié l’Instrument multilatéral de l’OCDE (le Cameroun, la Côte d’Ivoire et le Sénégal). Le Gabon a signé l’Instrument multilatéral, mais ne l’a en revanche pas encore ratifié. Les commentaires de l’administration fiscale française concernant les conventions conclues entre la France et le Gabon et la Guinée précisent que les conventions s’inspirent largement/ sont, dans les grandes lignes, conformes au modèle OCDE. D’autres conventions fiscales s’inspirent du modèle ONU, notamment au regard du critère de qualification des établissements stables pour les chantiers (durée de 6 mois pour le modèle ONU et de 12 mois pour le modèle OCDE). C’est le cas notamment du Congo.
Principes fiscaux applicables aux apports – Ces principes peuvent être résumés comme suit s‘agissant de l’IS.
> Régime de droit commun des apports : tout apport entraîne en principe la taxation de toutes les plus-values d’apport au taux normal de l’impôt sur les sociétés. Les plus-values résultent de la différence entre la valeur réelle des actifs apportés et leur valeur nette comptable chez l’apporteuse.
L’oeil de la pratique
Il est opportun de vérifier l’existence d’un régime d’exonération pour durée de détention, compte tenu des taux de droit commun relativement élevés de l’impôt sur les sociétés dans certains pays.
Régime de faveur des APA : il est important de s’assurer de l’existence de régime de faveur permettant la neutralité fiscale (différé d’imposition des plus-values14 réalisées en cas d’apport partiel). La plupart des pays de l’espace OHADA prévoient ce type de régime, en renvoyant à la qualification juridique d’apport partiel d’actif en droit OHADA, opération devant porter sur une branche autonome d’activité, notion déjà évoquée plus haut (V. § 6, Remarque).
Bien qu’il n’existe pas à notre connaissance de commentaires précis ou de jurisprudence (juridiques ou fiscaux) sur l’appréciation de l’existence d’une « branche autonome d’activité » ou sur les conditions spécifiques d’octroi du régime de faveur, cette notion doit en principe s’entendre comme comprenant tous les éléments d’actif et de passif liés directement ou indirectement à l’exploitation apportée, pour en permettre d’en assurer l’autonomie.
Dans le contexte de la filialisation, il s’agit de l’ensemble des éléments d’actif et de passif affectés à l’activité de la succursale (et notamment ceux inscrits à son actif et passif). Similairement au droit français, si l’on veut considérer que l’apport porte sur une « branche autonome d’activité » et ainsi le soumettre au régime de faveur des apports partiels d’actif, les éléments essentiels et centraux de l’exploitation déjà inscrits à l’actif de la succursale doivent être en principe apportés en propriété dans le cadre de l’opération d’apport envisagée. À défaut, l’Administration fiscale de l’État situé dans l’espace OHADA pourrait considérer que l’apport ne portant pas sur une branche, ne peut être qualifié d’apport partiel d’actif et ne peut donc pas bénéficier du régime de faveur applicable dans l’État de l’espace OHADA, où l’opération de filialisation doit avoir lieu.
S’agissant des droits d’enregistrement, la plupart des pays de l’espace OHADA prévoient des taux de droits d’enregistrement proportionnels réduits ou des droits fixes en cas d’APA.
