Régime des distributions : analyse des commentaires administratifs des aménagements législatifs récents

L’Administration vient de commenter au BOFiP les nombreux aménagements apportés au régime fiscal des distributions par la LFR 2015, aux fins de mise en conformité avec le droit de l’Union européenne et le droit constitutionnel.

Transposition en droit interne de la clause anti-abus de minimis issue de la directive mère-fille

Pour mémoire, la LFR 2015 a procédé à une transposition littérale de la directive 2015/121/UE du 27 janvier 2015, prévoyant que les avantages de la directive mère-fille ne peuvent pas s’appliquer « à un montage ou à une série de montages qui, ayant été mis en place pour obtenir, à titre d’objectif principal ou au titre d’un des objectifs principaux, un avantage fiscal allant à l’encontre de l’objet ou de la finalité de la directive, n’est pas authentique compte tenu de l’ensemble des faits et circonstances pertinents », étant précisé « qu’un montage ou une série de montages est considéré comme non authentique dans la mesure où ce montage ou cette série de montages n’est pas mis en place pour des motifs commerciaux valables qui reflètent la réalité économique ». Le législateur a opté pour une application uniforme de cette clause anti-abus, tant aux distributions intra-communautaires qu’aux distributions purement internes et aux distributions en provenance de filiales établies dans des Etats tiers (Lire sur ce sujet « LF 2016 et LFR 2015 » et « Actualité fiscale et Lois de Finances 2016 pour le secteur financier : la fin d’un monde ? »).

Il importe de rappeler que la lettre du texte comme son esprit limitent l’application effective de cette clause anti-abus aux situations dans lesquelles le montage litigieux se trouve cumulativement avoir été mis en place avec pour but principal l’exonération des dividendes et ne pas pouvoir être considéré comme authentique (§ 190).

Il se confirme que la notion d’ « objectif principal » doit être regardée comme plus large que celle du but exclusivement fiscal de l’abus de droit. Lorsqu’un montage est mis en place avec plusieurs objectifs différents, la mise en évidence du caractère principal de l’un de ces objectifs résultera notamment de l’évaluation de l’avantage fiscal obtenu en proportion de l’ensemble des gains ou avantages de toutes natures obtenus par le montage considéré. Un même montage peut ainsi entrer dans le champ de la clause anti-abus, même s’il poursuit plusieurs objectifs concurrents dès lors que son objectif principal va à l’encontre de la finalité du régime d’exonération des dividendes (§ 200). En outre, conformément au considérant 8 de la directive, la règle anti-abus pourra n’être appliquée qu’à une étape ou partie d’un montage (§ 190).

La notion de « motifs commerciaux valables qui reflètent la réalité économique » susceptible de caractériser l’authenticité d’un montage, qui avait suscité nombre d’interrogations et d’inquiétudes, est également précisée.

Comme les débats parlementaires et la cohérence de la mesure avec le droit européen nous conduisaient à le penser (cf. Revue Droit Fiscal 2016, n°1, comm. 26), cette notion doit s’entendre, au sens large, de toute justification économique, même si elle n’est pas liée à l’exercice d’une activité commerciale au sens de l’article 34 du CGI. Sont donc susceptibles d’être considérées comme présentant des motifs commerciaux valables au sens de la clause, les structures de détention patrimoniale, d’activités financières ou encore les structures répondant à un objectif organisationnel (§ 220).

L’approche de l’Administration nous parait pouvoir apaiser certaines craintes exprimées s’agissant de l’interposition de holdings dans les chaines de participations, en particulier pour les redevables de l’ISF pour lesquels l’objectif principal de la mise en place d’une holding animatrice n’est pas de bénéficier du régime mère-fille mais d’éviter que leurs participations ne donnent prise à cet impôt.

En revanche, comme nous le craignions, l’Administration s’appuie sur la jurisprudence relative à la clause anti-abus de la directive Fusions (CJUE, arrêt du 10 novembre 2011, aff. C-126/10 Foggia-SGPC) pour souligner que dans le cas où l’avantage d’ordre économique est très marginal par rapport à l’avantage fiscal obtenu, le motif économique est susceptible d’être considéré comme non valable (§ 230).

Sur l’objet ou la finalité de la directive, il est rappelé qu’il est d’éliminer la double imposition des revenus distribués par une société filiale au niveau de la société mère. Cela confirme le caractère ciblé de la mesure, qui ne fait obstacle qu’aux abus du régime mère-fille (ou de l’exonération de la retenue à la source pour les flux sortants). Par suite, si le montage n’est pas complètement dépourvu de tout effet économique, la clause anti-abus ne saurait être mise en œuvre que s’il est établi que son objectif principal ou l’un de ses objectifs principaux est l’exonération des dividendes et que ses effets économiques n’apparaissent pas comme une justification valable (§ 240).

Enfin, en tant qu’elle constitue une règle d’assiette de l’impôt sur les sociétés, fixant les conditions d’accès au régime mère-fille, la clause anti-abus pourra être mise en œuvre par les services vérificateurs sans qu’ils aient l’obligation de recourir à la procédure de répression desabus de droit. Cela étant, en pratique, le bénéfice du régime des sociétés mères pourra être remis en cause sur le fondement de la clause anti-abus et si les conditions de l’article L.64 du LPF sont remplies et que les garanties procédurales sont respectées, les pénalités de l’abus de droit pourraient également être appliquées.

