La loi n° 2021-1774 du 24 décembre 2021 visant à accélérer l’égalité économique et professionnelle, pourrait être vue comme le dernier cadeau de Noël législatif de l’année.
En effet, elle tend à remédier aux difficultés que peuvent rencontrer les femmes dans leur vie professionnelle. Issue d’une proposition de loi déposée par la députée LREM Marie-Pierre Rixain, également présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, elle ambitionne à assurer la parité, et plus spécifiquement en faveur des femmes, encore sous-représentées.
Ce texte comporte des mesures très diverses, telles que la garantie de l’accès des femmes à leurs salaires et prestations familiales en rendant obligatoire leur versement sur un compte dont elles sont titulaires ou co-titulaires (arts. 1 à 3), l’obligation de prévoir les modalités d’accès au télétravail des femmes enceintes dans les accords collectifs ou les chartes d’entreprise (art. 5), ainsi que des dispositions spécifiques visant l’accès à la formation professionnelle (art. 4, art. 6), le monde de l’éducation nationale et de la recherche (arts. 7 à 12) et le domaine des entreprises (arts. 13 à 17).
Une démarche progressive de renforcement
La démarche législative pour développer la parité dans l’espace professionnel privé est apparue avec la loi Copé-Zimmermann du 27 janvier 2011. Ce texte posait un principe de représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance des sociétés cotées.
Son champ d’application était cependant limité puisque seules étaient concernées les sociétés anonymes (SA) et les sociétés en commandite par action (SCA) dont les titres de capital sont admis aux négociations sur un marché réglementé, avec un chiffre d’affaires (ou total du bilan) d’au moins 50 millions d’euros et qui emploient au moins 250 salariés permanents, et cela durant 3 exercices consécutifs. En bref, les sociétés cotées.
Lorsqu’une de ces entreprises passe ces seuils, son conseil d’administration ou de surveillance doit respecter une proportion d’au moins 40 % de membres de chaque sexe (art. L225-18-1 et L22-10-3 ccom ; L225-69-1, L22-10-21, L226-4-1 et L22-10-74 ccom).
C’est un mécanisme de quotas. Cette loi s’est révélée efficace : la France est en effet le pays le plus avancé en termes de parité dans la gouvernance des sociétés privées au sein de l’UE et parmi les pays membres de l’OCDE (2019 = 44, 6 % de femmes dans les CA des sociétés du CAC 40, 43,6 % dans les sociétés du SBF120 ; comparativement, en 2018, la moyenne au sein de l’UE est de 26,7 %. Pour comparaison, aux Etats-Unis, la proportion de femmes dans les CA des sociétés du S&P 500 est seulement de 27 %, et uniquement 14,8% pour l’indice Topix100 (Japon).
Cette apparente réussite ne doit pas masquer une tout autre réalité, en creux, qui est que la loi Copé Zimmermann n’a pas eu d’effet d’entraînement. Seuls les organes de gouvernance visés par le code de commerce ont connu une évolution en terme de parité.
Souhaitant éviter toute nouvelle législation, le code de gouvernement des entreprises (le code Afep-Medef), lors d’une mise à jour de janvier 2020, a inscrit un principe de « politique de mixité femmes/hommes au sein des instances dirigeantes » en recommandant que « sur proposition de la direction générale, le conseil détermine des objectifs de mixité au sein des instances dirigeantes » (art. 7 .1).
Sans que l’effet d’entraînement de cette recommandation n’ait eu le temps de se révéler, la loi dite « loi Rixain » fut adoptée le 24 décembre 2021.
Ces différents ajouts législatifs établissent ainsi la grille de lecture suivante :
Les nouvelles obligations promouvant la parité
Concernant les sociétés commerciales (la loi dit « entreprises », mais suppose des salariés), la loi Rixain aménage un dispositif préexistant (indicateur d’écart de salaire), instaure deux nouveaux indicateurs de parité et crée un dispositif nouveau en imposant des quotas de mixité des cadres et au sein des instances dirigeantes.
Un Indicateur d’écart de rémunération (art. 13)
En 2018, le législateur a rendu obligatoire « dans les entreprises d’au moins cinquante salariés » que « l’employeur publie chaque année des indicateurs relatifs aux écarts de rémunération entre les femmes et les hommes et aux actions mises en œuvre pour les supprimer, selon des modalités et une méthodologie définie par décret » (art. L1142-8 c. trav.).
Le nouveau texte renforce le dispositif en prévoyant des obligations de publicité :
- des indicateurs annuels d’écarts de salaires rendus publics sur le site du ministère du travail
- l’employeur qui doit, soit par une négociation professionnelle soit unilatéralement, apporter des mesures de correction les fait connaître par une communication externe et au sein de l’entreprise (modalités fixées par décret futur)
- l’employeur qui se situe en deçà d’un seuil fixé par décret, en termes d’écart de salaire, a l’obligation de fixer et de publier les objectifs de progression (modalités fixées par décret futur)
Quotas dans les instances dirigeantes (art. 14).
La loi, dont l’objectif est d’accélérer l’égalité économique et professionnelle, impose une proportion minimale (quotas) de personnes de chaque sexe pour les postes de cadres dirigeants et pour les membres des instances dirigeantes.
