Intégration fiscale : articulation des différents mécanismes d’imputation des déficits en cas d’absorption de la société mère intégrante

Le CE vient clarifier les modalités d’articulation des différents mécanismes d’imputation des déficits en cas d’absorption d’une société mère intégrante et de constitution d’un nouveau groupe en application des dispositions de l’article 223, L, 6, c du CGI.

L’histoire

Au cours de l’exercice 2012, une société mère d’un groupe intégré, constituée d’elle-même et de 2 de ses filiales, a été absorbée par une autre de ses filiales, non membre de l’intégration fiscale, avec effet rétroactif au 1er janvier 2012.

Cette dernière a immédiatement constitué un nouveau groupe d’intégration fiscale avec les 2 filiales (par application des dispositions de l’article 223 L, 6, c, permettant de former « rétroactivement » un groupe intégré dès l’exercice d’absorption).

Dans ce contexte, elle a sollicité 2 agréments auprès de l’Administration, aux fins de se voir transférer :

  • Les déficits « propres », c’est-à-dire antérieurs à la 1re intégration, de l’ancienne société mère (CGI, art. 209, II – transfert sur agrément des déficits de l’absorbée à l’absorbante) ;
  • Les déficits d’ensemble du groupe ayant cessé (CGI, art. 223, I, 6). Pour mémoire, ce mécanisme permet à la société absorbante, lorsqu’elle crée un nouveau groupe fiscal, comprenant tout ou partie des filiales membres du groupe constitué par la société absorbée, de bénéficier du transfert du solde du déficit d’ensemble du groupe cessant, subsistant après imputation sur les réintégrations de sortie. Ce déficit peut ensuite être imputé sur les bénéfices de la société absorbante. Par dérogation, il peut également l’être sur les résultats des sociétés du groupe dissous qui font partie du nouveau groupe (mécanisme dit de « l’imputation sur une base élargie », CGI, art. 223, I, 5).

Au titre du 2e exercice d’intégration (2013), la nouvelle tête de groupe a demandé l’imputation de déficits, dans cet ordre et selon ces modalités :

  • Sur ses propres bénéfices:
    • des déficits dont elle disposait elle-même avant l’absorption de sa société mère ;
    • des déficits de la société absorbée antérieurs à la 1re intégration fiscale (transférés en application du II de l’article 209 du CGI) ;
    • des déficits d’ensemble du groupe ayant cessé (transférés en application de l’article 223, I, 6 du CGI).
  • Sur le résultat d’ensemble du nouveau groupe intégré:
    • du déficit d’ensemble généré par le nouveau groupe au titre de l’exercice 2012 (CGI, art. 223 C).

Des décisions favorables des juges du fond…

Le TA de Montreuil (TA Montreuil, 19 avril 2018, n°1703586), comme la CAA de Versailles (CAA Versailles, 11 février 2021, n°18VE02536), ont retenu des solutions très favorables à la société.

Ils ont jugé que les 3 mécanismes d’imputation des déficits étaient cumulables, et surtout, que le plafond d’imputation des déficits prévu à l’article 209, I du CGI (i.e. 1 m€, majoré de 50 % de la fraction du bénéfice qui excède cette limite) s’appliquait pour chacun d’entre eux, sans constituer un plafond unique qui viendrait limiter la somme des déficits imputables.

… remises en cause par une approche plus stricte du Conseil d’État

Le Conseil d’État ne se prononce, lui, que sur l’articulation du mécanisme d’imputation des déficits propres de l’ancienne société mère avec celui de l’imputation du déficit d’ensemble antérieurement subi par le groupe ayant cessé.

Il ne se prononce pas sur le plafonnement de l’imputation des déficits reportables en cas d’imputation de déficits de sources différentes comme l’espèce le lui permettait.

Il juge d’abord que le déficit constitué par l’ancien groupe et transféré à la société absorbante en application de l’article 223, I, 6 du CGI, présente, pour elle, la nature d’un déficit propre antérieur à l’intégration fiscale, imputable sur ses seuls bénéfices, dans la limite du plafond de l’article 209, I du CGI.

Ce déficit suit le même régime que les autres déficits pré-intégration dont la société disposerait par ailleurs – à l’instar des déficits propres de la société absorbée qui lui auraient été transférés en application de l’article 209, II du CGI. Ces déficits pré-intégration forment un ensemble uniforme.

Le Conseil d’État juge ensuite que si le bénéfice propre de la nouvelle société mère ne permet pas d’éponger la totalité du déficit d’ensemble de l’ancien groupe, alors il ne lui est pas permis de demander une deuxième imputation sur le fondement des dispositions de l’article 223, I, 5 relatives à l’imputation sur une base élargie.

Il considère en effet que ce mécanisme est réservé aux seules sociétés membres du groupe ayant cessé et qui font partie du nouveau groupe, ce qui ne saurait être le cas de la société absorbante .

On notera que dans ses conclusions, la rapporteure publique indique que la solution devrait également s’appliquer dans l’hypothèse où la société absorbante aurait elle-même été membre de l’ancienne intégration.

Elle souligne également que, dans ces conditions, l’absorbante aura tout intérêt « à imputer, par priorité, les déficits imputables sur ses seuls résultats individuels (i.e. ses propres déficits pré-intégration, ainsi que les déficits propres de la société absorbée transférés dans le cadre de l’article 209, II du CGI), ce qui permet de sauvegarder le droit d’utiliser les déficits imputables sur une base élargie pour les imputer sur les bénéfices des filiales de l’ancien groupe ».

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Alice de Massiac

Alice a développé depuis plus de 20 ans une large expertise en accompagnant de grands groupes en France et à l’international, tant en conseil qu’en contentieux, anticipant les impacts dans […]

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Clara Maignan

Clara Maignan, avocat, a rejoint les équipes de Deloitte Société d’Avocats en 2011. Elle exerce au sein du Comité Scientifique Fiscal.