Opérations de M&A en Afrique : quelles spécificités juridiques ?

Les opérations de M&A en Afrique s’opèrent dans un environnement dont les spécificités juridiques et réglementaires doivent être anticipées lors de la réalisation d’une due diligence afin de confirmer la valorisation des cibles et de couvrir les éventuels risques au sein de la documentation transactionnelle.

L’ensemble des vérifications auxquelles l’on procède afin de sécuriser une acquisition ou une fusion suppose, pour bien analyser la situation de la société cible, d’accéder aux données nécessaires, d’identifier la réglementation pertinente et d’engager un dialogue collaboratif avec le management des cibles ainsi que les autorités publiques le cas échéant.

Sur le plan de la méthodologie, une opération de M&A demeure une opération de M&A où qu’elle soit menée. Le contexte juridique et les spécificités réglementaires, fiscales, et culturelles étant chaque fois propres au lieu de réalisation de l’opération, leur prise en considération constitue néanmoins, avec force évidence, un point de départ incontournable.

L’Afrique : une situation complexe et simplifiée

Tout d’abord complexe en raison d’un classique double chevauchement des droits nationaux lorsque la cible et l’investisseur relèvent de pays distincts, mais également des droits régionaux, en raison de la coexistence de plusieurs ensembles à vocation régionale : d’une part, on retrouve les 8 Communautés Économiques Régionales (CER) reconnues par l’Union Africaine, et d’autre part la CEMAC, l’UEMOA, la CEPGL, etc., ainsi que des organisations d’intégration fonctionnelle, telles que l’OHADA. Or, chacun de ces ensembles, système juridique national et intégrations régionales, participent à la production d’un cadre normatif.

Mais la situation est également simplifiée lorsque l’on rencontre une intégration régionale qui harmonise ou unifie les règles applicables à plusieurs pays. Cela est particulièrement vrai s’agissant de l’OHADA.

Cette capacité à naviguer dans les différents environnements juridiques, riches et en croissance, devient alors une compétence indispensable avant tout investissement sur le continent.

L’accès à l’information : un écosystème en maturation

Tout d’abord, il est primordial de comprendre le contexte dans lequel la due diligence sera réalisée. L’accès à l’information est fréquemment entravé par un accès restreint au management de la cible, non-acculturé à l’ouverture du capital à des investisseurs étrangers, et un accès limité à l’information.

De manière très pratique, l’information est rarement organisée et stockée en data room électronique, dont le mécanisme demeure assez peu développé en Afrique, mais le plus souvent sur un sharepoint où de nombreux documents sont téléversés, rendant la sélection de l’information délicate tout en soulevant quelques interrogations quant à la protection des données partagées.

Fournir aux vendeurs une Information Request List aussi spécifique que possible afin de faciliter la collecte des données significatives pour la due diligence devient alors nécessaire.

Naviguer au cœur d’un écosystème réglementaire multiple

Les différentes réglementations applicables selon la zone régionale et/ou sous-régionale, le pays et le secteur d’activité concerné n’est pas non plus un point à négliger.

Bien que l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA) harmonise ou unifie les règles applicables à plusieurs pays, elle ne dispose pas d’un « Acte uniforme » traitant des investissements directs et indirects étrangers, qui serait applicable à ses pays membres.
À défaut donc, sont applicables aux investissements étrangers les réglementations édictées par les organisations sous-régionales de la Communauté Économique et Monétaire d’Afrique Centrale (CEMAC) et de l’Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA) dont les pays membres sont également membres de l’OHADA.

Cette hétérogénéité des textes, source de complexité, doit inviter les investisseurs à faire preuve d’une grande vigilance lors de leurs opérations d’acquisition.

Des investissements étrangers principalement soumis au régime déclaratif

En dépit de cette complexité liée à l’enchevêtrement des droits et à la fragmentation des systèmes juridiques nationaux, l’approche reste globalement similaire d’une région économique à l’autre. En effet, on constate que les diverses organisations régionales adoptent majoritairement une approche principalement déclarative.

Tout l’enjeu consiste alors à déterminer les différentes instances concernées par l’opération considérée, en fonction des regroupements économiques et des réglementations nationales pour chaque pays concernés. En pratique, il faut donc identifier et notifier chaque projet d’acquisition à l’autorité sectorielle compétente du pays concerné, sans oublier les obligations déclaratives auprès des organisations régionales.

Dès lors, afin d’éviter toute déconvenue, il est nécessaire de disposer d’un relais local, habitué à dialoguer avec les différentes parties prenantes et les autorités compétentes en vue de faciliter la réalisation de la transaction.

La règlementation des changes : exemples de la CEMAC et de l’UEMOA

La CEMAC, qui regroupe plusieurs pays d’Afrique centrale, et l’UEMOA, son pendant en Afrique de l’Ouest, fournissent des exemples d’obligations déclaratives normées avec plusieurs critères à respecter pour les investissements au sein de leur influence économique.

