L’intention des associés suffit à proroger une société arrivée à son terme !

La prorogation d’une société est censée être décidée par les associés au moins un an avant le terme de celle-ci et selon la majorité prévue par ses statuts. A défaut il est prévu une procédure de régularisation lorsque le juge constate « l’intention des associés de proroger la société ». C’est notamment ce qu’indique la loi à l’article 1844-6 du Code civil.
Selon la Cour de cassation, l’intention de la majorité des associés serait également un critère suffisant à cette prorogation… à certaines conditions.

Evolution des textes

La loi n°2019-744 du 19 juillet 2019 de simplification, de clarification et d’actualisation du droit des sociétés est venue substantiellement modifier et compléter la rédaction de l’article 1844-6 du Code civil consacré à la prorogation des sociétés.

Auparavant, l’article 1844-6 du Code civil se limitait à indiquer :

  1. les conditions de majorité des associés nécessaires à la prorogation de la société : « unanimité des associés, ou, si les statuts le prévoient, à la majorité prévue pour la modification de ceux-ci »
  2. la date avant laquelle les associés doivent être consultés pour décider de la prorogation : « un an au moins avant la date d’expiration de la société »
  3. la procédure envisageable par tout associé en cas défaut de consultation des associés sur la prorogation de la société : saisine du président du tribunal compétent par requête aux fins de désigner « un mandataire de justice chargé de provoquer la consultation »

La jurisprudence faisait une application stricte de cet article décidant qu’en l’absence de prorogation expresse de la société, cela entraînait la dissolution de plein droit à la survenance du terme empêchant toute prorogation postérieure par les associés de la société dissoute (Com. 13 septembre 2017, n°16-12.479).

La loi de simplification du droit des sociétés (n° 2019-744 du 19 juillet 2019) ajoutait à l’article 1844-6 du Code civil une procédure de régularisation permettant la prorogation de la société en dépit de l’absence de consultation des associés et de l’arrivée du terme de la société. En effet, le nouvel alinéa 4 de l’article 1844-6 du Code civil indique désormais que lorsque les associés de la société n’ont pu se prononcer à temps sur la prorogation de la société,  « le président du tribunal, statuant sur requête à la demande de tout associé dans l’année suivant la date d’expiration de la société, peut constater l’intention des associés de proroger la société et autoriser la consultation à titre de régularisation dans un délai de trois mois, le cas échéant en désignant un mandataire de justice chargé de la provoquer. »

Ainsi, un associé peut, dans le délai d’un an à compter de l’arrivée du terme de la société, saisir le président du tribunal compétent afin qu’il constate l’intention des associés de proroger la société et d’autoriser les associés à se réunir, dans un délai de trois mois, afin qu’ils décident de proroger la société. En conséquence, le président du tribunal donne aux associés une ultime opportunité de proroger la société par le biais d’une consultation et leur laisse le choix, lors de celle-ci, de décider de manière définitive de la prorogation ou non de la société. A l’issue de cette consultation, « si la société est prorogée, les actes conformes à la loi et aux statuts antérieurs à la prorogation sont réputés réguliers et avoir été accomplis par la société ainsi prorogée. »

La loi renforce donc la sécurité juridique de l’opération en confirmant rétroactivement la validité des actes sociaux accomplis durant la période qui court entre l’arrivée du terme sans décision de prorogation et la décision de prorogation. Cette « période de grâce » peut donc durer 15 mois (1 an pour saisir le juge, puis 3 mois pour décider de la prorogation formellement, en assemblée).

C’est sur cette procédure de régularisation de l’article 1844-6 du Code civil que la chambre commerciale de la Cour de cassation s’est prononcée dans son arrêt en date du 30 août 2023 (Com. 30 août 2023, n° 22-12.084).

Constatation de l’intention de proroger et majorité des associés pour proroger

L’affaire qui a donné lieu à l’arrêt de la Cour de cassation concernait la prorogation d’une société constituée le 12 octobre 1979 pour une durée de quarante ans, soit jusqu’au 12 octobre 2019. Aucune décision des associés n’ayant été prise sur la prorogation de la société avant l’arrivée du terme, un des associés a saisi la juridiction compétente faisant ainsi usage du nouvel alinéa 4 de l’article 1844-6 du Code civil.

Dans un premier temps, le président du tribunal a constaté l’intention des associés de proroger la société et a autorisé la consultation de ces derniers aux fins de prorogation (ordonnance du 14 octobre 2020).

Mais un autre associé conteste cette décision, estimant la constatation par le président du tribunal de l’intention des associés de proroger la société impossible alors que les associés avaient omis, de bonne foi, de la proroger avant l’arrivée de son terme. Il reprochait également au président du tribunal d’avoir autorisé la consultation des associés en l’absence d’unanimité d’intention de proroger ladite société.

En rejetant l’ensemble des moyens du pourvoi et en confirmant l’arrêt de la Cour d’appel, l’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation indique les conditions dans lesquelles la procédure de régularisation de l’article 1844-6 du Code civil doit être mise en œuvre :

Tout d’abord, les associés doivent avoir omis, de bonne foi ou non, de proroger la société avant le terme de celle-ci. La raison pour laquelle les associés ne se sont pas prononcés sur la prorogation de la société est donc indifférente.
Ensuite, le président du tribunal doit avoir été saisi par un des associés dans le délai d’un an à compter de la date du terme de la société.
Par ailleurs, pour permettre la consultation des associés sur la prorogation de la société, le président du tribunal est seulement tenu de constater l’intention des associés de proroger celle-ci. Deux cas se présentent alors :

  • soit les statuts ont prévu que la prorogation serait adoptée à une majorité et il suffit de constater l’intention des associés à hauteur de cette majorité
  • soit les statuts sont silencieux et il faut alors constater une intention de prorogation de tous les associés, puisque c’est alors la règle de l’unanimité qui s’applique.

En l’espèce, le juge du fond avait relevé que (i) les statuts de la société prévoyaient une prorogation à la majorité en nombre des associés représentant au moins les trois quarts du capital social et (ii) qu’un procès-verbal d’huissier de justice constatait l’intention des associés représentant plus des trois quarts du capital social de proroger la société.

Risque de dissolution de plein droit de la société

En dépit de l’instauration d’une procédure de régularisation à l’article 1844-6 du Code civil, la dissolution de plein droit de la société demeure l’issue conformément à la position de la jurisprudence rendue sous l’empire de l’ancien texte.

En effet, rien n’indique l’abandon de cette solution, tout au plus, et cela n’est pas négligeable, le législateur a-t-il permis aux associés non diligents de « rattraper » leur absence de décision de prorogation au moins un an avant le terme, en leur offrant la possibilité de le faire dans l’année suivant le terme.

« Au-delà de cette limite votre société n’est plus valable » indique la loi, car aucune prorogation ne sera possible.

Photo d'Arnaud Raynouard
Arnaud Raynouard

Professeur des Universités à l’Université Paris-Dauphine, Arnaud Raynouard anime le Comité Scientifique Juridique du cabinet Deloitte Société d’Avocats. Agrégé en droit privé et sciences criminelles, et diplômé en gestion, Arnaud […]

Louis Jutard

Louis travaille au sein du département Corporate – M&A en tant que Junior Associate.  Il a acquis  des compétences et des expériences professionnelles au sein de plusieurs cabinets d’avocats français […]