Comparatif des régimes fiscaux applicables dans 6 pays de l’espace OHADA | ||
Pays | Imposition de la plus-value | Droits d’enregistrement |
Burkina Faso |
Les plus-values réalisées à la suite de l’apport par une SA ou une SARL à une autre société immatriculée sous les mêmes formes d’une partie de son patrimoine sont exonérées (CGI, art. 134) sous réserve que (i) la société bénéficiaire ait son siège social au Burkina Faso et (ii) que l’apport prenne la forme d’une fusion, d’un apport partiel d’actifs ou d’une scission. Il existe une incertitude relative à :
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Sont dispensés des formalités d’enregistrement (CGI, art. 396) :
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Côte d’Ivoire | Les plus-values sont exonérées de l’IS au moment de leur réalisation à condition que les opérations profitent à des personnes morales passibles de l’IS et ayant leur siège social en Côte d’Ivoire. Sont visées ici les plus-values résultant de l’apport partiel d’actif (CGI, art. 32). |
Les actes de formation et prorogation de sociétés qui ne contiennent pas transmission de biens meubles ou immeubles, entre les associés ou autres personnes, sont enregistrés au taux dégressif de : 0,3 % lorsque le montant est supérieur à 10 M et inférieurs à 5 Mds FCFA, 0,1 % au-delà de 5 Mds (CGI, art. 754). Les actes constatant l’apport d’une partie des éléments d’actif sont assimilés à une fusion de sociétés (CGI, art. 756). Le droit dégressif précité est réduit de moitié pour les actes de fusion en ce qui concerne la partie de l’actif apporté (CGI, art. 759). La prise en charge par la société absorbante ou nouvelle de tout ou partie du passif est soumise au droit fixe de 25 000 FCFA (environ 38 €) (CGI, art. 703 et 755). |
Sénégal | Les plus-values sont exonérées de l’IS au moment de leur réalisation à condition que les opérations profitent à des personnes morales passibles de l’IS et ayant leur siège social au Sénégal. Sont visées ici les plus-values résultant d’une fusion, d’un apport partiel d’actif ou d’une scission (CGI, art. 20). |
Les actes de fusion, scission, et apport partiel d’actif sont enregistrés au droit fixe de 50 000 FCFA (environ 76 €) (CGI, art. 471, III). La prise en charge par la société absorbante ou nouvelle de tout ou partie du passif est enregistrée gratuitement. En cas d’apport partiel d’actif, l’opération doit être préalablement agréée par le ministère des Finances (CGI, art. 466, al. 21). |
Cameroun | Les plus-values sont exonérées de l’IS au moment de leur réalisation à condition que les opérations profitent à des personnes morales passibles de l’IS et ayant leur siège social au Cameroun ou dans un autre État de la CEMAC. Le même régime est applicable lorsqu’une société apporte une partie de ses éléments d’actif à une société ayant son siège social au Cameroun ou dans un autre État de la CEMAC (CGI, art. 9). |
Les actes constatant l’apport d’une partie des éléments d’actif sont assimilés à une fusion de sociétés (CGI, art. 346) et soumis aux mêmes droits dégressifs allant de 2 % pour la tranche comprise entre 0 et 7,5 M FCFA (environ 1,1 M€), et 0,25 % pour la tranche supérieure à 5 Mds FCFA (environ 7,6 M€). La prise en charge par la société absorbante ou nouvelle de tout ou partie du passif est soumise au droit fixe de 50 000 FCFA (environ 76 €) (CGI, art. 350 et 545-A). |
Gabon | Régime de droit commun des apports : tout apport entraîne la taxation de toutes les plus-values d’apport au taux normal de l’IS de 30 % pour les sociétés (35 % pour celles intervenant dans le secteur des hydrocarbures) (CGI, art. 8, al. 1er). Régime de faveur : cependant, la loi de finances pour 2015 a institué un régime fiscal dérogatoire pour les opérations de fusion, scission, apport partiel d’actif et de filialisation (art. 5 du « Régime fiscal des fusions et opérations assimilées » adjoint au CGI), prévoyant l’exonération des plus-values (ibidem, art. 13). La filialisation s’entend de « l’opération par laquelle une succursale est transférée à une société de droit gabonais existant en voie de création ou à une société préexistante, laquelle lui apporte en contrepartie ses titres. Ce transfert peut se réaliser soit par apport partiel d’actif, soit par cession de fonds de commerce » (ibid., art. 6). Il est précisé que pour bénéficier du régime de faveur, l’apport partiel d’actif doit concerner une branche complète d’activité. |
Régime de droit commun des apports : Les actes de formation, prorogation de sociétés, les actes d’augmentation du capital des sociétés au moyen d’apport en nature, qui ne contiennent pas transmission de biens meubles ou immeubles, entre les associés ou autres personnes, sont enregistrés au taux proportionné de 1 % (CGI, art. 573). Les conventions de successeurs, ainsi que les mutations de propriété çà titre onéreux de fonds de commerce et de clientèle sont soumises au droit proportionnel de 6 %, auquel on ajoute une taxe additionnelle de 2 % lorsque les biens sont situés dans les communes de Libreville, Port-Gentil, Owendo ou Akanda (CGI, art. 599). Régime de faveur : Les actes relatifs aux opérations de fusion, scission, apport partiel d’actif et de filialisation sont passibles d’un droit fixe de 5 000 FCFA (environ 8 €) (art. 24 du « Régime fiscal des fusions et opérations assimilées » adjoint au CGI). |