Le Règlement n°2/18/CEMAC/UMAC/CM portant réglementation des changes dans la zone CEMAC en date du 21 décembre 2018, prévoit que les investissements directs et de portefeuille sont libres (article 116) bien que soumis à une obligation déclarative par l’investisseur ou son mandataire auprès de la Banque centrale et du Ministre chargé de la monnaie et du crédit au moins 30 jours avant la réalisation de l’opération (articles 118 et 122). Les investissements de portefeuille en provenance de l’étranger sont soumis aux mêmes formalités déclaratives, dans le même délai et auprès des mêmes autorités (article 129).

Rappelons que, selon l’Instruction CEMAC n° 003/GR/2020, sont considérées comme un investissement direct étranger, les prises de participation ou souscriptions de parts sociales dans des entreprises existantes ou en création pour des montants représentants au moins 10 % du capital (article 3).

La Banque Centrale vérifie alors la conformité de l’opération au regard de la réglementation des changes et de celle relative à la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Constatant la conformité à ces exigences, la Banque centrale prend alors acte de la déclaration de l’opération. En cas de non-conformité, la Banque des États d’Afrique Centrale (BEAC), également banque centrale de la CEMAC, peut solliciter un complément d’information et/ou exiger la mise en œuvre de mesures complémentaires pour assurer la conformité de l’opération déclarée, voires’opposer à sa réalisation (Instruction CEMAC n° 003/GR/2020, article 6).

Au sein de l’UEMOA, une obligation déclarative, dite déclaration statistique, auprès de la Direction chargée des finances extérieures et de la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) est également requise. En outre, la liquidation des investissements étrangers au sein de l’UEMOA doit être justifiée auprès de l’intermédiaire agréé (Règlement n°09/2010/CM UEMOA/, article 10).

La structuration de la transaction et la couverture au sein de la documentation transactionnelle des risques identifiés

Choisir la nationalité de l’acquéreur

Une fois les différentes obligations déclaratives et critères identifiés pour mener à bien l’opération, il convient de déterminer la « nationalité » du véhicule d’investissement (généralement, une société commerciale). Autre élément majeur de toute transaction, ce critère peut différer selon le secteur d’activité concerné, et le pourcentage de détention peut être limité en fonction de la nationalité de l’acquéreur.

C’est ainsi qu’en Guinée, les « personnes physiques ou morales de nationalité étrangère ne peuvent détenir, directement ou à travers des sociétés de droit guinéen, plus de 40 % des titres sociaux d’entreprises engagées en Guinée dans les activités suivantes :

  • la publication de quotidiens ou périodiques d’information générale ou politique ;
  • la diffusion de programmes télévisés ou radiophoniques.

La direction effective des entreprises visées à l’alinéa précédent est assurée par des personnes physiques de nationalité guinéenne résidant en Guinée » (Code des investissements de la République de Guinée, article 6).

Au Mali, l’égalité de traitement entre investisseur étranger et investisseur local est érigée en principe au sein de son Code des investissements (article 6) avec toutefois une réserve selon le secteur d’activité concerné.

Les partenariats public-privé (PPP) sont une autre illustration des conditions de nationalité imposées aux investisseurs étrangers. Au Sénégal, ce type de partenariat est encadré par le Décret n° 2021-1443 du 2 mars 2021. Ainsi, une société peut être titulaire d’un contrat de partenariat public privé sous réserve d’être immatriculée au Sénégal ou dans un pays membre de l’UEMOA (article 24). Ensuite, dans les 3 mois suivants la signature du contrat de partenariat, la société titulaire du contrat de partenariat doit constituer une société de droit sénégalais dédiée à la mise en œuvre du projet et détenir à minima 33 % de son capital (article 26).
En outre, la gouvernance de la société titulaire du contrat de partenariat doit être assurée par au moins 50 % de personnes physiques ressortissantes d’un État membre de l’UEMOA (article 24). Ces obligations sont toutefois à relativiser dans la mesure où la procédure d’appel d’offres sera ouverte à l’ensemble des opérateurs économiques, y compris étrangers, en cas d’appel d’offres infructueux réservé en priorité aux entreprises nationales et communautaires (article 25).

Enfin, un autre levier de structuration de la transaction consiste à anticiper la gestion des droits des minoritaires au sein de la société cible (dont la protection fait l’objet d’une réglementation assez spécifique au sein de l’Acte uniforme portant droits des sociétés commerciales et du Groupement d’intérêt économique (AUDSCGIE).

Pour cela, la due diligence permettra d’identifier les clauses restreignant le transfert de titres stipulées au sein du pacte d’actionnaire, s’il existe. À défaut, il peut être opportun de prévoir la rédaction d’un pacte d’actionnaires, en vue de la future gouvernance de la cible.

Le véhicule d’investissement et le choix de sa domiciliation

Pour les fonds d’investissement, il est usuel de créer une holding d’acquisition dont le choix de domiciliation dépendra des avantages fiscaux qu’offre le pays où elle est immatriculée.

