Rachat de titres suivi d’une réduction de capital non motivée par des pertes et abus de droit

Le TA de Bordeaux juge, au cas d’espèce, qu’une opération de rachat de titres suivie d’une réduction de capital non motivée par des pertes présente un caractère abusif (existence d’un montage artificiel).

Rappel

Une réduction de capital non motivée par des pertes, consécutive à un rachat de titres préalablement effectué par la société, peut prendre la forme d’une annulation du nombre de titres ou d’une réduction de la valeur nominale des titres.

Depuis l’intervention de la LFR 2014, le régime fiscal du rachat de ses propres titres préalable à une réduction de capital non motivée par des pertes par la société émettrice, est désormais unifié (CGI, art. 112, 6°) : les sommes reçues par les associés ou actionnaires dans ce cadre sont imposées selon le seul régime des plus-values (et non comme auparavant, selon un régime hybride, pour partie en dividendes, pour partie en plus-value).

Depuis quelques années déjà, le Comité de l’abus de droit fiscal a eu à connaître d’affaires dans le cadre desquelles l’Administration attaquait, sur le terrain de l’abus de droit, des opérations de rachat de titres suivies de réductions de capital non motivées par des pertes (notamment, affaire n°2020-23, séance du 14 janvier 2021, affaires n°2021-20, n°2021-18 et n°2021-19, séance du 1er octobre 2021).

Il a, à cette occasion, indiqué que l’appréhension par un associé des sommes lui étant versées dans le cadre d’un rachat préalable à une réduction de capital non motivée par des pertes ne saurait caractériser un abus de droit au seul motif qu’il aurait choisi la voie la moins imposée pour bénéficier de la mise à disposition de sommes issues des réserves de la société (autrement dit, pas de sanction du choix de l’option fiscale la moins onéreuse).

En revanche, il a précisé qu’il en irait différemment si l’Administration se trouvait en mesure d’établir au vu de l’ensemble des circonstances, qu’une telle opération (en particulier si elle est effectuée de manière récurrente) constitue un montage artificiel – contraire de fait à l’intention du législateur – permettant à ses associés de bénéficier du régime plus avantageux des plus-values et de l’abattement pour durée de détention le cas échéant versus la taxation de dividendes.

L’histoire

Une SARL, détenue à parts égales par ses 2 associés et co-gérants, exerçait une activité principale de prestations informatiques consistant, pour l’essentiel, à éditer et exploiter un site internet. De manière plus accessoire, elle exerçait également une activité de marketing direct et de régie sur internet.

En 2015, la société a cédé le site internet à l’un de ses concurrents. Quelques mois plus tard, il a été décidé, lors de l’AGO annuelle, d’affecter l’important bénéfice comptable de l’exercice au compte « autres réserves ». Les 2 associés ont ensuite décidé de procéder à une réduction massive du capital de la société, à la double condition suspensive que la société rachète ses propres parts et qu’il n’y ait pas d’opposition des créanciers. Ils ont, en outre, décidé, le même jour, du principe d’une augmentation de capital social par incorporation de réserves.

La société a ainsi racheté, en novembre 2015, à ses associés 498 des 500 parts que comportait le capital social, avant qu’il ne soit procédé à une réduction de capital par voie d’annulation des 498 parts auto-détenues par la société.

Au terme de cette opération, le capital de la société se trouvait ainsi constitué de 2 parts sociales détenues à parité par les 2 associés. Ces derniers ont ensuite décidé de procéder à une augmentation de capital par incorporation de réserves, par création de 98 nouvelles parts sociales, leur étant attribuées à égalité.

Les gains retirés par les associés du rachat par la société de ses propres titres ont bénéficié des dispositions de l’article 112, 6° du CGI et ont été imposés, en intégralité, selon le régime des plus-values de cession de valeurs mobilières, au titre duquel ils ont bénéficié de l’abattement de détention renforcé de 85 % prévu à l’article 150-0 D, 1 quater, A, 3° du CGI.

