Une solution inédite : lorsque le droit de la consommation s’invite dans le droit des sociétés !

La qualité d’associé d’une société commerciale n’avait jusqu’ici pas de liens avec la qualité de consommateur. Mais la première chambre civile de la Cour de cassation a rendu une décision inattendue (Cass. 1re civ., 20 avr. 2022, n° 20-19043, F–B) qui vient bousculer les certitudes en la matière.

Rappel des faits

Comme souvent, les faits à l’origine de cette décision sont banals : des époux contractent un prêt auprès d’une banque afin d’acquérir des parts sociales dans une SARL spécialisée dans les activités de boulangerie. N’ayant pas réglé les échéances du prêt, la banque fait réaliser une saisie-attribution sur leurs comptes afin d’en obtenir le paiement.

Pour s’opposer à cette saisie-attribution, les époux introduisent une action en nullité considérant que l’action de la banque était prescrite en vertu de la prescription biennale de l’article L.137-2 devenu L.218-2 du Code de la consommation, dispositions applicables aux consommateurs.

Le juge de l’exécution accueillit favorablement cette action, mais sa décision était ensuite infirmée par la Cour d’appel qui a considéré, sur le fondement de l’article L.110-4 du Code de commerce, que la prescription biennale n’était pas applicable aux époux, car le prêt souscrit visait à financer l’acquisition de parts sociales, ce qui excluait la qualité de consommateur.

C’est cette solution qui est cassée sur le fondement de l’article L.137-2 devenu L.218-2 du Code de la consommation, qui dispose que l’action des professionnels, pour les biens ou services qu’ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans. La motivation de la Cour d’appel, fondée sur la nature de la cession, ne convainc pas les magistrats du quai de l’Horloge pour lesquels « l’acquisition de parts sociales ne suffisait pas, à elle seule, à exclure la qualité de consommateur des emprunteurs. »

La Cour de cassation complète le visa du Code de la consommation par un attendu de principe inédit : « La personne physique qui souscrit un prêt destiné à financer l’acquisition de parts sociales ne perd la qualité de consommateur que si elle agit à des fins qui entrent dans le cadre de son activité professionnelle. »

Une application très large du droit de la consommation

Le principe est désormais que l’acquéreur personne physique de titres sociaux, également emprunteur, est a priori un consommateur au sens juridique du terme.

Cela signifie qu’il agit a priori à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale suivant la définition que donne du consommateur l’article liminaire du Code de la consommation.

La solution conduit à ce que la démonstration du lien entre l’activité professionnelle de l’acquéreur-emprunteur personne physique de titres sociaux soit systématiquement rapportée pour que les dispositions du Code de la consommation ne s’appliquent pas.

Pour écarter la cassation, il eut fallu que le caractère professionnel de l’opération ait été suffisamment caractérisé par l’arrêt d’appel. Cela n’est pas précisé dans l’arrêt de la Cour de cassation, mais on peut imaginer qu’une telle démonstration eut été concevable au regard des faits de l’espèce si l’on songe que le pourvoi en cassation était formé par des acquéreurs de parts d’une SARL dont l’objet social était l’activité de boulangerie alors qu’eux même travaillaient dans ce même domaine.

Mais faute d’une telle démonstration suffisamment motivée dans le dispositif de l’arrêt d’appel,   l’application du droit de la consommation permet à la personne physique de se prévaloir de tous les mécanismes protecteurs du Code de la consommation, dont la prescription biennale.

De multiples questions en suspens

La solution, dépourvue d’ambiguïté dans son principe, suscite des interrogations compte tenu de sa très large portée.

Certes, quelques certitudes existent. Ainsi, la solution ne se limite pas aux parts sociales de SARL et devrait s’appliquer à tous les acquéreurs de titres de capital, et donc d’actions également. Il fait aussi peu de doutes que la solution n’englobe pas les cessions de titres de sociétés dont les associés sont commerçants. Par définition, l’acte d’acquisition n’est pas un acte de consommation au sens du Code de la consommation. La solution ne devrait pas, non plus, viser les cessions de contrôle, dont l’objet même est précisément l’exercice des pouvoirs au sein de la société, et donc a priori d’une activité professionnelle.

Mais l’arrêt révèle aussi des incertitudes, dont trois sont particulièrement saillantes.

La première tient aux actes mêmes passés pour la cession. Dans l’hypothèse, jusqu’à présent la plus fréquente, selon laquelle tous les actes sont muets sur le lien entre leur objet et l’activité de l’acquéreur personne physique, comment déterminer les contrats auxquels le droit de la consommation s’applique. En particulier, comme c’était le cas en l’espèce, un prêt a été contracté en vue de l’acquisition des titres en plus de l’acte de cession, quel droit faudra-t-il envisager d’appliquer en cas de contradiction entre ces deux contrats ?

La deuxième incertitude concerne le cas des dirigeants sociaux. Si l’acquisition donne lieu à la nomination de l’acquéreur-emprunteur comme dirigeant de la personne morale, ou qu’il occupe déjà cette fonction, cela suffit-il à écarter la qualité de consommateur ? L’arrêt ne permet pas de trancher.

Nous serions d’avis que cette circonstance de fait – à documenter donc dorénavant – exclut la protection au titre du droit de la consommation : la fonction de dirigeant est bien, en général, l’exercice d’une activité professionnelle.

La troisième incertitude provient du cas où l’acquisition des titres a lieu sans endettement et que le lien entre la cession et l’activité professionnelle de l’acquéreur n’est pas explicitement démontré. Dans une telle configuration, il n’y a pas d’obstacles à ce que la solution de la Cour de cassation soit transposée, mais l’attendu de la Haute Juridiction ne vise que le cas de la personne physique qui s’endette. 

 

À affaire banale, décision conséquente ! Cet arrêt doit en effet alerter les rédacteurs de contrats de prêts destinés à financer les acquisitions de titres sociaux par des personnes physiques. Il faut dorénavant documenter la qualité des contractants afin d’écarter toute insécurité sur la nature des dispositions applicables. Gageons enfin que cette nouvelle solution de la Cour de cassation peut être le prélude à d’autres décisions répondant aux diverses interrogations qu’elle soulève.

Photo d'Arnaud Raynouard
Arnaud Raynouard

Professeur des Universités à l’Université Paris-Dauphine, Arnaud Raynouard anime le Comité Scientifique Juridique du cabinet Deloitte Société d’Avocats. Agrégé en droit privé et sciences criminelles, et diplômé en gestion, Arnaud […]

Edouard Blémont Mouren

Corporate M&A lawyer.