Par un jugement en date du 21 novembre 2024 (Tribunal Administratif de Montreuil n° 2303528, 10e ch., 21 novembre 2024), le tribunal administratif de Montreuil, faisant application de la convention fiscale franco-belge actuellement en vigueur (10 mars 1964), reconnait la qualification de biens immobiliers à des actions de Société par Actions Simplifiée (SAS).
Le tribunal justifie sa décision en soutenant que la convention franco-belge ne contenant pas de définition spécifique de « biens immobiliers », il convient de se référer à la définition de « biens immobiliers » telle que prévue par l’article 244 bis A du Code Général des Impôts (CGI) auxquels sont assimilés les titres de sociétés à prépondérance immobilière. Il conclut en attribuant à la France le droit d’imposer la plus-value de cession des titres de la SAS dont l’actif est principalement constitué d’immeubles situés en France.
Le tribunal administratif semble ainsi retenir une définition extensive de la notion de biens immobiliers telle que prévue par la convention franco-belge. Cette position critiquable nous rappelle pourtant celle retenue par le Conseil d’État s’agissant de titres de sociétés civiles immobilières et n’est pas sans poser de nombreuses interrogations.
Le jugement
Lors de la cession des titres détenues dans une SAS française dont l’actif était principalement composé de biens immobiliers sis en France, une Société Anonyme (SA) de droit belge a considéré que la plus-value qu’elle avait réalisée n’était pas taxable en France dès lors que les titres d’une SAS ne pouvaient être qualifiés de biens immobiliers pour les besoins de l’application de la convention franco-belge. La société cédante se référait ainsi à la définition civiliste de biens immobiliers auxquels ne peuvent être assimilés des titres de sociétés qui constituent des biens mobiliers par nature.
Le tribunal administratif de Montreuil considère que, dès lors que la convention franco-belge ne prévoit pas de définition autonome de « biens immobiliers », il convient de se référer à celle prévue à l’article 244 bis A du CGI étendant, lorsqu’elle est réalisée par un non-résident, le traitement fiscal prévu pour la cession d’immeubles à celle des titres de sociétés à prépondérance immobilière. Pour rappel, selon l’article 244 bis A du CGI, sont qualifiés de titres de sociétés à prépondérance immobilière, les titres de sociétés, quelle qu’en soit la forme, non cotés sur un marché français ou étranger, dont l’actif est, à la clôture des trois exercices qui précèdent la cession, principalement constitué directement ou indirectement de biens ou droits immobiliers. Le tribunal administratif se réfère donc quant à lui à la loi fiscale française qui applique le même traitement fiscal à la plus-value dégagée par non-résident lors de la cession de titres de société à prépondérance immobilière qu’à celle d’un immeuble. Il en conclut enfin que les titres de SAS dont l’actif est principalement constitué d’immeubles localisés en France étant eux-mêmes des « biens immobiliers », la plus-value de cession y afférente, réalisée par une société résidente fiscale belge, doit être taxée en France.
Contexte de la décision du TA de Montreuil
L’application de la convention franco-belge du 10 mars 1964 donne naissance à de nombreuses difficultés car, contrairement à la large majorité des conventions rédigées selon le modèle OCDE, elle ne prévoit ni de définition propre de la notion de « biens immobiliers », ni de dispositions spécifiques traitant des gains en capital résultant de la cession des titres de sociétés. L’article 3 régissant les revenus provenant des biens immobiliers vise également les bénéfices résultant de l’aliénation des biens immobiliers. Pour la définition de la notion de « biens immobiliers », comme tout terme non expressément défini, l’article 22 de la convention renvoie à la loi de l’État contractant dans lequel les biens sont situés.
Le protocole final (Paragraphe 2 du protocole final de la convention du 10 mars 1964) de la convention qualifie également de biens immobiliers, au sens de l’article 3 susvisé, les droits sociaux possédés par les associés ou actionnaires des sociétés immobilières de copropriété qui sont traitées comme transparentes fiscalement en vertu de l’article 1655 ter du CGI. Cette extension de qualification s’explique par le fait qu’en droit fiscal français, les sociétés de copropriété ne sont dotées d’aucune personnalité fiscale. La cession de leurs titres reviendrait donc, par transparence, à céder la propriété des actifs immobiliers sous-jacents.
