Précisions sur la méthode de détermination du prix de pleine concurrence

La CAA de Versailles apporte des précisions utiles sur le recours à la méthode transactionnelle de la marge nette (MTMN).

Rappel

L’Administration bénéficie d’une présomption simple de transfert indirect de bénéfices à l’étranger, dès lors qu’elle établit l’existence d’un lien de dépendance entre l’entreprise française et l’entreprise étrangère, ainsi que l’octroi d’avantages sans contreparties sous forme de majorations ou de minorations de prix, ou de tout autre moyen analogue. A défaut d’éléments précis permettant de déterminer le bénéfice imposable de l’entreprise française, il convient de procéder par comparaison avec les pratiques des entreprises similaires exploitées normalement, i.e dépourvues de liens de dépendance (CGI, art. 57).

L’histoire

Une société française, détenue à pratiquement 100 % par une société taïwanaise, exerçait une activité de commerce de gros d’ordinateurs et d’équipements informatiques.

A l’issue d’un contrôle portant sur les exercices 2010 à 2012, l’Administration a considéré que la société française achetait ses marchandises à sa mère taïwanaise à un prix anormalement élevé et a redressé le transfert de bénéfices consécutif sur le fondement de l’article 57 du CGI.

La décision de la CAA de Versailles

Lien de dépendance

Ainsi que le souligne, en premier lieu, la CAA de Versailles, le lien de dépendance ne faisait, en l’espèce, pas de doute (la société taïwanaise détenant sa filiale française à près de 100 % et étant de surcroît son fournisseur principal).

Substitution de la méthode « MTMN » à la méthode du prix de revient majoré

S’agissant ensuite de la détermination du prix de pleine concurrence, l’Administration a demandé à la société française des précisions sur la détermination des prix d’achat auprès de sa mère taïwanaise, et sur leur politique de prix de transfert. La société s’est bornée à produire 2 courriers de sa mère, dont il ressort notamment que cette dernière vend directement ses marchandises uniquement à ses 3 filiales européennes.

La Cour juge toutefois que la circonstance que les prix pratiqués par la société mère soient les mêmes pour l’ensemble de ses filiales en Europe n’est pas de nature à établir qu’ils sont, pour autant, formés dans des conditions de pleine concurrence.

Par ailleurs, la liste des prix fournis concernant chacune des filiales était trop ancienne (2006/2007 versus 2010/2012, d’autant que ces prix faisaient l’objet d’une révision mensuelle).

Elle en conclut que les éléments fournis par la société étaient insuffisants et ne permettaient pas de recourir à la méthode du prix de revient majoré.

Dès lors, l’Administration était fondée à lui substituer la méthode « MTMN » (« méthode transactionnelle de la marge nette », en comparant le ratio « résultat d’exploitation/chiffre d’affaires » observé au cours de la période d’imposition en litige et des 2 années précédentes avec le coefficient médian constaté, au cours des mêmes périodes, auprès d’un échantillon de 14 entreprises.

Le coefficient de marge nette de la société française était de -12,62 en 2010, -15,56 en 2011 et -9,42 en 2012, alors que la médiane des coefficients de l’échantillon d’entreprises était respectivement de 4,18, 3,63 et 2,43.

Pertinence des comparables

La société critiquait, elle, le choix des comparables et la pertinence de l’échantillon de sociétés utilisé par l’Administration. A cet égard, elle a elle-même proposé un échantillon de 14 sociétés, dont la médiane des coefficients était négative.

La Cour souligne toutefois que si les sociétés sélectionnées par l’Administration ne vendent pas exactement les mêmes matériels informatiques que la société, les 4 critères retenus pour constituer ce panel n’en sont pas moins pertinents :

  • Des entreprises autonomes détenues par un groupe
  • Ayant adopté le même code NAF que la société
  • Réalisant essentiellement une activité d’achat-revente
  • Dont le CA est compris entre 1m€ et 4 m€.

En outre, la Cour souligne que les sociétés retenues par la requérante dans son propre panel sont, pour certaines, de création récente, ce qui explique leur faible marge nette.