Congo | Les plus-values sont exonérées de l’IS au moment de leur réalisation à condition que les opérations profitent à des personnes morales passibles de l’IS et ayant leur siège social au Congo (CGI, t. 1, art. 118, C). Il s’agit notamment des plus-values résultant de l’apport partiel d’actifs des éléments constituant une branche complète d’activité d’une société à une autre société dans les conditions prévues à l’article 261 du CGI, t. 2, livre 1. |
Les actes constatant l’apport d’une partie des éléments d’actif sont assimilés à une fusion de sociétés et soumis au même droit proportionnel de 5 % (CGI, art. 260 et 261). Les actes de formation, prorogation de sociétés, les actes d’augmentation du capital des sociétés, qui ne contiennent ni obligation, ni transmission de biens meubles ou immeubles sont soumis au droit proportionnel de 3 % (CGI, art. 259). |
L’application d’un régime de faveur IS à une opération d’APA est généralement soumise au respect d’un certain formalisme afin de permettre la taxation ultérieure15 :
> la société apporteuse doit calculer les plus-values de cession afférentes aux titres reçus en contrepartie de l’apport par référence à la valeur que les biens apportés avaient, du point de vue fiscal, dans ses propres écritures ;
> la société bénéficiaire de l’apport partiel d’actif est quant à elle soumise, d’une manière générale, aux mêmes obligations qu’une société absorbante et peut se prévaloir des mêmes droits que celle-ci ; elle doit notamment s’engager, dans l’acte d’apport, à :
- reprendre à son bilan certaines écritures de la société apporteuse ;
- se substituer à la société auteur de l’apport pour réintégrer dans ses résultats imposables les plus-values et profits dont l’imposition avait été différée chez cette dernière ;
- calculer les plus-values réalisées ultérieurement à l’occasion de la cession d’éléments non amortissables qui lui sont apportés d’après la valeur qu’ils avaient, du point de vue fiscal, dans les écritures de la société apporteuse ;
- si des plus-values ont été dégagées sur l’apport des éléments amortissables, réintégrer, de manière échelonnée,dans ses bénéfices imposables les plus-values dégagées lors de l’apport de ces éléments, étant précisé que la fraction non encore taxée des plus-values afférentes aux biens qui sont cédés avant la fin de la période de réintégration est rattachée à l’exercice même de cession.
Contraintes liées à la qualification juridique d’APA pour un apport transfrontalier – Comme nous l’avons indiqué plus haut (V. § 9), bien qu’il soit possible de défendre qu’un apport « transfrontalier » puisse être qualifié d’APA, on ne peut totalement exclure que l’administration fiscale de l’État situé dans l’espace OHADA tente de considérer que le régime de faveur ne s’applique qu’entre sociétés de droit OHADA, ce qui exclurait de facto les APA réalisés par des sociétés d’un État n’appartenant pas à cette zone.
Dans ce cas, la clause de non-discrimination prévue par les conventions fiscales permettrait de donner davantage de confort à cette qualification. Par exemple, l’article 26, § 2 de la convention fiscale franco-gabonaise de 1995 prévoit que « L’imposition d’un établissement stable qu’une entreprise d’un État contractant a dans l’autre État contractant n’est pas établie dans cet autre État d’une façon moins favorable que l’imposition des entreprises de cet autre État qui exercent la même activité ».
Le régime fiscal applicable à l’opération de filialisation pourrait être sécurisé par la demande d’un rescrit fiscal auprès de l’administration fiscale compétente. Toutefois, cette demande de rescrit reste incertaine compte tenu de l’absence de cadre légal de la demande de rescrit dans certains pays et cette situation pourrait également conduire au déclenchement d’un contrôle fiscal.
b) En matière de taxe sur la valeur ajoutée (TVA)
Immobilisations et déduction de TVA – L’opération de filialisation a également des conséquences en matière de TVA. Généralement, lorsqu’une immobilisation ayant donné lieu à déduction de TVA sort de l’actif dans une période entre trois et cinq années suivant son acquisition (ce délai est à apprécier en fonction du pays concerné), tout assujetti doit procéder au reversement d’une fraction de la TVA antérieurement déduite lors de l’acquisition.
En conséquence, à défaut de règles dérogatoires spécifiques applicables aux opérations d’APA, il faut être vigilant sur une régularisation de TVA à prévoir pour tous les biens acquis depuis moins de trois/cinq ans.
Crédit de TVA de la succursale – L’existence d’un crédit de TVA est constatée lorsque la TVA à déduire est supérieure à celle perçue (TVA exigible). Dans ce cas, le contribuable assujetti à la TVA est fondé à obtenir, à sa demande, le remboursement du crédit de TVA dont il dispose, si celui-ci n’a pas vocation à être imputé sur les déclarations ultérieures.
Ce remboursement est toutefois limité à certains cas. Par exemple, le crédit de TVA n’ouvre droit à remboursement que dans des cas limités et généralement pour les entreprises exportatrices ou entreprises bénéficiant de certaines dispositions fiscales dérogatoires du Code des investissements ou Codes sectoriels.
