Le Conseil d’État juge que, pour assimiler une société étrangère à une société de droit français, le critère de la limitation de la responsabilité financière des associés à concurrence de leurs apports revêt un caractère décisif.
L’histoire
Une société de droit américain constituée en Californie sous la forme d’une Limited Liability Company (LLC) possède pour seuls actifs deux biens immobiliers situés en France.
Ces deux biens immobiliers sont mis à la disposition, gratuitement, des parents de l’un de ses associés. Les parents occupent l’un des deux biens et mettent le second à la disposition de leur salarié, à titre de logement de fonction.
A l’issue d’un contrôle fiscal portant sur les exercices 2011 et 2012, l’Administration a estimé que la LLC était passible de l’IS en France et l’a imposée à raison du montant des loyers qu’elle avait renoncé à percevoir.
S’en est alors suivi un long contentieux, qui a conduit le Conseil d’État à se prononcer dans le cadre d’une 1ère cassation. Il a jugé, à cette occasion, que la mise à disposition gratuite, à titre de résidence principale, des biens immobiliers aux parents de l’un des deux associés de la LLC, ne caractérisait pas, par elle-même, une activité lucrative permettant de l’assujettir à l’IS en France (CE, 13 novembre 2023, n°465852).
L’affaire a alors été renvoyée devant la CAA de Marseille, devant laquelle les débats se sont déplacés sur le terrain d’une possible assimilation de la LLC à une société française de capitaux (passible de l’IS à raison de sa forme).
La CAA de Marseille a répondu par la négative, considérant que la LLC devait, au contraire, être assimilée à une société de personnes, en se fondant notamment sur l’existence d’une clause d’agrément des nouveaux associés et le consentement obligatoire du gérant pour le retrait d’un associé, sans qu’y fasse, selon elle, obstacle, la circonstance que la responsabilité de ses membres soit limitée à la proportion de leurs apports.
Un nouveau pourvoi a été formé devant le Conseil d’État.
La décision du Conseil d’État (statuant en 2nde cassation)
Reprenant le considérant de principe dégagé dans son arrêt Artémis (24 novembre 2014, n°363556, Sté Artémis), le Conseil d’État rappelle que, saisi d’un litige portant sur le traitement fiscal d’une opération impliquant une société de droit étranger, le juge de l’impôt doit identifier au regard de l’ensemble des caractéristiques de cette société et du droit qui en régit la constitution et le fonctionnement, le type de société de droit français auquel la société de droit étranger est assimilable, afin de déterminer le régime applicable à l’opération par la loi fiscale française (méthode dite de « l’assimilation »).
Il censure ensuite pour erreur de droit la décision de la CAA de Marseille, lui faisant grief d’avoir regardé comme accessoire le critère de la limitation de la responsabilité financière des associés à concurrence de leurs apports, alors que celui-ci distingue les sociétés de capitaux des sociétés de personnes.
On notera que, dans ses conclusions (suivies), le rapporteur public insistait également sur le critère « décisif » de l’étendue de la responsabilité financière des associés, à tout le moins en « présence d’indices jouant en sens opposé, comme c’est le cas en l’espèce […], face à une société qui combine une clause d’agrément et une responsabilité limitée, autrement dit lorsque le rattachement pourrait apparaître en première analyse indécidable » (dans le même sens, voir CE, 27 juin 2016, n°386842, Emerald Shores LLC, où le critère de la responsabilité financière des associés a également semblé jouer un rôle primordial).
Jugeant ensuite l’affaire au fond, le Conseil d’État juge qu’au cas d’espèce, la LLC californienne doit être assimilée à une SAS, passible de l’IS en raison de sa forme, en se fondant sur les éléments suivants :
- L’éventuel décès de l’un ou l’autre des deux associés personnes physiques de la LLC est sans incidence sur son terme ;
- La responsabilité financière des associés est limitée à leurs apports ;
- La loi californienne laisse aux associés de LLC une grande liberté dans la détermination des clauses statutaires essentielles – liberté dont les associés ont fait usage en l’espèce (pouvoirs conférés à l’associé gestionnaire de la LLC dont l’accord est requis dans le cadre de l’admission d’un nouvel associé, possibilité de protéger le caractère familial du capital).
