Le Conseil d’État juge qu’en dépit de la modification des règles fiscales applicables aux coûts d’emprunt, le maintien par une société de la méthode comptable appliquée jusqu’alors ne traduit pas l’exercice d’une nouvelle option comptable dont la société serait tenue de tirer les conséquences pour la détermination de son résultat fiscal.
Jusqu’à l’adoption du décret n°2005-1702 du 28 décembre 2005, relatif aux règles d’évaluation des immobilisations, l’article 38 quinquies de l’annexe III au CGI interdisait expressément la prise en compte des frais financiers dans le prix de revient des immobilisations produites par une entreprise. Les frais financiers supportés dans ce cadre devaient obligatoirement être déduits fiscalement de l’exercice au cours duquel ils étaient engagés. La possibilité comptable d’inclure les frais financiers dans la valeur d’inscription des actifs (art. 321-5 du PCG) était sans impact sur le traitement fiscal.
Avec l’article 38 undecies de l’annexe III au CGI créé par ce décret de 2005, le droit fiscal offre, pour tout exercice clos à compter de sa date de publication, la possibilité aux entreprises soit d’incorporer au prix de revient des immobilisations/stocks les charges financières afférentes à leur financement, soit de déduire ces dernières en charges en tant qu’intérêts courus. Ce choix est irrévocable et s’applique à tous les coûts d’emprunt servant à financer l’acquisition ou la production d’immobilisations, de stocks et d’encours.
En l’espèce, une société exploitait des concessions autoroutières et inscrivait à l’actif de son bilan les ouvrages autoroutiers qu’elle réalisait pour un prix de revient incluant les « intérêts intercalaires » au titre des emprunts souscrits pour les financer.
Jusqu’au 31 décembre 2004, ne disposant d’aucune autre possibilité, fiscalement, elle déduisait ces mêmes intérêts du résultat fiscal des exercices au cours desquels ils étaient supportés.
À l’occasion d’un contrôle fiscal portant sur les exercices 2007, 2008 et 2009, l’Administration a remis en cause cette position que la société avait maintenue : elle estimait, conformément à son actuelle doctrine (BOI-BIC-PVMV-10-20-20-20120912 n°340), que le traitement des intérêts devait être identique comptablement et fiscalement – prônant une connexion fiscalo-comptable – et a réintégré ces frais financiers dans le bénéfice des exercices en cause.
Dès lors il s’agissait de savoir si, après l’introduction de l’article 38 undecies de l’annexe III au CGI, une entreprise qui continuait de comptabiliser les coûts d’emprunt en les incorporant au prix de revient de l’actif pouvait se voir opposer fiscalement ce choix comptable.
La CAA de Versailles rejette les arguments de la société et considère qu’à compter du 1er janvier 2005, l’option comptable d’incorporation des frais financiers au prix de revient des actifs n’étant plus incompatible avec les règles fiscales, la société était tenue de retenir le même traitement fiscal que le choix comptable.
N’ayant pas convaincu les juges du fond, la société saisit le Conseil d’État.
Le Conseil d’État se lance dans ce cadre dans l’analyse des textes comptables. Il considère que l’option offerte par les textes comptables sur l’incorporation des frais financiers n’a pas été modifiée le 1er janvier 2005 par le règlement CRC du 23 novembre 2004, une telle option étant prévue par l’article 331-1 du PCG issue du règlement CRC du 29 avril 1999.
Puis il rappelle le principe de permanence des méthodes comptables qui interdit à la société, dès lors qu’elle avait opté avant 2005 pour l’incorporation des frais financiers au prix de revient des actifs, de revenir comptablement sur cette option, à défaut de modification des règles comptables applicables.
Enfin, le Conseil d’État conclut que la circonstance que la société ait maintenu, pour les exercices ouverts à compter de 2005, le traitement comptable qu’elle avait antérieurement adopté ne traduisait pas, à compter de ces exercices, l’exercice d’une nouvelle option comptable dont elle aurait été tenue de tirer les conséquences pour la détermination de son résultat fiscal, dès lors qu’elle était désormais compatible avec la loi fiscale.
Alors que la jurisprudence des dernières années a pu reconnaître dans de nombreuses situations le principe de connexion entre la fiscalité et la comptabilité (voir par ex. CE, 23 décembre 2013, n°346018, Foncière du Rond-Point – en ce qui concerne le traitement fiscal des provisions ; CE 9e-10e ch. 4 décembre 2019 n°420414, Sté Crédit Agricole – pour ce qui est des commissions pour frais de dossier perçues par un établissement bancaire à l’occasion de l’octroi de prêts à sa clientèle, CE, 10e et 9e ss-sect., 13 juill. 2011, n°311844, min. c/ SA GH Mumm & Cie – pour les primes de remboursement), cet arrêt ne nous semble pas, au regard des circonstances de fait de l’espèce, initier une dérogation à ce principe.
Cette décision est aussi l’occasion de rappeler que l’option comptable pour l’incorporation des frais financiers au prix de revient n’est pas sans effet fiscal à plusieurs titres :
- en raison de la baisse du taux d’IS, une déduction anticipée sous forme de charge est préférable à une déduction étalée sous forme d’amortissement ou constatée lors de la sortie de l’actif (en cas de bien non amortissable)
- en cas d’immobilisation passible de la CFE et évaluée selon la méthode comptable, la déduction sous forme de charge est également à préférer.