Par un arrêt du 18 juin 2024, le Conseil d’État a transmis une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) sur la notion d’auteur d’œuvres d’art au sens de la directive TVA (CE, n° 465963, 18 juin 2024, Inédit au recueil Lebon).
Une affaire posant la question du régime optionnel de la marge
À l’issue d’une vérification de comptabilité de la Galerie Karsten Greve, l’administration fiscale a remis en cause le régime de la TVA sur marge qui avait été appliqué à la revente, en France, de tableaux de l’artiste Gideon Rubin. Ces tableaux avaient été acquis auprès de la société britannique Studio Rubin Gideon, dont l’artiste était l’un des deux associés ; Gideon Rubin ayant fait le choix d’exercer son art et de vendre ses œuvres dans le cadre d’une société.
Les reventes litigieuses faisaient donc suite, à l’époque, à des acquisitions intracommunautaires.
Pour rappel, le régime de la marge pour les ventes d’œuvres d’art par des assujettis-revendeur est applicable, dans certain cas, de plein droit et, dans d’autres, sur option.
S’agissant, au cas particulier, de ventes faisant suite à des acquisitions intracommunautaires taxables, seul le régime optionnel de la marge était susceptible de s’appliquer (à l’exclusion, donc, du régime de plein droit).
Ce régime optionnel, prévu à l’article 297 B du CGI, autorise notamment les assujettis-revendeurs d’œuvres d’art à opter pour l’application du régime de la marge pour les livraisons d’œuvres d’art subséquentes à une acquisition intracommunautaire soumise au taux de TVA de 10 % ou de 5,5 %, prévus, respectivement, par l’article 278 septies et par le I de l’article 278-0 bis, pour certaines livraisons.
Le taux de 5,5 %, prévu au I de l’article 278-0 bis du CGI, s’appliquait notamment aux acquisitions intracommunautaires d’œuvres ayant fait l’objet d’une livraison dans un autre État membre par un assujetti autre qu’un assujetti-revendeur.
Le taux de 10 %, à l’époque des faits, prévu à l’article 278 septies du CGI, s’appliquait notamment aux livraisons d’œuvres par leur auteur, ou ses ayants droits. Il est précisé, à cet égard, que les acquisitions intracommunautaires suivent, en principe, le même taux de TVA que celui auquel aurait été soumise l’opération si elle avait été réalisée dans le cadre d’une livraison domestique. Les acquisitions intracommunautaires d’œuvres d’art effectuées auprès de l’auteur situé dans un autre État membre relevaient, donc, normalement, à l’instar des livraisons effectuées par l’auteur, de ce taux.
La difficile et déterminante question de la notion d’ « auteur »
Le Conseil d’État a, donc, examiné si la Galerie Karsten Greve pouvait prétendre au régime optionnel de la marge, soit, première possibilité, au titre de reventes subséquentes à des acquisitions intracommunautaires d’œuvres ayant fait l’objet d’une livraison dans un autre État membre par un assujetti autre qu’un assujetti-revendeur ; soit, deuxième possibilité, au titre de reventes subséquentes à des acquisitions intracommunautaires d’œuvres d’art effectuées auprès de l’auteur situé dans un autre État membre.
S’agissant de la première possibilité, le Conseil d’État a précisé que l’article 297 B du CGI, lu à la lumière de la Directive TVA, ne s’appliquait aux livraisons d’objets d’art consécutives à une acquisition intracommunautaire réalisée auprès d’un autre assujetti qu’un assujetti revendeur, qu’à la condition que cet autre assujetti effectue la livraison de tels objets à titre occasionnel. Le Conseil d’État a jugé que tel n’était pas le cas de la société britannique Studio Rubin Gideon, laquelle avait effectué, au cours de la période d’imposition en litige, des livraisons d’objets d’art à titre habituel.
S’agissant de la deuxième possibilité, la Cour administrative d’appel de Paris avait estimé que l’auteur ne pouvait être que l’artiste qui avait peint l’œuvre de sa main, de sorte que la société Studio Rubin Gideon, en sa qualité de personne morale, ne pouvait être regardée comme l’auteur des tableaux en cause.
Le Conseil d’État ne se montre pas aussi catégorique et, inspiré par la Rapporteure publique, considère que la réponse dépend des questions suivantes :
- Une personne morale peut-elle être regardée pour les besoins de la TVA comme « l’auteur » d’un tableau ? ; et
- En cas de réponse positive, quels sont les critères à prendre en considération pour apprécier, le cas échéant, la qualité d’auteur d’une personne morale ?
Le Conseil d’État considérant ces questions comme déterminantes pour la solution du litige et comme présentant des difficultés sérieuses, a décidé d’en saisir la CJUE et, jusqu’à ce que celle-ci se soit prononcée, de surseoir à statuer.
On attendra donc que la CJUE se prononce pour connaître la réponse à ses questions.
Rappelons toutefois que le régime optionnel de la marge sus-décrit, prévu à l’article 297 B du CGI, ainsi que l’article 278 septies du CGI prévoyant l’application du taux de TVA de 10 % et la référence aux livraisons faites par leurs auteurs au I de l’article 278-0 bis du CGI seront supprimés à compter du 1er janvier 2025.
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