Au Maroc, la place financière, dite « Casablanca Finance City », constitue une véritable porte d’entrée vers les marchés de nombreux pays africains avec lesquels ont été conclus des partenariats en vue de favoriser l’investissement (par exemple : Mali, Sénégal, Guinée, Côte d’Ivoire, Congo, Gabon, Afrique du Sud, Ile Maurice, Madagascar) et des conventions fiscales bilatérales conclues entre le Maroc et les pays précités.

Casablanca Finance City offre un écosystème structuré et un cadre favorable aux investisseurs étrangers : services de domiciliation aux investisseurs, des facilités de change en comparaison avec les dispositions de droit commun prévues par l’Instruction Générale de l’Office des Changes. Les entreprises bénéficiant du statut Casablanca Finance City sont soumises à un taux d’impôt sur les sociétés de 20 %, indépendamment du bénéfice net réalisé Les sociétés nouvellement créées bénéficient de l’exonération totale de l’impôt sur les sociétés pendant les cinq premières années ou prorata temporis pour les sociétés créées avant l’octroi du statut Casablanca Finance City. Ces avantages fiscaux n’ont pas été amendés par la loi de finances pour l’année budgétaire 2024 (projet de loi de finances n° 50-22 pour l’année budgétaire 2023, art. 6, Maroc).

La documentation transactionnelle

Enfin, et toujours d’un point de vue pratique, il est recommandé d’insérer au sein du Share purchase Agreement (le « SPA », contrat de cession des titres) des conditions suspensives portant sur la réalisation préalable des formalités déclaratives et l’obtention des autorisations auprès des autorités nationales et/ou communautaires compétentes.

La stipulation d’une Material Adverse Change clause (plus souvent dite « MAC clause ») est primordiale pour organiser la caducité ou la résiliation du contrat d’acquisition si la réalisation de la transaction devait être entravée par des velléités politiques de dernière minute, matérialisées par le refus d’une autorisation ministérielle par exemple, scénario toujours envisageable dans des secteurs d’activité stratégiques politiquement sensibles.

Enfin, conformément à l’usage des contrats internationaux, l’insertion d’une clause compromissoire précisant l’applicabilité d’un droit familier pour les parties et favorable à l’arbitrage, est absolument recommandée. Elle nécessite toutefois de bien évaluer la pertinence de cette solution alternative à la désignation d’une juridiction nationale. De manière générale, que ce soit au moyen d’un recours au juge (souvent déconseillé), ou à des arbitres, le litige est perçu comme un « conflit ouvert ». Il faut donc veiller à combiner ces clauses avec une clause de négociation amiable ou de médiation.

 

Des secteurs sous haute surveillance : le cas des secteurs stratégiques et sensibles

Ces différents points d’attention en tête, il faut également être vigilants lorsque l’investissement envisagé concerne ce qu’on désigne comme les secteurs stratégiques et sensibles, soit les TMT (technologie-média-télécommunication), les secteurs bancaire, l’assurance, l’éducation et la santé.

En effet, dans ces cas, en particulier, des autorités nationales sectorielles seront en charge de surveiller les transactions et plusieurs règles spécifiques, différentes d’un pays à l’autre, doivent être prises en compte en amont de toute opération.

À titre d’exemple, s’agissant d’un investissement dans le secteur bancaire au Libéria : la Banque centrale du pays, va évaluer l’acquéreur via un test de fit and proper et procèder à un contrôle préalable de la nature et des conditions de l’acquisition.

La cible et l’acquéreur sont alors tenus de fournir à la Banque centrale (i) des informations sur les antécédents, les qualifications, les moyens financiers et l’expérience de l’acquéreur (tels que déterminés par un auditeur externe et/ou un tiers indépendant), (ii) une déclaration sur l’objectif de l’acquéreur dans son projet d’acquisition, et (iii) toute autre information que la Banque centrale pourrait exiger.

Jusqu’à l’approbation par la Banque centrale de l’acquisition des actions de la cible, l’acquéreur ne peut jouir d’aucun droit ou privilège réservé aux actionnaires et ce, même s’il est en possession d’un bulletin de souscription des actions acquises signé.

Autre exemple avec la Côte d’Ivoire qui prévoit un régime déclaratif dans les secteurs de la santé et des industries extractives (ordonnance N°2012-001 portant Code des investissements de la Côte d’Ivoire, article 32).

Des autorisations spécifiques d’investissements sont également prévues par les lois et/ou décrets des pays concernés qu’il convient donc de vérifier (conditions de fond et de forme).

Par exemple, au Gabon, l’investissement étranger dans le secteur des industries extractives nécessite une autorisation préalable du Ministère de l’Économie, telle que fixée par le Décret n°0673/PR/MECIT du 16 mai 2011.

Photo d'Arnaud Raynouard
Arnaud Raynouard

Professeur des Universités à l’Université Paris-Dauphine, Arnaud Raynouard anime le Comité Scientifique Juridique du cabinet Deloitte Société d’Avocats. Agrégé en droit privé et sciences criminelles, et diplômé en gestion, Arnaud […]

Mady Thiam

Mady a rejoint le cabinet après plusieurs expériences au sein de grandes entreprises et de cabinets d’avocats internationaux. Elle est impliquée dans divers sujets tels que les questions de droit […]