L’OCDE s’intéresse aux activités de trésorerie de groupe

Le 3 juillet 2018, l’OCDE a publié dans le cadre des Actions 8-10 du BEPS un projet de discussion sur les transactions financières. Ce projet fournit des orientations afin de déterminer si les conditions de certaines transactions financières sont conformes au principe de pleine concurrence.

Même si le Projet proposé n’a pas réussi, pour le moment, à faire consensus entre les Etats membres, il a le mérite d’aborder de nombreuses questions sur la matière financière qui étaient jusque-là ignorées tant dans les Principes OCDE que dans les discussions entourant BEPS.

Ce projet s’articule autour de quatre sections :

Délimitation précise des transactions financières

Pour l’OCDE, la délimitation d’une transaction financière doit être réalisée tant au niveau de la structure de capital que des caractéristiques économiquement significatives de la transaction même.

La structure de capital d’une entité indépendante peut ne pas être identique à celle d’une entité faisant partie d’un groupe multinational, ce qui pourrait impacter le niveau d’intérêts payés dans la juridiction de l’entité multinationale. Dans cette situation, l’OCDE indique que, comme pour toutes transactions, la délimitation d’une transaction financière nécessite d’analyser les facteurs d’influence de l’entreprise (cycle de vie du secteur, réglementation, stratégie du groupe, etc.) ainsi que les caractéristiques propres à la transaction (dispositions contractuelles, fonctions exercées, risques supportés et actifs utilisés, etc.).

Pour l’OCDE, il convient également d’examiner les caractéristiques économiquement significatives de la transaction étudiée. A cet effet, il est nécessaire d’analyser :

  • Les dispositions contractuelles dont les conditions prévues dans le cadre d’accords écrits et les comportements effectifs des parties
  • Les fonctions exercées, risques assumés et actifs utilisés par les différentes parties prenantes à la transaction
  • Les caractéristiques des biens ou services financiers susceptibles d’agir sur leur prix
  • Les circonstances économiques qui peuvent avoir des conséquences sur le prix, comme la devise, l’emplacement géographique, le secteur, la réglementation, la date, etc.
  • Les stratégies des entreprises, dans la mesure où celles-ci pourraient avoir un impact significatif sur les conditions de la transaction

Relevons enfin que le Projet admet que les points évoqués ne sont que des recommandations et n’empêchent pas la mise en place d’autres approches dans le cadre de la législation nationale.

Fonction trésorerie

Le Projet reconnaît que la fonction trésorerie des groupes multinationaux peut varier selon leur structure, la complexité des activités ainsi que le degré d’autonomie accordé aux filiales. A cet égard, le Projet rappelle l’importance de mener une analyse fonctionnelle détaillée de l’activité de trésorerie et spécifique à la transaction étudiée.

Le Projet aborde ensuite trois activités clés de la fonction trésorerie :

  • L’octroi de prêts intragroupe. Afin de déterminer un taux d’intérêt de pleine concurrence, l’analyse doit prendre en compte à la fois la perspective du prêteur (évaluation des risques encourus) et celle de l’emprunteur (optimisation du WACC – Weighted Average Cost of Capital/Coût moyen pondéré du capital). Bien que le Projet admette que l’asymétrie d’information n’est pas identique entre des parties indépendantes et des parties liées, certains paramètres, comme la solvabilité, le risque de crédit ou l’environnement économique, doivent être pris en compte. Le Projet souligne que les notations de crédit peuvent être un indicateur utile pour une analyse de comparabilité. Plusieurs méthodes d’évaluation peuvent être utilisées à cet effet, néanmoins certains modèles s’appuient essentiellement sur des facteurs quantitatifs (par exemple, par des outils commerciaux), ce qui les rend bien moins fiables que les analyses réalisées par les agences de notation elles-mêmes. Le Projet indique ensuite qu’il convient de tenir compte du soutien implicite dont pourrait bénéficier l’emprunteur pour établir sa note, des clauses restrictives (covenants), des garanties potentielles et frais perçus au titre du prêt. D’un point de vue pratique, le projet confirme que la méthode CUP (Comparable Uncontrolled Price/Prix comparable sur le marché libre) est plus facilement applicable. Relevons, enfin, que le Projet rejette le recours aux « avis de banque » pour apporter la preuve que le principe de pleine concurrence est bien respecté.
  • La gestion centralisée de trésorerie (Cash pool). Bien que plusieurs formes de centralisation soient possibles, la mise en commun des trésoreries est généralement soit physique soit théorique. L’analyse d’un Cash pool ne doit pas se limiter aux caractéristiques de transactions mais doit également prendre en compte le contexte général comme, par exemple, la stratégie du groupe ou l’intensité fonctionnelle des participants. Dans le cas de l’entité responsable du Cash pool (Cash pool leader), la rémunération sera limitée si elle exercice seulement des fonctions de coordination ou d’agent. Si ses fonctions devaient aller au-delà alors il convient d’attribuer une rémunération plus élevée selon d’autres approches, non spécifiées dans le Projet. En ce qui concerne les entités participantes, les gains issus du Cash pool peuvent être répartis selon trois approches :
    – l’amélioration des taux d’intérêts appliqués à tous les participants (débiteurs et créditeurs),
    – l’application d’un même taux à tous les participants (débiteurs et créditeurs),
    – l’attribution des avantages issus du Cash pool aux seuls déposants.
    Relevons, enfin, que l’octroi de garanties réciproques ou de droits à compensation, pourrait être approprié dans le cadre d’un Cash pool. Dans la mesure où l’amélioration de la capacité de crédit est attribuable au soutien implicite du groupe, aucune commission de garantie ne devrait être versée.
  • Les opérations de couverture. Afin de diminuer les risques financiers (taux, change, etc.), il est fréquent que les groupes aient recours à des instruments de couverture. Les opérations de couverture sont souvent centralisées si bien que les filiales voient leurs risques couverts sans avoir effectué elles-mêmes les opérations de couverture. Pour ce service, l’entreprise responsable devrait recevoir une rémunération de pleine concurrence. Cet exercice peut se révéler plus complexe si le contrat est conclu directement avec l’entité centralisatrice ou une autre entité que la filiale bénéficiaire, prise isolément.

