Le Conseil d’État juge qu’un contribuable peut demander la restitution de la créance de CICE qu’il n’a pas été en mesure d’imputer, dans le délai de réclamation (LPF, art. R. 196-1), y compris s’il n’a pas respecté, dans les délais prescrits, les obligations déclaratives propres au CICE.
Rappel
Le CICE (crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi) a été instauré dans le cadre du Pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi du 6 novembre 2012. Il avait été institué en faveur des entreprises soumises à l’IS ou à l’IR d’après leur bénéfice réel, au titre des rémunérations qu’elles versaient à leur personnel salarié dans la limite de certains plafonds (CGI, art. 244 quater C). Le dispositif a ensuite été supprimé pour les rémunérations versées à compter du 1er janvier 2019 (à l’exception des rémunérations versées à des salariés affectés à des exploitations situées à Mayotte).
En application de l’article 199 ter C du CGI, les entreprises pouvaient imputer ce crédit d’impôt sur l’impôt dû au titre de l’année au cours de laquelle les rémunérations prises en compte pour le calcul du CICE avaient été versées. L’excédent constituait, le cas échéant, une créance sur l’État, pouvant être utilisée pour le paiement de l’impôt dû au titre des 3 années suivantes. La fraction non utilisée pouvait être remboursée à l’expiration de cette période (régime calqué sur celui du CIR).
Dans un premier temps, les entreprises ont été tenues au dépôt d’une déclaration spécifique dans les mêmes délais que le dépôt du relevé de solde de l’IS (déclaration 2079-CICE-SD). Puis, à compter de la campagne déclarative 2016, les entreprises n’étaient plus tenues qu’au dépôt d’une simple déclaration récapitulative de tous les crédits d’impôt dont elles avaient pu bénéficier, incluant le CICE, à joindre à leur déclaration de résultat (déclaration n°2069-RCI-SD).
L’histoire
Une société s’estimait titulaire d’une créance de CICE au titre de rémunérations versées au cours de l’année civile 2013. Elle n’a en revanche déposé aucune des déclarations prévues à cet effet.
N’ayant pas été en mesure d’imputer cette créance sur les impositions dues au titre des exercices clos les 30 avril 2014 à 2017, en raison de sa situation déficitaire, elle en a demandé le remboursement le 21 décembre 2017, en joignant à sa demande la déclaration n°2069-RCI-SD.
L’Administration a considéré que cette demande était tardive, dès lors que la société n’avait pas respecté son obligation déclarative au titre des exercices précédents. L’Administration ne remettait pas en cause le fait que la demande de remboursement de CICE elle-même puisse être effectuée dans le délai de réclamation (soit, au cas d’espèce, jusqu’au 31 décembre 2019), mais en la subordonnant implicitement à la condition que le contribuable ait respecté ses obligations déclaratives spécifiques au titre des exercices précédents.
La décision du Conseil d’État
Le Conseil d’État rappelle d’abord, par application d’une jurisprudence bien établie, que les dispositions qui prévoient que le bénéfice d’un avantage fiscal est demandé par voie déclarative n’ont, en principe, pas pour effet d’interdire au contribuable de régulariser sa situation dans le délai de réclamation, sauf si la loi a prévu que l’absence de demande dans le délai de déclaration entraîne la déchéance du droit à cet avantage, ou lorsqu’elle offre au contribuable une option entre différentes modalités d’imposition dont la mise en œuvre impose nécessairement qu’elle soit exercée dans un délai déterminé (voir en ce sens CE, 11 mai 2015, n°372924, SCS Sicli – pour les dégrèvements de taxe professionnelle pour investissements nouveaux ; CE, 14 juin 2017, n°397052 – en matière de prélèvement forfaitaire libératoire, ou encore CE, 22 novembre 2022, n°453168 – pour l’option pour l’étalement du revenu foncier à constater à la fin d’un bail à construction ; tout récemment, pour le bénéfice de différents suramortissements exceptionnels, CE, 22 décembre 2023, n°476379).
Il décline ensuite cette grille d’analyse au cas d’espèce et considère que les dispositions qui encadrent le CICE ne prévoient pas que l’absence de déclaration du CICE dans le délai prévu par l’article 49 septies Q entraînerait la perte du droit au bénéfice du CICE. Aussi, rien ne s’oppose à une régularisation, par le contribuable, de sa situation dans le délai de réclamation prévu à l’article R. 196-1 du LPF.
Il juge ainsi que la société était en droit de demander le remboursement de sa créance de CICE jusqu’à l’expiration du délai de réclamation prévu par l’article R. 196-1 du LPF (i.e. 31 décembre de la 2e année qui suit celle de la réalisation de l’évènement qui motive la réclamation – au cas d’espèce, la naissance, au 1er janvier de la 4e année suivant celle au cours de laquelle le CICE est constaté, du droit à remboursement de la fraction du crédit d’impôt non imputée), soit le 31 décembre 2019.
Cette solution devrait, selon nous, pouvoir être transposée au crédit d’impôt recherche.
Certes, dans une décision Sté financière Lucia, le Conseil d’État a jugé que le délai de réclamation du CIR ne pouvait courir qu’à compter du dépôt de la déclaration 2069-A-SD – mais c’était dans le contexte très particulier de l’année 2009, pour lequel le législateur avait prévu, de manière exceptionnelle, le remboursement immédiat du surplus du CIR par rapport à l’IS dû au titre de cette année (CE, 22 octobre 2018, n°405420).
En revanche, la CAA de Versailles a récemment pu juger, hors de ce cadre spécifique de 2009, que le dépôt de la déclaration 2069-A-SD constituait une simple formalité administrative, ne pouvant être assimilée à une réclamation préalable (CAA Versailles, 10 février 2022, n°20VE00581, décision devenue définitive à notre connaissance).