Dans une publication au BOFiP du 23 juillet dernier, l’Administration livre ses premiers commentaires du rapport établi par le Cadre inclusif de l’OCDE sur le Montant B du Pilier 1 du 19 février 2024. Notons que la France s’est engagée, au titre des exercices ouverts à compter du 1er janvier 2025, à respecter le résultat obtenu lorsqu’un pays dit « à faible capacité » applique le Montant B, sous réserve que certaines conditions soient remplies. Au 30 juin 2025, aucun Etat ne remplissait encore l’ensemble de ces conditions.
Eléments de contexte
Pour mémoire, le Pilier 1 est composé de 3 ensembles de règles :
- Les règles relatives au Montant A qui visent à établir une nouvelle règle de partage de la base taxable des multinationales de grande envergure entre les États,
- Les règles relatives au Montant B qui visent à instaurer une rémunération standard pour les activités de distribution et marketing de routine,
- Les règles relatives aux Règlements des différends.
Les principaux éléments de conception du Montant B ont fait l’objet, au cours des dernières années, de plusieurs consultations publiques.
C’est dans ce contexte que l’OCDE a publié le 19 février 2024 un rapport (d’une cinquantaine de pages) sur le Montant B proposant aux pays une approche simplifiée et rationalisée de l’application du principe de pleine concurrence aux activités de distribution et de marketing de routine. En pratique, il s’agit de fournir des taux de rémunération « standard » pour ces activités, ce qui permettrait d’éviter à la fois la réalisation de benchmarks et les débats sans fins avec les administrations fiscales quant à la pertinence de ceux-ci.
Les objectifs affichés sont donc la réduction des litiges en matière de prix de transfert, des coûts de mise en conformité et le renforcement de la sécurité juridique tant pour les administrations fiscales que pour les contribuables. Ces mesures devraient bénéficier tout particulièrement aux pays « à faible capacité » (notamment localisés en Afrique, Asie ou Amérique du Sud qui disposent de moins de ressources et de données). Il convient de relever que l’Inde a émis un certain nombre de réserves au contenu du rapport. Par ailleurs, la Nouvelle Zélande a d’ores et déjà indiqué qu’elle ne comptait pas mettre en œuvre le montant B du Pilier 1.
Le contenu du rapport a été intégré dans les Principes directeurs de l’OCDE applicables en matière de prix de transfert en tant qu’annexe au chapitre IV. Il est important de noter que ce rapport ne remet pas en cause les principes généraux de détermination des Prix de Transfert.
L’Administration vient en tirer les conséquences dans les cadres d’une publication au BOFiP.
Teneur des commentaires administratifs nouveaux (BOI-BIC-BASE-80-10-50, 23 juillet 2025)
Principes généraux d’application du montant B
Champ d’application et exclusions (§20)
L’Administration rappelle que le champ d’application du dispositif porte sur les transactions réalisées par certains distributeurs de biens, dont les commissionnaires et les agents commerciaux, qui s’approvisionnent auprès d’une ou de plusieurs entreprises étrangères liées, aux fins de la revente en gros à des tiers.
Certains types de transactions sont en revanche exclues du champ (pour la liste complète des exclusions, voir chapitre 3 du rapport).
L’Administration souligne tout particulièrement que sont exclues les transactions concernant des biens incorporels, des services ou des produits de base, ainsi que celles dans le cadre desquelles les distributeurs apportent des contributions uniques et de valeur ou assument des risques économiquement significatifs. A titre d’exemple, elle indique que ne relèvent pas de l’approche Montant B la vente au détail lorsqu’elle représente une part substantielle de l’activité du distributeur éligible, ni la distribution de certaines matières premières ou de biens numériques.