Enfin, la Cour relève que la société n’a par ailleurs justifié d’aucun argument permettant d’expliquer le caractère structurellement déficitaire de son exploitation, de sorte que l’Administration apporte bien la preuve de l’acquisition des marchandises à des prix anormalement élevés (car ne lui permettant pas de dégager des bénéfices), et que la présomption de l’article 57 du CGI peut jouer.

Existence d’une contrepartie ?

La société arguait que la contrepartie résidait dans le soutien que lui apportait sa société mère taïwanaise « qui lui permettait seul de se maintenir ». La Cour écarte l’argument, soulignant que le maintien d’une entreprise structurellement déficitaire depuis sa création est contraire aux buts poursuivis par une société commerciale.

Elle juge par conséquent le recours à l’article 57 du CGI fondé (ainsi que de la mise en évidence de revenus réputés distribués donnant prise à la retenue à la source de l’article 119 bis du CGI).

L’avis du praticien : Aymeric Nouaille-Degorce

Cet arrêt est une illustration supplémentaire de la façon dont l’Administration justifie et détermine des redressements en matière de prix de transfert lorsqu’elle est en mesure de comparer les résultats du contribuable à ceux de sociétés dites comparables. Au cas particulier, le débat a principalement porté sur la façon d’établir ce panel de comparables. L’Administration avait identifié un panel de comparables dans une base de données à partir de critères liés à leur indépendance, leurs activités et leur taille. Bien que l’ensemble des étapes permettant de vérifier les travaux de l’Administration n’ait pas été communiqué au contribuable (la liste exhaustive des sociétés qui répondaient aux critères des recherches dans la base de données mais qui n’auraient pas été in fine retenues par l’Administration), la Cour a validé la recherche de comparables de l’Administration. Par ailleurs, la Cour a considéré qu’un panel concurrent présenté par le contribuable n’était pas plus pertinent, en particulier du fait de la présence de sociétés nouvellement créées dans ce panel, ce qui expliquait leurs faibles marges. En l’absence de justification de pertes d’exploitation depuis plus de 10 ans et au regard de l’écart important avec le résultat médian des comparables retenus, la Cour juge que l’Administration a établi la présomption de transfert de bénéfices prévue à l’article 57 du CGI.

Il parait dommageable que le contribuable ne soit pas mis en mesure de vérifier l’ensemble des étapes de la recherche de comparables de l’administration puisque l’inclusion d’une ou plusieurs sociétés qui auraient été rejetées à tort par l’Administration modifierait automatiquement la médiane du panel de comparables final et dès lors le montant de la rectification. Par ailleurs, si l’arrêt fait référence à l’importance de l’écart entre les résultats du contribuable et la médiane des résultats des comparables, il n’y a nul débat sur l’existence d’un intervalle de ces résultats et la justification du point choisi par l’Administration dans cet intervalle. Par contraste, dans l’arrêt GE Medical Systems (CE, 6 juin 2018, n°409645), l’existence d’un intervalle était discutée et le Conseil d’Etat s’était assuré que la médiane constituait, dans les circonstances de l’espèce, le point de l’intervalle reflétant le mieux les faits et les circonstances des transactions concernées.

  • Voir CAA Versailles, 15 avril 2021, n°19VE01894
Aymeric Nouaille-Degorce

Aymeric Nouaille-Degorce, Avocat Associé, exerce au sein de l’équipe Prix de Transfert. Il a plus de 25 ans d’expérience en prix de transfert, dont six passés à Washington au sein […]

Photo de Alice de Massiac
Alice de Massiac

Alice a développé depuis plus de 20 ans une large expertise en accompagnant de grands groupes en France et à l’international, tant en conseil qu’en contentieux, anticipant les impacts dans […]

Photo de Clara Maignan
Clara Maignan

Clara Maignan, avocat, a rejoint les équipes de Deloitte Société d’Avocats en 2011. Elle exerce au sein du Comité Scientifique Fiscal.