La CAA de Versailles juge que le crédit d’impôt attaché aux redevances de concession de licences d’exploitation de brevets d’origine tunisienne n’est pas plafonné au montant de l’impôt français déterminé sur ces mêmes redevances (i.e. non-application de la règle du butoir).
Rappel
La convention fiscale franco-tunisienne de 1973 rattache l’imposition des redevances provenant de la concession de licences d’exploitation de brevets à l’État de destination (art. 19 § 2 de la convention). Elle plafonne le montant de la retenue à la source applicable dans l’État de la source des redevances à 15 % de leur montant brut (art. 19 b de la convention).
L’article de la convention visant à éliminer la double imposition prévoit de façon classique une exonération en France des revenus soumis exclusivement à l’impôt en Tunisie, et une imposition en France avec imputation d’une réduction d’impôt égale à l’impôt prélevé en Tunisie pour les autres revenus, dont les redevances (art. 29 § 1 de la convention). De façon dérogatoire, un crédit d’impôt forfaitaire de 20 % de leur montant brut est disponible en France au titre des redevances reçues par un résident fiscal français d’un résident fiscal tunisien et provenant de la concession de licences d’exploitation de brevets (art. 29 § 1d de la convention).
Le présent litige, relatif aux impôts acquittés au titre des redevances provenant de la concession de licences d’exploitation de brevets en provenance de Tunisie, a conduit la Cour de Versailles à trancher la question de l’application de la règle du butoir à ces redevances et de l’articulation entre les paragraphes 1b et 1d de l’article 29 de la convention.
L’histoire
Au cours des exercices 2014 à 2016, une société française a perçu des redevances d’origine tunisienne au titre de la concession de licences de brevet. Ces redevances ont été soumises à une RAS de 15 % en Tunisie (plafond de l’art. 19 § 2b de la convention franco-tunisienne précitée) et à l’IS en France au taux de 15 % (art. 39 terdecies du CGI).
Afin de déterminer le montant des crédits d’impôts imputables sur l’impôt français, la société a plafonné le montant du crédit d’impôt imputable (20 %) au montant de l’IS afférent à ces redevances (15 %).
Elle a par la suite estimé avoir appliqué à tort cette règle du butoir et a demandé à l’Administration, par voie de réclamation, un dégrèvement d’impôt à hauteur des 5 % complémentaire.
La décision
Comme l’y invitait le rapporteur public dans ses conclusions sous la décision, la CAA de Versailles tranche directement le litige au regard de la convention fiscale, celui-ci ne portant que sur des stipulations de la convention relatives aux modalités d’élimination des doubles impositions et non sur la « répartition du droit d’imposer » (voir en ce sens CE, 31 mai 2022, n°461519, Min. c/Sté HSBC Bank PLC Paris Branch).
Puis, elle relève que :
- L’art. 29 § 1b de la convention franco-tunisienne doit être interprété littéralement : en ce qui concerne notamment les redevances, la France peut, en conformité avec les dispositions de sa législation, les comprendre dans la base des impôts pour leur montant brut ; mais elle accorde sur le montant des impôts afférents à ces revenus une réduction correspondant au montant des impôts prélevés en Tunisie sur ces mêmes revenus.
- Elle considère ainsi que l’utilisation du terme « réduction» confirme l’existence, en cas de double imposition, d’un plafonnement du crédit d’impôt imputable en France, égal au montant de l’impôt français correspondant.
- En ce qui concerne le crédit d’impôt forfaitaire, l’art. 29 § 1d de la convention franco-tunisienne :
- a vocation à s’appliquer conjointement avec l’art. 29 § 1b ; et
- aménage une règle particulière pour les redevances provenant notamment de la concession de licences d’exploitation de brevets: il prévoit ainsi un avantage de nature différente de celui de l’art. 29 § 1b, i.e. un « crédit d’impôt » et non une « réduction » ; et
- il institue dès lors une dérogation à la règle générale du § 1b.
En conséquence, la Cour juge que les redevances provenant de la concession de licence d’exploitation de brevets imposées en Tunisie ouvrent droit à un crédit d’impôt en France égal à 20 % de leur montant brut sans considération de la (i) la RAS effectivement acquittée en Tunisie et (ii) de l’impôt payé en France.
Elle rejette ainsi le pourvoi formé par l’Administration et confirme le jugement du TA.
On notera que dans ses conclusions sous l’affaire HSBC, le rapporteur public avait, pour sa part , estimé que la règle du butoir « est implicite dès lors que l’objet d’une telle convention est seulement d’éliminer la double imposition et que ses stipulations ne peuvent par suite être interprétées comme permettant d’aller au-delà » (CE, 31 mai 2022, n°461519, Min. c/Sté HSBC Bank PLC Paris Branch).
Néanmoins, le rapporteur public rappelle dans ses conclusions sous la présente décision que : « […] la convention franco-tunisienne a été signée le 28 mai 1973, à une époque où les conventions fiscales négociées par la grande majorité des pays de l’OCDE n’avaient pas seulement pour objet de neutraliser la double imposition mais également d’encourager leurs entreprises à investir dans des États en voie de développement. Ces conventions fiscales s’inséraient pleinement dans la politique d’aide au développement des membres de l’OCDE. À cette fin, […] la France introduisait dans ces conventions des clauses prévoyant le versement de crédits d’impôt forfaitaires supérieurs au montant de l’impôt effectivement acquitté (clauses de « matching credit »), voire parfois le versement de crédits d’impôt en l’absence de tout prélèvement dans l’État source du revenu (clauses de « tax sparing »). Le d) du 1 de l’article 29 de la convention fiscale franco-tunisienne nous paraît devoir être lu à cette aune : il s’agit bien d’une clause de matching credit en ce qu’elle prévoit un dispositif de crédit d’impôt forfaitaire, partiellement fictif.
De telles clauses sont d’ailleurs prévues par le modèle OCDE qui précise en son point 74 qu’un crédit d’impôt fictif peut prendre la forme d’un crédit d’impôt partiellement fictif, fixé à un taux supérieur à l’impôt de l’État de résidence sur lequel il est imputé. […] leur disparition n’est possible qu’à l’occasion d’une renégociation des conventions existantes. »