Garanties

Comme pour les autres transactions financières, le Projet souligne l’importance de délimiter avec précision la transaction, notamment en établissant la nature et la portée de la garantie.

Le Projet distingue plusieurs formes de garanties. Une garantie explicite est un engagement juridique qui permet au bénéficiaire de profiter de conditions d’emprunt plus favorables (prix, volume), qui doit faire l’objet d’une contrepartie financière. Il convient à cet égard de démontrer que celle-ci confère un avantage à l’emprunteur. A défaut, une rémunération ne serait pas justifiée. A noter, qu’une « lettre de confort » ne saurait être assimilée à une garantie explicite. En l’absence d’une garantie explicite, l’emprunteur pourrait bénéficier du soutien implicite du groupe mais cette association passive ne pourrait être assimilée à un service et ne justifierait donc pas du versement d’une commission. Enfin, la mise en place de garanties réciproques peut se révéler particulièrement complexe à analyser, dans la mesure où le nombre de garanties peut être élevé et qu’il est difficile de déterminer les effets d’une garantie entre deux sociétés.

Pour évaluer le prix de pleine concurrence d’une commission de garantie, le projet liste cinq approches possibles :

  • La méthode CUP
  • La méthode du rendement (Yield approach)
  • La méthode du coût 
  • La méthode de l’évaluation de la perte escomptée (expected loss approach)
  • La méthode du soutien en capital

Sociétés d’assurance captives

Dans le cadre d’un groupe d’entreprises, une captive d’assurance est une entité qui mutualise et assure le risque de l’ensemble des filiales du groupe pour in fine le réassurer auprès d’un assureur tiers indépendant. Ce dispositif permet au groupe d’entreprises de répartir son risque et donc de diminuer le montant des primes versées.

Comme pour toute transaction financière, il convient, en amont, de délimiter précisément la transaction effective. Ensuite, le Projet propose plusieurs méthodes afin de déterminer le prix des primes versées par les filiales auprès de l’entité captive liée. Tout d’abord, une méthode CUP peut être appliquée à partir de comparables internes ou externes. Une analyse actuarielle peut en outre aider à déterminer le montant de la prime due (analyse des sinistres attendus, coûts associés et ajout d’une marge). Il peut être, en outre, possible d’analyser la rentabilité de la société captive dans des conditions de pleine concurrence en tenant compte du ratio combiné de la captive ainsi que du rendement des capitaux investis. Le Projet fournit à cet égard des précisions sur les synergies de groupe et les agents commerciaux.

Benjamin Conort

Benjamin Conort est Senior manager au sein de l’équipe Prix de Transfert de Deloitte Société d’Avocats. Benjamin est, entre autres, spécialisé dans l’analyse des transactions financières. Ses compétences recouvrent la […]

Christopher Vitoux

Diplômé d’un Master 2 en Droit Financier (Sorbonne) et d’un Master 2 en Fiscalité Internationale (Panthéon-Assas/HEC Paris), Christopher est consultant-économiste au sein du Département Prix de transfert, notamment pour le […]