Aides d’État illégales : un assouplissement des modalités de contestation de leur récupération ?

Le Conseil d’État semble admettre un assouplissement, au plan des principes seulement, des modalités de contestation par un contribuable de la récupération d’une aide d’Etat illégale.

Éléments de contexte

Une société a bénéficié en 1999 et 2000 de l’exonération d’IS en faveur de la reprise d’entreprises en difficulté (CGI, art. 44 septies ancien), ultérieurement qualifiée d’aide d’Etat illégale par la Commission européenne, qui a ordonné sa récupération auprès des entreprises en ayant bénéficié (16 décembre 2003, n°2004/434/CE).

En 2005, cette société a été acquise, puis absorbée, par une société tierce.

C’est à l’encontre de cette dernière société que l’administration fiscale française a émis, en 2009, un 1er titre de perception, visant à récupérer l’aide litigieuse.

En 2010, ce titre de perception a été annulé par l’Administration, après consultation de la Commission européenne, laquelle a considéré que la cession de la société bénéficiaire de l’aide n’avait pas eu pour effet de transmettre le bénéfice de cette aide au cessionnaire.

L’Administration est finalement revenue sur sa décision, après une nouvelle consultation de la Commission européenne (défavorable cette fois à la société), a émis un 2ème titre de perception en 2012, in fine annulé par le juge de l’impôt pour vice de forme.

L’Administration a émis un ultime titre de perception en 2017, contesté par la société au double motif que (1) le délai de prescription de l’action en récupération de l’aide d’Etat illégale était expiré et que (2) le principe de confiance légitime y ferait obstacle.

La décision du Conseil d’État

Sur le délai de prescription de l’action en récupération de l’aide d’Etat illégale

Pour mémoire, le droit européen prévoit que les pouvoirs de la Commission en matière de récupération d’une aide d’Etat illégale sont soumis à un délai de prescription de 10 ans, lequel commence au jour d’octroi de l’aide à son bénéficiaire.

Ce délai est interrompu par « toute mesure prise par la Commission ou un Etat membre, agissant à la demande de la Commission, à l’égard de l’aide illégale », laquelle fait courir un nouveau délai de 10 ans, susceptible d’être suspendu en cas d’examen de la décision de la Commission par la CJUE (règlement 2015/1589, 13 juillet 2015, art. 17). 

La CJUE est récemment venue préciser que cette prescription décennale a uniquement vocation à s’appliquer aux rapports entre la Commission et l’Etat membre destinataire de la décision de récupération, et ne saurait être appliquée à la procédure de récupération d’une aide illégale par un Etat membre, laquelle demeure en principe soumise « au délai de prescription applicable dans la procédure nationale » (CJUE, 5 mars 2019, C-349/17, Eesti Pagar AS ; CJUE, 30 avril 2020, C-627/18, Nelson Antunes da Cunha Lda).

La Cour a néanmoins pris le soin de préciser que, dans l’hypothèse où le délai de prescription national expirerait avant même l’adoption de la décision de récupération par la Commission, ou se serait écoulé en raison du retard de l’Etat membre à exécuter cette décision, la prescription nationale pourrait alors être écartée (réserve fondée sur le principe d’effectivité du droit de l’UE).

Pour la première fois, semble-t-il, le Conseil d’État vient faire sienne la position retenue par la CJUE. En effet, jusqu’à présent, il considérait que le régime de récupération des aides d’Etat illégales était entièrement régi par le règlement européen (avec, donc, une application du délai décennal – voir notamment CE, 22 juillet 2015, n°367567).

Notons que certaines juridictions du fond avaient déjà fait application des principes dégagés par la CJUE dans ses décisions de 2019 et de 2020 précitées (notamment, CAA Nancy, 6 avril 2021, n°19NC02554).

Si le Conseil d’État pose le principe de l’inapplicabilité du délai décennal au profit du « délai de prescription national », il ne précise malheureusement pas quel est alors le délai national applicable (délai de reprise prévu par le LPF ? prescription quinquennale prévue par le droit civil ?).

Ainsi que le souligne le rapporteur public dans ses conclusions (suivies) sous la décision, l’incertitude résultant de cette question est « très inconfortable, tant pour l’Administration que pour les entreprises ». 

Affaire à suivre sur ce point donc – sous la réserve, elle, indéniable, du principe d’effectivité du droit de l’UE.

Sur l’invocabilité du principe de confiance légitime

Jusqu’à présent, le Conseil d’État jugeait de façon constante que le principe de confiance légitime ne permettait pas de faire obstacle à l’application d’une disposition législative interne prise en application d’une décision de la Commission européenne (CE, 16 mars 2016, n°377874, Rapa ; CE, 11 octobre 2017, n°393179, Apageo).

Ici, la société requérante ne se prévalait pas d’une confiance légitime dans la régularité de l’aide, mais bien dans la décision prise par l’Administration, après consultation de la Commission européenne en 2010, de ne pas la regarder comme bénéficiaire de l’aide litigieuse (décision ayant conduit, on le rappelle, à l’annulation du 1er titre de perception).

Le Conseil d’État juge que dès lors que la société requérante avait acquis la société bénéficiaire de l’aide d’Etat illégale avant que l’administration fiscale ne lui donne l’assurance qu’elle n’était pas regardée comme étant elle-même bénéficiaire de l’aide, celle-ci ne pouvait se prévaloir du principe de confiance légitime.

On notera, ainsi que l’indique le rapporteur public dans ses conclusions sous la décision, que cette analyse semble uniquement découler de la chronologie des faits.

Le Conseil d’État semble ainsi admettre, a contrario, qu’un contribuable puisse invoquer le principe de confiance légitime pour s’opposer à la récupération d’une aide illégale dans l’hypothèse où elle reposerait sur une prise de position de la Commission européenne elle-même (le rapporteur public cite, à titre d’exemple, des « assurances données directement à l’entreprise ou contenues dans tout écrit envoyé par la Commission, par exemple une réponse à une question du Parlement européen »).

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Alice de Massiac

Alice a développé depuis plus de 20 ans une large expertise en accompagnant de grands groupes en France et à l’international, tant en conseil qu’en contentieux, anticipant les impacts dans […]

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Clara Maignan

Clara Maignan, avocat, a rejoint les équipes de Deloitte Société d’Avocats en 2011. Elle exerce au sein du Comité Scientifique Fiscal.

Agathe Saint Joanis

Agathe Saint Joanis a intégré Deloitte Société d’Avocats en 2019. Elle y a rejoint l’équipe du Comité Scientifique Fiscal.