L’Administration a remis en cause, sur le terrain de l’abus de droit, les modalités d’imposition des gains, estimant que le rachat par la société de ses propres titres ne poursuivait aucun des objectifs assignés aux réductions de capital, mais était en réalité exclusivement motivé par la volonté des associés d’appréhender des dividendes sous le régime plus favorable des plus-values de cession de titres, en contrariété avec l’intention du législateur, aucun motif autre que fiscal ne justifiant par ailleurs cette réduction de capital non motivée par des pertes.

L’affaire a été portée devant le Comité de l’abus de droit, lequel a écarté l’existence d’un abus de droit, considérant que l’opération était motivée par une finalité économique propre (affaire n°2020-23, séance du 14 janvier 2021).

L’Administration a décidé de ne pas suivre l’avis du Comité, et l’affaire a été portée devant les juridictions.

La décision du TA de Bordeaux

Le TA de Bordeaux juge, contrairement au Comité, que l’opération litigieuse doit être regardée comme un montage artificiel, même si elle ne présente pas un caractère de récurrence, dont la motivation est exclusivement fiscale.

Sur le caractère artificiel de l’opération, il souligne que le rachat des titres n’était motivé ni par le retrait d’un associé, ni par l’amélioration de la structure de financement, ni par la réduction des risques de la société vis-à-vis de ses créanciers, ni par la fidélisation des associés.

S’agissant du but exclusivement fiscal de l’opération, il reprend les arguments mis en avant par l’Administration :

  • L’opération n’a eu aucun des effets normaux d’une réduction de capital par voie d’annulation de titres :
  • La réduction de capital n’a duré « que le temps de l’augmenter» – la réduction et l’augmentation ont d’ailleurs été prévues dans la même délibération ;
  • Aucun des associés n’a considéré que la surcapitalisation de la société était risquée et qu’il convenait pour cette raison de réduire le capital pour réduire l’exposition au risque ;
  • Le déroulement des actes et délibérations démontre que l’opération s’apparente à une distribution, d’autant qu’il n’y a eu aucune distribution officielle de dividendes ;
  • L’opération n’avait pas pour objectif de renforcer la position de l’un des associés (les 2 associés de la SARL n’ont jamais cessé de détenir la moitié du capital social, leurs prérogatives de droit de vote et de dividende n’ont jamais varié, et la répartition du capital de la société n’a pas été modifiée à l’issue de l’opération litigieuse) ;
  • La situation au regard de l’actionnariat demeure strictement identique à celle d’une distribution de dividendes, seule la procédure juridique et les postes comptables sur lesquels s’impute l’opération ont été différents de ceux relatifs à une distribution.

A l’inverse, l’argument avancé par les associés de la société tendant à justifier que l’opération de réduction de capital avait un but autre que fiscal, en l’espèce la réorganisation stratégique de la société à la suite de la cession de la branche d’activité que constituait son site internet, n’a pas emporté la conviction des juges du fond.

Rappelons que quelques mois plus tôt, le TA de Montpellier (TA de Montpellier, 12 février 2024, n°2201983) a également retenu l’existence d’un abus de droit dans le cas d’un rachat de titres suivi d’une réduction de capital non motivée par des pertes, prenant, là encore, le contre-pied de l’avis préalablement rendu par le Comité de l’abus de droit fiscal (avis n°2020-29 du 14 janvier 2021).

  • TA Bordeaux, 17 octobre 2024, n°2205287
Photo de Alice de Massiac
Alice de Massiac

Alice a développé depuis plus de 20 ans une large expertise en accompagnant de grands groupes en France et à l’international, tant en conseil qu’en contentieux, anticipant les impacts dans […]

Photo de Clara Maignan
Clara Maignan

Clara Maignan, avocat, a rejoint les équipes de Deloitte Société d’Avocats en 2011. Elle exerce au sein du Comité Scientifique Fiscal.

Agathe Saint Joanis

Agathe Saint Joanis a intégré Deloitte Société d’Avocats en 2019. Elle y a rejoint l’équipe du Comité Scientifique Fiscal.