L’administration fiscale (BOI-INT-CVB-BEL-10-10, n°12, 12 décembre 2012) finit de semer la confusion considérant que le protocole susvisé n’a pas de caractère limitatif et, qu’à ce titre, le caractère de biens immobiliers peut être notamment reconnu de manière générale aux droits détenus dans certaines sociétés civiles immobilières qui sont fiscalement translucides et, donc, non régies par l’article 1655 ter du CGI. La doctrine administrative semble, à ce titre, aller au-delà de la lettre de la convention franco-belge en qualifiant de biens immobiliers des titres de sociétés translucides qui, contrairement aux sociétés de copropriété, possèdent bien la personnalité fiscale.
Malgré les nombreux arguments pouvant être soulevés pour soutenir l’illégalité de la doctrine administrative, le Conseil d’État a confirmé, dans une précédente affaire (Conseil d’État n° 436392, 8e – 3e chambres, 24 février 2020), la position de l’administration fiscale tendant à considérer que des titres de SCI translucides devaient être qualifiés de biens immobiliers au sens de la convention fiscale franco-belge. D’aucuns redoutaient que les juridictions, dans un sursaut de confusion, n’étendent cette position critiquable à des titres de sociétés opaques. C’est chose faite avec ce jugement du Tribunal de Montreuil.
Critique
Le TA de Montreuil refuse de retenir les critères du droit civil puisque, selon lui, la convention stipule expressément que, pour définir la notion de « bien immobilier », il convient de se référer à la législation fiscale des États contractants. Or, aucune disposition de droit fiscal français ne permet de qualifier de biens immobiliers des titres de sociétés dotées de personnalité fiscale.
Nous ne pouvons que constater que l’article 244 bis A du CGI, lui-même, ne fait pas un tel raccourci mais se contente d’appliquer aux titres de sociétés à prépondérance immobilière le même traitement en cas de cession par un non-résident. Il est d’ailleurs assez cocasse que le tribunal se soit exclusivement basé sur les dispositions de cet article pour motiver sa décision alors que ces dispositions semblent être en contradiction avec les motifs et dispositifs retenus par le tribunal.
En effet, l’article 244 bis A du CGI distingue clairement la catégorie de « biens immobiliers » visée à l’alinéa I, 3, a des titres de sociétés à prépondérance immobilières visés à l’alinéa I, 3, h. La rédaction même de cet article semble, ainsi, contredire la position retenue par le tribunal qui s’y réfère dans la mesure où, bien que soumis à un régime fiscal similaire, les biens immobiliers et les titres de sociétés à prépondérance immobilières sont reconnus comme constituant des classes d’actifs de natures différentes. Autrement, si la position du tribunal administratif devait être retenue, le seul alinéa de l’article 244 bis A du CGI visant les « biens immobiliers » aurait suffi pour la taxation de titres de sociétés à prépondérance immobilière sans besoin d’un alinéa supplémentaire ad hoc visant ces dernières.
Ainsi, il serait dans ce cas légitime de se poser la question de l’intérêt de la renégociation de la convention fiscale franco-belge signée le 9 Novembre 2021, de l’insertion d’une définition spécifique de « société à prépondérance immobilière » et d’un article traitant des gains en capital, s’il suffisait de se référer au droit fiscal français pour attribuer à la France le droit d’imposer ce gain sur la base de la seule référence à la notion de « biens immobiliers ». La convention franco-belge, dans sa nouvelle mouture, prévoit, certes, une similarité de traitement fiscal mais tout en reconnaissant, en ligne avec le modèle OCDE, que les titres de sociétés et les biens immobiliers sont deux classes d’actifs de natures différentes. Pour rappel, la nouvelle version de la convention n’est pas encore entrée en vigueur.
La solution rendue par le tribunal est d’autant plus remarquable qu’elle est contraire à celle qu’il avait retenu quelques années auparavant (TA Montreuil n° 1705505, 10e chambre, 7 juin 2019) lorsqu’il indiquait que « les plus-values résultant de la cession de parts sociales de sociétés immobilières assujetties à l’impôt sur les sociétés sont soumises au régime d’imposition des plus-values mobilières et ne constituent donc pas des immeubles au sens du droit fiscal français ». Il ajoutait alors que « les plus-values résultant de la cession des parts d’une société civile immobilière soumise à l’impôt sur les sociétés ne constituent pas des revenus de biens immobiliers ni des bénéfices résultant de l’aliénation de biens immobiliers au sens de l’article 3 de la convention fiscale franco-belge ». Par le jugement commenté, les juges du fond se rangent désormais derrière la position du Conseil d’État et reprennent la même méthodologie de lecture sans égard aux stipulations du paragraphe 2 du protocole précité. La décision de la haute juridiction administrative avait été, lors de son rendu, largement critiquée par les praticiens, pour les raisons susvisées.
Le jugement du tribunal de Montreuil n’ayant pas fait l’objet d’un appel, cette décision est définitive.