Régime de la marge et condition d’identité : la CAA de Bordeaux apporte une nouvelle grille de lecture

Par un arrêt du 25 juin 2024, « SARL BH Concept », la CAA de Bordeaux, sur renvoi du Conseil d’État, est venue préciser que les clauses de l’acte de vente pouvaient être déterminantes pour apprécier la condition d’identité indispensable à l’application du régime de la marge (CAA de Bordeaux n° 22BX02641, 5e chambre, 25 juin 2024, Inédit au recueil Lebon).

Un premier arrêt annulé pour erreur de droit

Au cas présent, le litige portait sur la remise en cause, par l’administration fiscale, du régime de la marge appliqué par la société BH Concept, qui exerçait une activité de marchand de biens, lors de la revente de parcelles de terrain à bâtir, lesquelles résultaient de divisions parcellaires autorisées préalablement à leur acquisition par la société.

Dans un premier arrêt en date du 7 avril 2022, la CAA de Bordeaux avait considéré que les terrains vendus par la société devaient être regardés comme ayant revêtu le caractère de terrains à bâtir lors de leur acquisition par cette dernière, dès lors que les terrains en question étaient issus de divisions parcellaires autorisées, de manière certaine et suffisamment détaillée, avant leur acquisition par la société (CAA de Bordeaux n° 20BX00181, 7e chambre (formation à 3), 7 avril 2022, Inédit au recueil Lebon).

Le Conseil d’État, devant lequel l’affaire avait été portée, ne l’avait pas entendu de cette oreille et avait sanctionné la CAA de Bordeaux pour erreur de droit (Conseil d’État n° 464561, 8e – 3e chambres réunies, 11 octobre 2022, mentionné dans les tables du recueil Lebon).

En effet, ce dernier rappelait que le régime de la marge ne s’applique qu’aux opérations de cession de terrains à bâtir acquis en vue de leur revente et ne s’applique donc pas à une cession de terrains à bâtir qui, lors de leur acquisition, avaient le caractère d’un terrain bâti.

Après ce rappel, le Conseil avait alors considéré que la CAA de Bordeaux avait commis une erreur de droit faute d’avoir recherché s’il ressortait des actes d’acquisition que ces terrains avaient été acquis par la société comme terrains à bâtir, distinctement des terrains supportant des constructions.

En conséquence, le Conseil d’État avait annulé l’arrêt du 7 avril 2022 précité et renvoyé l’affaire devant la même Cour.

La toute-puissance donnée à l’acte d’acquisition

À la suite de ce renvoi, la CAA de Bordeaux a de nouveau examiné l’affaire en se concentrant sur l’acte d’acquisition et, surtout, sur les stipulations de ce dernier.

C’est ainsi que cette dernière relève que :

  • les actes d’acquisition mentionnent exclusivement les références cadastrales du terrain initial ;
  • le bien objet de la mutation est désigné globalement, avec l’indication de sa contenance totale et la description des immeubles bâtis qu’ils comportent ; et
  • le prix stipulé est un prix global, sans aucune indication de ventilation entre la partie bâtie et la partie non bâtie.

La CAA de Bordeaux en conclut qu’il ne ressort pas des actes d’acquisition que ces terrains auraient été acquis par la société comme terrains à bâtir, distinctement des terrains supportant des constructions.

À cet égard, n’ont pas été regardés comme déterminants les éléments suivants :

  • L’obtention, par la société, avant l’acquisition, des autorisations de division et des certificats d’urbanisme opérationnels concernant des constructions sur les lots qu’elle envisageait de vendre.
  • Le fait qu’elle ait fait procéder, avant l’acquisition et avec l’accord des propriétaires, à des bornages et à des demandes de modifications cadastrales qui, pour certaines, avaient été accordées avant l’acquisition des biens.

Il convient de noter que la réponse ministérielle n° 91143, en date du 30 août 2016, qui prévoit, notamment, que « […] lorsque la division parcellaire est antérieure à l’acte d’acquisition initial ou qu’un document d’arpentage a été établi pour les besoins de la cession, permettant d’identifier les différentes parcelles dans l’acte, la taxation sur la marge s’applique dès lors qu’aucun changement physique ou de qualification juridique des parcelles cédées n’est intervenu avant la revente » a été regardée comme non applicable aux faits de l’espèce en ce qu’elle était postérieure aux faits de l’espèce. La CAA de Bordeaux précise toutefois que cette réponse n’est applicable qu’à la condition que les opérations entreprises préalablement à la cession permettent d’identifier les différentes parcelles dans l’acte, ce qui n’a pas été considéré comme étant le cas en l’espèce, l’acte d’acquisition ne faisant référence qu’au terrain initial.

Les enseignements à retenir

À notre avis, les enseignements à retenir de cet arrêt sont les suivants :

  • Au cas présent, de simples stipulations contractuelles l’ont emporté sur des éléments objectifs et vérifiables, alors qu’en d’autres matières ni l’Administration, ni le juge ne se sentent liés par la qualification donnée par les parties.
  • Une simple erreur de plume d’un tiers peut entrainer la déchéance du régime de la marge et, ainsi, remettre en cause le régime de TVA appliqué par l’assujetti.

On notera, par ailleurs, que la CAA de Lyon a, dans trois affaires récentes (CAA de Lyon nos 21LY03151, 23LY00242 et 24LY00859, 2e chambre, 4 juillet 2024, Inédit au recueil Lebon), fait également une lecture stricte des termes des actes d’acquisition et a ,ainsi, rejeté le régime de la marge au motif que l’acte d’acquisition ne faisait pas explicitement état de la vente de terrain à bâtir s’agissant des parcelles nues existantes et mentionnait un prix global – quand bien même un document d’arpentage daté d’avant l’acquisition, et établissant une division parcellaire, aurait été joint en annexe de l’acte  (CAA de Lyon n° 23LY00242, 2e chambre, 4 juillet 2024, Inédit au recueil Lebon).

Il conviendra donc, désormais, d’être particulièrement vigilant à la rédaction des actes d’acquisition, notamment à la clause relative à la désignation du bien (références cadastrales, contenance, description) et à la clause relative au prix.

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Anne Gerometta est Avocate Associée au sein de la ligne de services Taxes indirectes de Deloitte Société d’Avocats. Elle conseille les groupes internationaux dans la gestion de leurs problématiques de […]

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Delphine, Avocat Directeur, possède plus de 17 années d’expérience en fiscalité indirecte. Delphine a développé une expertise particulière dans les secteurs du manufacturing et de la TVA immobilière. Delphine est […]

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Mélinda Coraboeuf

Avocat Directrice au sein du Groupe Fiscalité Indirecte du cabinet Deloitte Société d’Avocats. Mélinda Coraboeuf dispose d’une expérience professionnelle de 8 ans en fiscalité indirecte et plus précisément en matière […]