Le Conseil d’État accueille la demande de l’Administration de substituer à l’amende pour factures de complaisance (CGI, art. 1737) la pénalité pour manœuvres frauduleuses de 80 % (CGI, art. 1729), alors même qu’elle avait préalablement renoncé au recouvrement de cette pénalité au stade de la proposition de rectification.
Rappel
Il résulte d’une jurisprudence constante du Conseil d’Etat que l’Administration est en droit, à tout moment de la procédure contentieuse, de justifier une pénalité en en modifiant le fondement juridique, à la double condition que :
- la substitution de base légale ainsi opérée ne prive le contribuable d’aucune des garanties de procédure prévues par la loi ;
- l’Administration invoque, au soutien de la demande de substitution de base légale, des faits qu’elle avait retenus pour motiver la pénalité initialement appliquée (CE, 1er octobre 1999, n°170598, Association pour l’unification du christianisme mondial).
L’histoire
Une société a été soumise à des rappels de TVA au titre des exercices 2011 à 2013.
Le redressement, relatif à une insuffisance de déclaration du CA soumis à la TVA, a été assorti de la pénalité pour manquement délibéré de 40 %, prévue à l’article 1729 du CGI.
L’Administration a, en outre, infligé à la société l’amende prévue à l’article 1737 du CGI, à raison de la déduction de TVA afférente à des factures de complaisance.
Le redressement ainsi que l’application des amendes et majorations ont été confirmés par les juges du fond, avant que l’affaire ne soit portée devant le Conseil d’Etat – devant lequel ne restaient en débat que les modalités de mise en œuvre des amendes et majorations.
La décision
Le Conseil d’Etat casse, pour erreur de droit, l’arrêt de la CAA de Paris, avant de se prononcer au fond sur les modalités de mise en œuvre de la majoration de 40 % pour manquement délibéré, ainsi que sur la demande de substitution de la pénalité de 80 % pour manœuvres frauduleuses en lieu et place de l’amende de 50 % pour factures de complaisance initialement appliquée.
Sur l’application de la pénalité de 40 % pour manquement délibéré (CGI, art. 1729)
Après avoir rappelé que, pour établir le manquement délibéré, l’Administration doit, d’une part, apporter la preuve de l’insuffisance, de l’inexactitude ou du caractère incomplet des déclarations et, d’autre part, prouver l’intention de l’intéressé d’éluder l’impôt (voir notamment, CE, 27 juin 2012, n°342991 ; CE, 11 février 2021 n°432960), le Conseil d’Etat juge que ces 2 critères sont remplis en l’espèce.
Il relève, à cet égard, que :
- La société requérante a omis 12 % de son CA soumis à la TVA en 2012 – omission s’élevant à 22 % en 2013 (critère objectif) ;
- La société avait déjà fait l’objet des mêmes redressements pour insuffisance de déclaration lors des 3 vérifications de comptabilité précédentes et ne pouvait, dès lors, ignorer son obligation de déclarer ses recettes soumises à la TVA (critère subjectif).
Sur la demande de substitution de base légale (pénalité pour manœuvres frauduleuses versus amende pour factures de complaisance).
Le Conseil d’Etat accepte de substituer à l’amende de 50 % pour factures de complaisance (CGI, art. 1737) appliquée à la société requérante à raison de la remise en cause de la déduction de TVA afférente à des factures de complaisance, la pénalité de 80 % pour manœuvres frauduleuses (CGI, art. 1729).
Pour trancher en ce sens, le Conseil d’Etat relève que l’Administration invoque, au soutien de sa demande de substitution, les faits qu’elle avait retenus pour motiver l’amende initialement appliquée. En l’espèce, la pénalité pour manœuvres frauduleuses de 80 % et l’amende prévue par l’article 1737 du CGI étaient toutes les 2 fondées sur l’utilisation par la société requérante de factures, émises par son sous-traitant, une société dirigée par un de ses associés, afin d’effectuer des versements occultes au bénéfice de ce dernier.
Le Conseil d’Etat juge, par ailleurs, qu’une substitution de base légale peut être effectuée entre l’amende pour factures de complaisance et la majoration de 80 % pour manœuvres frauduleuses, dès lors que l’amende et la majoration sont toutes 2 des pénalités fiscales.
Il valide dès lors la mise en œuvre de la pénalité de 80 % pour manœuvres frauduleuses dans la limite du quantum de l’amende pour factures de complaisance, initialement infligée.
Le Conseil d’Etat précise que le fait que l’administration fiscale avait renoncé au recouvrement de la pénalité pour manœuvres frauduleuses dans sa proposition de rectification n’était pas susceptible de remettre en cause cette substitution de base légale, dès lors qu’une telle renonciation ne crée aucun droit pour le contribuable.