Par ailleurs, l’Administration a supprimé purement et simplement ses commentaires relatifs à l’ancienne clause anti-abus de l’article 119 ter 3 du CGI en matière d’exonération de retenue à la source. On regrettera notamment qu’elle rapporte ainsi la règle pratique qui permettait de conserver le bénéfice de l’exonération lorsque le montant cumulé des retenues à la source perçues aux étapes intermédiaires était au moins égal à celui qui aurait été perçu par la France, dont le maintien aurait pu constituer une approche pragmatique dans la recherche du but principalement fiscal ou non du montage examiné.

Il convient de noter que les commentaires formulés par l’Administration sur la clause anti-abus nouvelle font l’objet d’une consultation publique jusqu’au 7 juillet prochain. S’ils sont susceptibles de faire l’objet d’une révision à l’issue de cette consultation, ils sont néanmoins déjà, et jusqu’à leur modification, pleinement opposables.

Dividendes perçus de sociétés sises dans un ETNC

On se souvient que la LFR 2015 a atténué l’exclusion de principe du régime mère-fille des dividendes perçus de filiales établies dans un Etat ou territoire non coopératif (ETNC), en insérant une clause de sauvegarde reprenant au mot près la réserve de constitutionnalité que le Conseil constitutionnel avait émise dans le cadre d’une QPC (décision n° 2014-437 QPC du 20 janvier 2015). Le texte prévoit ainsi que la société mère peut bénéficier du régime mère-fille si elle apporte la preuve que la prise de participation dans une société établie dans un ETNC « correspond à des opérations réelles qui n’ont ni pour objet, ni pour effet, de permettre, dans un but de fraude fiscale, la localisation de bénéfices dans cet Etat ».

Pour l’application de cette clause de sauvegarde, la notion d’opérations réelles correspond à l’existence d’une activité effective de la société distributrice dans l’Etat ou territoire considéré.

Sera considérée comme exerçant une activité réelle la société qui dispose dans l’Etat ou le territoire d’une implantation réelle (bureaux, personnels…) et qui y réalise des opérations formant un cycle commercial complet. En revanche, les entreprises ou entités qui n’auraient qu’une existence nominale (« boîte aux lettres ») dans une société de domiciliation ou chez un conseil dans l’Etat ou territoire où elles ont été constituées et dont les opérations retracées par leur comptabilité sont effectivement réalisées par la société mère (sociétés de gestion de brevets, sociétés auxiliaires de services, sociétés de facturation, etc.) ne seront pas considérées comme poursuivant des opérations réelles dans l’Etat ou le territoire considéré. On retiendra, par ailleurs, que la preuve peut être apportée par tout moyen.

Portée de l’obligation de conservation des titres pendant deux ans

Le Conseil d’Etat a jugé que l’obligation de conservation des titres pendant une durée d’au moins deux ans, à laquelle est subordonné le bénéfice du régime mère-fille, ne porte que sur la quotité de titres permettant l’accès au régime mère-fille, c’est-à-dire 5 %. Dès lors qu’elle détient, pendant une période ininterrompue de deux ans, une participation ouvrant droit à la qualification de société mère, la société mère peut bénéficier du régime mère-fille sur l’intégralité des dividendes qu’elle reçoit de sa filiale, quand bien même certains des titres ne seraient pas détenus pendant deux ans. Autrement dit, pour préserver l’application du régime, une société mère n’est pas tenue de conserver pendant deux ans la totalité des titres qu’elle détient dans le capital de sa filiale (CE, 15 décembre 2014, n° 380942, Technicolor).

L’Administration profite de sa mise à jour du BOFiP pour incorporer à ses commentaires cette solution jurisprudentielle.

Titres dépourvus de droits de vote et admission au régime mère-fille : encore un peu de patience !

Avant de faire machine arrière dans une publication rectificative avec la mention « urgente » le 10 juin 2016, l’Administration tirait dans de nouveaux commentaires parus le 7 juin, les conséquences de la décision Métro Holding, dans le cadre de laquelle le Conseil constitutionnel a prononcé l’inconstitutionnalité des dispositions du b ter du 6 de l’article 145 du CGI dans leur rédaction antérieure à la LFR 2005,qui excluaient du régime mère-fille les titres dépourvus de droits de vote (Conseil constitutionnel, décision n° 2015-520 QPC du 3 février 2016, TLS 431).

L’Administration conférait à la décision Métro Holding une portée générale, énonçant, sans ambiguïté aucune, que l’exclusion du régime des sociétés mères des titres auxquels ne sont pas attachés de droits de vote, quelle que soit la version de l’article 145, ne s’appliquait plus à compter de la date de publication de la décision (soit le 3 février dernier), mais qu’elle pouvait être invoquée, pour le passé, à toutes les instances introduites à cette date et non jugées définitivement. Cette restriction nous avait semblé tout à fait contestable.

L’intégralité de ces commentaires vient d’être annulée et remplacée par leur version antérieure. Il a sans doute finalement été décidé d’attendre la décision du Conseil constitutionnel sur la QPC que vient de lui adresser le Conseil d’Etat qui considère, quant à lui, que chacune des rédactions successives de l’article 145 du CGI doit faire l’objet d’une QPC distincte (18 mai 2016, n° 397316, Société Natixis, TLS 445).

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Patrick Fumenier

Patrick Fumenier a été avocat associé en charge de développer le knowledge management au sein de Deloitte Société d’Avocats de septembre 2016 jusqu’à son départ du Cabinet en janvier 2020. […]

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Clara Maignan

Clara Maignan, avocat, a rejoint les équipes de Deloitte Société d’Avocats en 2011. Elle exerce au sein du Comité Scientifique Fiscal.