Le remboursement du crédit de TVA peut ne pas être autorisé en cas de cessation d’activité et de fermeture de la succursale. Dans cette hypothèse, l’Administration fiscale peut contester le crédit de TVA compte tenu notamment :
- du statut actuel de la succursale (n’ayant pas été auditée) et ;
- du fait que les autorités fiscales peuvent rejeter l’identifiant fiscal de la succursale.
c) Situation en cas de contrôle fiscal de la succursale
Compte tenu de la fréquence des contrôles fiscaux sur le continent africain, il n’est pas rare que l’opération de filialisation se déroule au moment d’un contrôle fiscal en cours. Il est donc nécessaire de savoir comment procéder à l’opération dans cette situation.
Si la créance vis-à-vis des impôts n’existe pas à la date d’arrêté des comptes en l’absence de notification de redressements, il paraîtrait fondé que l’opération n’emporte pas transfert d’un passif fiscal. Il appartiendrait aux services des impôts en tant que créancier de s’opposer, dans le délai légal de 30 jours (AUSCGIE, art 634.), à l’opération en faisant valoir la situation et notamment l’absence de garantie au niveau de la succursale après le transfert de son activité.
Liquidation de la succursale après apport
À noter que l’opération d’apport devra s’accompagner de la liquidation de la succursale. Ce qui sera l’occasion pour l’administration fiscale de se poser la question de la nature et du traitement fiscal de l’opération d’apport, la liquidation pouvant donner lieu à constatation d’un boni (soumis généralement à l’impôt de distribution) ou d’un mali de liquidation. Il n’est donc pas inutile d’anticiper dans certains cas compliqués une demande de rescrit fiscal permettant de sécuriser l’opération.
2° Régime fiscal en cas de cession des titres après apport
Dans le cas où il est envisagé que l’apport soit suivi d’une cession des titres reçus en échange à un tiers (ou intragroupe), il faut être attentif au risque de remise en cause du régime de faveur, si celui-ci a été octroyé sous condition de conservation des titres (émis en échange de l’apport) pendant une certaine durée.
Une autre particularité porte sur la valorisation de l’apport. L’apport pourra être réalisé à la valeur comptable ou à la valeur réelle (les conditions pour pouvoir utiliser l’une ou l’autre méthode étant indiquées dans l’acte uniforme OHADA relatif au droit comptable et à l’information financière). L’administration fiscale sera particulièrement regardante dans le cas de la réalisation de l’opération à la valeur réelle (avec le bénéfice d’un régime de faveur) suivie d’une cession immédiate des titres reçus en échange (ne constatant aucune plus-value taxable).
Maintien de la succursale à l’issue de la période de 4 ans
A. Sanctions juridiques
L’article 120 de l’AUSCGIE fixant l’obligation de filialisation des succursales prévoit des sanctions juridiques. En cas de non-respect de cette obligation, le greffier ou l’organe compétent de l’État partie procède à la radiation de la succursale du registre du commerce et du crédit mobilier, après décision de la juridiction compétente, statuant sur requête, à sa demande ou à celle de tout intéressé. La décision de radiation donne lieu à la diligence du greffier ou de l’organe compétent de l’État partie à une insertion dans un journal habilité à recevoir les annonces légales de l’État partie.
B. Sanctions pénales
L’article 891-2 de l’AUSCGIE prévoit également une sanction pénale à l’encontre des dirigeants sociaux d’une société étrangère ou la personne physique étrangère dont la succursale n’a pas été apportée à une société de droit préexistante ou à créer dans le délai imparti, ni radiée dans les conditions fixées par l’article 120.
L’oeil de la pratique
Il appartient aux États membres de légiférer sur les peines applicables découlant de cette sanction pénale prévue par l’AUSCGIE. En pratique, ces sanctions juridiques et pénales sont toutefois peu observées et mises en oeuvre.
En revanche, le non-respect de l’obligation de filialisation de la succursale pourrait entrainer la déchéance / perte d’une autorisation sectorielle donnée par l’administration fiscale pour l’exercice d’une activité réglementée sur le territoire de l’État en question.
C. Sanctions fiscales
En cas de maintien de la succursale à l’issue de la période de 4 ans, des sanctions fiscales peuvent également s’appliquer. L’AUSCGIE ne prévoyant que les aspects juridiques, il revient à chaque État membre de prévoir les conséquences de ce maintien dans leur législation fiscale.
Par exemple, le Burkina Faso prévoit l’application par l’administration fiscale d’une pénalité forfaitaire d’un montant mensuel de 1 M FCFA (environ 1 524 €), pour défaut de possession d’un siège social au Burkina Faso16.