Dispositif
Les quotas, de 30, puis 40 %, entreront en vigueur de manière progressive, et leur non-respect obligera à régularisation, à défaut de laquelle une sanction pourra être prononcée.
Régularisation
Une période de deux ans à compter de la constatation du non-respect du quota, avec publication des objectifs et des mesures de correction adoptés (à un an, et à deux ans) est accordée aux entreprises qui ne respectent pas les quotas
Sanction
Passée la période de 2 ans, le non-respect des quotas sera sanctionné par une « pénalité financière » plafonnée à 1 % de l’ensemble des rémunérations salariés de la société. Il reviendra à une autorité administrative de prononcer cette amende en tenant compte du contexte propre à l’entreprise (situation initiale, efforts déployés, causes d’un seuil en-deçà des exigences, etc.).
Les entreprises concernées sont dorénavant tenues, annuellement, de publier les écarts de représentation entre les sexes pour ces deux groupes (indicateur pour les cadres/indicateur concernant les instances dirigeantes).
Personnes visées
La détermination des cadres est faite par renvoi à l’article L3111-2 du code du travail : le périmètre est ici « précis ».
En revanche, la notion d’instances dirigeantes est moins évidente. La loi Rixain ajoute donc un nouvel article au code de commerce, spécifiant que « est considéré comme instance dirigeante toute instance mise en place au sein de la société, par tout acte ou toute pratique sociétaire, aux fins d’assister régulièrement les organes chargés de la direction générale dans l’exercice de leurs missions » (nouvel art. L23-12-1 ccom).
Concrètement, cela renvoie sans aucun doute aux « Codir » et autres « Comex » mais laisse subsister une relative indétermination.
Des exigences de quotas ou d’objectifs de parité sont également introduits pour la gouvernance des sociétés d’assurance mutuelle (conseil d’administration) et pour les sociétés de portefeuille (parmi les personnes/organes qui prennent les décisions d’investissement).
Les mesures concernant BPI France
Désormais, BPI France doit publier la répartition par sexe des membres de ses comités d’investissement, dont la proportion de chaque sexe ne peut être inférieure à 30 %, puis ultérieurement 40 %.
Elle doit également fixer des objectifs de progression afin d’arriver à « une représentation équilibrée des femmes et des hommes » bénéficiant de certaines des mesures qu’elle met en œuvre (actions en faveur de l’entrepreneuriat, développement des entreprises, accès aux prêts).
En outre, non seulement BPI France reçoit la mission de soutenir les entreprises engagées en faveur de l’égalité professionnelle femmes/hommes, mais surtout, elle devra conditionner l’octroi de ses financements (prêts/fonds propres) au respect de l’obligation de publication des indicateurs de parité.
Champ d’application
En premier lieu, le seul critère est celui du nombre de salariés employés par une entité. En utilisant le terme « entreprise », cela ne limite pas cette obligation de mixité aux seules sociétés commerciales, bien qu’en pratique, ce sont elles qui sont le plus directement concernées. Le seuil de 1000 est rattaché à une seule et unique entité.
Car, en second lieu, il n’est absolument pas tenu compte du concept de groupe de sociétés. Il n’est donc pas nécessaire de s’interroger sur les liens capitalistiques ou de contrôle (au sens du Code de commerce).
Ensuite, en troisième lieu, le seuil de 1000 concerne exclusivement des salariés. Cela exclu donc toute autre forme de relation de travail, et notamment les associations ou sociétés d’exercice libéral (avocats, médecins, etc.) qui sont des « libéraux » et non des salariés (et cela quel que soit leur traitement social et fiscal : BNC, TNS, auto-entrepreneur, etc.).
Enfin, seule une entreprise qui emploie au moins 1000 salariés durant trois exercices successifs, est soumise aux obligations de parité des cadres et des instances dirigeantes.
Une entrée en vigueur progressive des dispositions légales et du champ d’application
Les dispositions de la loi n° 2021-1774 qui nous intéressent à titre principal, c’est-à-dire celles issues de l’article 14, bénéficient d’un délai d’entrée en vigueur particulièrement long, car s’étalant de 2022 à 2029.
Sous réserve de la mauvaise rédaction du texte (sortie ainsi des arbitrages consécutifs au lobbying), le système est relativement cohérent :
- 2022 : mise en place, suivi et collecte de l’information relative aux écarts (avec, potentiellement, un effet d’entraînement durant cette période)
- 2023 : publication des premiers indicateurs, qui sont rendus publics
- 2026 : écart de représentation qui ne peut être inférieur à 30 % (sans sanctions)
- 2029 : écart de représentation qui ne peut être inférieur à 40 %
- 2029 : entrée en vigueur des sanctions (obligation de mise en conformité dans les deux ans)
- 2031 : première date de potentielles pénalités financières
Deux observations conclusives. On peut regretter de devoir passer par un mécanisme de quotas, fort éloigné de la tradition juridique française, mais alors on reste avec le constat que rien ne bouge. Or, l’efficacité de la loi Copé-Zimmermann permet de savoir que la transformation des comportements, du moins pour la parité, est efficacement entrainée par un texte de loi.
Reste que le délai de mise en application est inutilement long… preuve que le lobbying fonctionne très bien.