La CJUE se prononce sur la compatibilité avec la liberté d’établissement de la législation britannique prévoyant neutralisation des plus-values issues de la cession d’actifs réalisée entre sociétés localisées au Royaume-Uni et appartenant à un même groupe fiscal.
L’affaire
En 2011, une société britannique a cédé des droits de propriété intellectuelle à une société sœur résidente d’un état tiers (plus-value n°1). Puis, en 2014, cette même société a cédé à sa mère établie dans un autre EM de l’UE la totalité du capital qu’elle détenait dans une de ses filiales (plus-value n°2).
Les plus-values dégagées lors de ces opérations ont fait l’objet d’une imposition immédiate au Royaume-Uni, les deux sociétés cessionnaires n’y ayant pas leur résidence fiscale.
Cette imposition a été contestée par la société britannique qui invoquait une différence de traitement fiscal entre les cessions d’actifs en cause (entre une cédante britannique et des acquéreurs non britanniques) et les cessions d’actifs réalisées entre les sociétés membres d’un groupe fiscal établies au Royaume-Uni.
En effet, le droit britannique prévoit que les cessions d’actifs entre sociétés membres d’un même groupe fiscal assujetties à l’impôt sur les sociétés au Royaume-Uni doivent « avoir lieu sur une base fiscalement neutre » (i.e. la cession est considérée comme ne faisant apparaître ni PV ni MV).
L’affaire a donc été portée devant les juridictions britanniques qui ont décidé d’adresser 6 questions préjudicielles à la CJUE. En substance, il s’agissait de déterminer si, dans le cadre des opérations de cessions d’actifs réalisées en 2011 et 2014, l’assujettissement de la société cédante à une imposition immédiate sans possibilité d’en reporter le paiement était compatible avec le droit de l’UE, tant au regard de la liberté d’établissement (TFUE, art. 49) qu’au regard de la libre circulation des capitaux (TFUE, art. 63).
La décision
Sur les libertés en cause : liberté d’établissement / libre circulation des capitaux
Dans un 1er temps, la CJUE juge qu’une législation nationale qui ne s’applique qu’aux groupes de sociétés ne relève pas du champ d’application de l’article 63 du TFUE (libre circulation des capitaux).
Elle fait ainsi application de sa jurisprudence Burda selon laquelle une législation nationale qui ne vise que des relations au sein d’un groupe de sociétés relève de manière prépondérante de la liberté d’établissement (CJUE, 26 juin 2008, C‑284/06), et juge par suite qu’il n’est pas nécessaire d’examiner sa conformité au principe de libre circulation des capitaux (voir en ce sens CJUE, 17 septembre 2009, C 182/08, Glaxo Wellcome, point 37 – « la Cour examine la mesure en cause, en principe, au regard de l’une seulement de ces deux libertés s’il s’avère que, dans les circonstances de l’espèce au principal, l’une d’elles est tout à fait secondaire par rapport à l’autre et peut lui être rattachée »).
Notons que la CJUE procède dans cette décision à un véritable effort pédagogique afin d’expliquer l’articulation entre ces 2 libertés.
Sur la cession d’actifs réalisée en 2011 auprès d’une société sœur résidente d’un État tiers : plus-value n°1
La CJUE juge que la législation nationale qui assujettit à une imposition immédiate une cession d’actifs effectuée par une société résidente d’un EM de l’UE à une société sœur établie dans un état tiers (qui ne dispose pas d’ES dans cet EM) ne constitue pas une restriction à la liberté d’établissement de la société mère européenne qui les détient toutes deux à 100%.
Pour trancher en ce sens, elle relève que la législation britannique en cause n’entraîne aucune différence de traitement en fonction du lieu de résidence de la société mère.
En effet, elle ne traite pas de manière plus favorable la filiale d’une société mère résidente britannique par rapport à la filiale comparable d’une société mère résidente d’un autre EM de l’UE. La filiale cessionnaire n’étant pas située au Royaume-Uni, la société cédante britannique aurait reçu le même traitement fiscal si leur société mère européenne commune était située au Royaume-Uni.
Sur la cession d’actifs réalisée en 2014 auprès de la société mère résidente d’un EM de l’UE : plus-value n°2
La CJUE relève que la législation britannique relative aux cessions intragroupes, réalisées entre les sociétés d’un même groupe fiscal, entraîne un traitement fiscal différent selon que la cession est réalisée au profit :
- d’une société britannique – PV exonérée d’impôt sur les sociétés; ou
- d’une société établie dans un autre EM de l’UE – PV assujettie à une imposition immédiate.
Ce traitement fiscal moins favorable constitue en conséquence une restriction à la liberté d’établissement prévue à l’article 49 du TFUE.
La Cour juge cependant que cette restriction est justifiée par la nécessité de préserver une répartition équilibrée des pouvoirs d’imposition entre les EM (voir en ce sens CJUE, 20 janvier 2021, C-484/19, Lexel), sans qu’il soit nécessaire de prévoir une possibilité de reporter le paiement de l’imposition pour garantir le caractère proportionné de cette restriction, celui-ci apparaissant rempli dès lors que :
- la société ayant obtenu, en contrepartie de la cession des actifs, un montant égal à leur pleine valeur de marché, elle ne devrait donc pas avoir de problème de trésorerie pour régler l’imposition immédiate (plus-value réalisée lors du fait générateur de l’impôt vs. plus-value latente en cas de transfert de siège) ;
- les autorités fiscales doivent s’assurer du paiement de l’impôt sur les plus-values réalisées pendant la période durant laquelle les actifs se trouvent dans leur juridiction fiscale ;
- le risque de non-paiement de l’impôt augmente en fonction de l’écoulement du temps.
On ne manquera pas de relever le parallèle qui pourra être fait avec la législation française (CGI, art. 223 F).