Il existe, à notre sens, deux sérieux risques fiscaux :
> l’absence de filialisation de la succursale pourrait également se traduire, selon les États et l’approche retenue par leur administration fiscale, par les conséquences fiscales d’une cessation d’activité, comme l’imposition immédiate des plus-values latentes, des bénéfices en sursis d’impositions, et des profits latents compris dans la valeur des stocks ; ce qui permettrait de faire la différence entre le « bon contribuable » ayant apporté et bénéficiant du régime de faveur de l’apport et le contribuable défaillant dont on imposerait les plus-values latentes ;
> par ailleurs, l’administration fiscale locale pourrait avoir des arguments pour considérer qu’il existe une présence taxable qui ne peut être exercée sous la forme de la succursale. Elle pourrait ainsi être en mesure d’opérer une taxation d’office (et de tirer les conséquences d’une évaluation en dehors de la comptabilité de la succursale) et également de remettre en cause les déclarations fiscales qui auraient été établies au nom de la succursale (l’absence de déclaration est sanctionnée par des pénalités parfois importantes).
1 Le Bénin, le Burkina-Faso, le Cameroun, la Centrafrique, la Côte d’Ivoire, le Congo, les Comores, le Gabon, la Guinée, la Guinée-Bissau, la Guinée équatoriale, le Mali, le Niger, la République Démocratique du Congo, le Sénégal, le Tchad et le Togo. Le Burundi s’ajoutera bientôt à cette liste.
2 Art. 1er du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique signé le 17 octobre 1993 à Port-Louis (Île Maurice), et révisé à Québec (Canada) le 17 octobre 2008.
3 Secteur bancaire (imposant une société anonyme avec un capital minimum), secteur des hydrocarbures (lorsqu’il est prévu la présence de l’État ou d’une société d’État au capital de la société pétrolière), concessions de services publics (obligation de constitution en société qui serait imposée par le code des marchés publics).
4 Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique (AUSCGIE), art. 116.
5 Par exemple les succursales de compagnies aériennes qui, une fois immatriculées, peuvent poursuivre leur exploitation sans limitation de durée, comme les succursales appartenant à des personnes physiques ou morales immatriculées dans l’espace OHADA.
6 AUSCGIE, art. 45. – Acte uniforme révisé portant sur le droit commercial général (AUDCG), art. 147 et s.
7 Le simple apport en nature de fonds de commerce (ne portant pas sur une « branche autonome d’activité ») est soumis au régime des cessions de fonds de commerce organisé par les articles 147 et suivants de l’AUDCG et aux articles 45 et 619 et s. de l’AUSCGIE, et n’est pas susceptible d’être soumis au régime de faveur des APA (assimilés à des fusions) en matière d’impôt sur les sociétés et droit d’enregistrement.
8 À titre d’exemple, le CGI du Tchad prévoit des abattements pour durée de détention. Plus précisément, l’article 85 du CGI prévoit notamment que la plus-value résultant de la cession, du transfert ou de la cessation après la création ou l’achat d’un fonds de commerce, n’est imposable que pour le quart de son montant.
9 AUSCGIE, art. 193 et 619.
10 Ce qui conduirait à requalifier l’opération en simple « apport en nature » de fonds de commerce, dont les conséquences fiscales seraient lourdes en l’absence de tout régime de faveur en matière d’IS (imposition des plusvalues latentes) et de droits d’enregistrement.
11 Pour plus de précisions sur la complexité du droit international privé/ public, v. F. Nouvion, Filialisation des succursales de sociétés étrangères en sociétés de droit OHADA : aspects juridiques et enjeux fiscaux : Recueil Penant juill.-sept. 2015, n° 892.
12 Nota : si l’opération n’emportait pas transmission universelle de patrimoine, il conviendrait de signifier la cession des contrats et d’obtenir le consentement de tous les cocontractants, comme s’il s’agissait d’une simple cession.
13 Sur ces dénonciations, v. FI 3-2024, n° 2, § 6 (Burkina Faso) et FI 4-2024, n° 2, § 30 (Mali et Niger).
14 Autres que celles réalisées sur les marchandises, imposables immédiatement.
15 le prévoient, à titre d’exemple, l’article 16 du « Régime fiscal des fusions et opérations assimilées » adjoint au CGI gabonais, l’article 118 C du tome 1 du CGI congolais, l’article 32 du CGI ivoirien, l’article 20 du CGI sénégalais ou encore l’article 9 du CGI camerounais.
16 CGI, art. 794.