Modalités de fixation du prix des transactions éligibles (§ 30 à 60)
L’Administration rappelle que :
- La méthode transactionnelle de la marge nette constitue la base du mécanisme de fixation des prix de l’approche simplifiée et rationnalisée (nb. l’OCDE accepte le recours à la méthode du prix comparable sur marché libre – CUP – lorsque celle-ci est plus pertinente) ;
- La méthodologie de fixation du prix des transactions éligibles s’appuie sur une matrice de prix, constituée à partir d’un ensemble de données mondiales d’entreprises impliquées dans des activités de commercialisation et de distribution de référence, tenant compte du secteur d’activité du distributeur, de ses dépenses d’exploitation et du niveau de ses actifs d’exploitation (nb. matrice fournie par l’OCDE, ayant vocation à être remise à jours tous les 5 ans) ;
- Un processus en 3 étapes permet alors de déterminer un intervalle de rémunérations cibles exprimées en pourcentage de rentabilité des ventes (cf. section 5.1, § 47 du rapport OCDE) ;
- 2 mécanismes d’ajustement du prix (susceptibles d’être mis en œuvre au cas par cas en fonction des circonstances) sont également prévus – en faveur des seuls distributeurs résidents dans certains pays qualifiés :
- Un mécanisme de « vérification par recoupement des charges d’exploitation », permettant d’ajuster la rémunération cible obtenue à partir de la matrice de prix, lorsque son application donne un résultat qui se situe en dehors d’un intervalle prédéfini de plafonnement des dépenses d’exploitation ;
- Un mécanisme de « disponibilité des données », qui permet d’ajuster à la hausse les rémunérations obtenues à partir de la matrice de prix en fonction de la notation de la dette souveraine.
Engagement de respecter le résultat obtenu lorsqu’un pays à faible capacité applique le montant B (§ 70 à 100)
L’Administration rappelle, à titre liminaire, que la France s’est engagée (au titre des exercices fiscaux ouverts à compter du 1er janvier 2025), lorsque le Montant B est appliqué par un pays à faible capacité avec lequel elle est liée par une convention fiscale bilatérale en vigueur :
- A respecter le résultat obtenu en application de l’approche Montant B pour les transactions dans le champ d’application ;
- A prendre toutes les mesures raisonnables pour éviter la double imposition qui pourrait résulter de l’application du Montant B.
A cet effet, il faut que les 3 conditions cumulatives suivantes soient remplies :
- L’Etat considéré fait partie des pays à faible capacité couverts par l’engagement politique (liste disponible ici) ;
- Il existe une convention fiscale bilatérale en vigueur entre la France et cet Etat ;
- L’Etat en question a choisi d’appliquer le Montant B aux distributeurs intervenant sur son marché (la liste des pays concernés sera publiée sur le site de l’OCDE).
Au 30 juin 2025, aucun Etat ne remplissait ces conditions.
Concrètement :
- Lorsque l’administration fiscale/le résident d’un pays remplissant ces 3 conditions choisira de déterminer sa rémunération conformément aux principes du Montant B, alors la France la considérera comme une approximation acceptable du principe de pleine concurrence ;
- A l’inverse, l’option d’appliquer le Montant B par un pays qui n’est pas à faible capacité sera sans incidence sur les transactions entre ce pays et la France.
L’avis du praticien – Eric Lesprit
Cette introduction en droit interne rend concrète en France la mise en œuvre des résultats obtenus à l’issue des travaux de l’OCDE pour simplifier la mise en œuvre des prix de transfert avec les « pays à faible capacité » (tels que définis par l’OCDE) pour certaines activités. Mais s’agit-il réellement d’une simplification pour les opérateurs économiques ?
Cette parution au BOFiP montre que la France acceptera le recours à l’approche prévue par Montant B pour ces pays. Un groupe pourra donc déterminer sa politique de prix de transfert, avec ces pays et pour ces activités, de manière forfaitaire en suivant les recommandations de l’OCDE. Reste qu’il faudra alors réserver un sort particulier à ces transactions, en les distinguant des autres réalisées avec d’autres pays avec lesquels cette approche allégée ne peut être utilisée : les groupes doivent ainsi suivre deux méthodes afin de déterminer les prix de leurs transactions (selon les principes habituels de manière générale, d’une part, et pour ces pays à faible capacité, d’autre part).
Naturellement, reste tout de même l’avantage d’une possible procédure amiable rapide puisque, lors d’échanges entre la France et l’un de ces pays à faible capacité, les travaux porteront simplement sur les éléments de calcul de cette approche forfaitaire. La négociation entre les deux autorités compétentes devrait s’en trouver nettement écourtée.