Cet article a été publié au Bulletin Rapide de Droit des Affaires 18/25 et est reproduit sur ce blog avec l’accord de l’éditeur.
En cas de rupture brutale d’une relation commerciale établie avec un partenaire étranger, la question de la loi applicable au contrat et de la juridiction compétente en cas de litige est déterminante. L’état actuel du droit laisse planer des incertitudes. Philippe Lorant et Jean Dallemagne font le point des textes et de la jurisprudence.
Le régime de la rupture brutale de relations commerciales établies est une spécificité française qui surprend régulièrement le professionnel étranger dès lors que la plupart des pays ne prévoient pas de dispositifs similaires.
Il est prévu à l’article L 442-1, II du Code de commerce. Ce texte impose à une entreprise d’étudier au cas par cas la durée du préavis qu’elle doit accorder à son partenaire pour mettre fin à leur relation commerciale, et ce même si le contrat pré-voit une durée de préavis précise. Si la durée de préavis allouée n’est pas suffisante, l’auteur de la rupture devra indemniser la victime. La jurisprudence retient en général que le préjudice qui doit être évalué correspond à « la marge brute escomptée, c’est-à-dire la différence entre le chiffre d’affaires hors taxe escompté et les coûts variables hors taxe non supportés durant la période d’insuffisance de préavis » (Cass. com. 28-6-2023 no 21-16.940 FS-B : RJDA 10/23 no 549). D’autres préjudices peuvent être indemnisés en fonction des circonstances de l’espèce (par exemple, des coûts de licenciements).
Dans les relations commerciales entre les entreprises françaises et étrangères, la rupture brutale est source de contentieux. Compte tenu de notre spécificité française, la détermination de la loi applicable et de la juridiction compétente (France ou pays étranger) est cruciale pour l’issue des litiges.
A cet égard, le droit de la rupture brutale a évolué au cours des dix dernières années, en particulier en raison de la jurisprudence. Récemment, le 2 avril 2025, la Cour de cassation a relancé le sujet en demandant (encore !) à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) si l’action indemnitaire engagée pour rupture brutale de relations commerciales établies relève de la matière délictuelle ou contractuelle (Cass. 1e civ. 2-4-2025 no 23-11.456 FS-B : RJDA 7/25 no 395).
L’analyse préliminaire en cas de contentieux international
Dans un contexte de contentieux international dû à une rupture brutale de relation commerciale, la question initiale est de savoir si la loi française s’applique. Il faut alors distinguer selon qu’il existe ou non une clause désignant la loi applicable.
Une clause désignant la loi applicable a été prévue
Dans cette hypothèse, qui devrait être la plus fréquente, les parties ont prévu une clause de loi applicable dans le contrat. En écartant le cas d’une clause complexe prévoyant une application distributive de la loi applicable, deux cas de figure sont susceptibles de se présenter :
1° Le contrat désigne le droit français. Dans ce cas, la loi française relative aux ruptures brutales s’appliquera.
2° Le contrat désigne un droit étranger. En dépit de cela, la loi française relative aux ruptures brutales s’appliquera si elle est considérée comme une loi de police. Nous verrons cependant qu’une tendance s’est dégagée dans les dernières années consistant à considérer qu’elle ne peut pas être qualifiée de telle (no 9).
Aucune clause désignant la loi applicable n’a été prévue
Si les parties n’ont pas désigné de loi applicable au contrat et si la loi française relative aux ruptures brutales n’est pas qualifiée de loi de police (tendance actuelle), il conviendra de recourir aux règles de conflit de lois afin de savoir si le droit français, et donc sa spécificité en matière de ruptures brutales, aura vocation à s’appliquer.
La résolution du conflit de lois, en l’absence de clause, nécessite alors de trancher la question de savoir si l’action engagée pour rupture brutale est de nature contractuelle ou délictuelle (cela peut être déterminant pour désigner ou non la loi française).
La loi française est-elle une loi de police ?
La qualification de l’article L 442-1, II du Code de commerce en tant que loi de police constitue un enjeu central dans le traitement des contentieux internationaux pour rupture brutale de relations commerciales. En effet, dès lors qu’une disposition est qualifiée de loi de police, le juge français doit appliquer ce texte impératif, et ce même lorsque les parties ont choisi une loi étrangère ou lorsque les règles de conflit de lois désignent un droit étranger.
Dans un arrêt du 7 mai 2019 (Cass. com. 7-5-2019 no 17-15.340 F-D), alors que la question de la qualification en loi de police était expressément posée dans le pourvoi, la Cour de cassation s’est abstenue de trancher la question et a confirmé l’arrêt d’appel au motif que, « quel que soit le fondement, contractuel ou délictuel, de l’action en responsabilité pour rupture brutale d’une relation commerciale établie exercée par la société […], la loi française était applicable, soit en tant que loi du contrat, soit en tant que loi du pays où le dommage est survenu, au sens de l’article 4 du règlement (CE) 864/2007 du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles ».
La question n’étant ni tranchée par la Cour régulatrice ni par la loi, les juges du fond se sont saisis de la qualification en tant que loi de police de la loi française relative à la rupture brutale de relations commerciales établies.
Au cours des dix dernières années, la cour d’appel de Paris, seule compétente pour statuer en ce domaine (C. com.art. L 442-4, III, D 442-2 et D 442-3), a rendu plusieurs décisions dont les solutions ne sont pas uniformes.
Les plus notables sont résumées ci-des-sous dans un ordre antéchronologique (l’article L 442-6, I-5o du Code de commerce cité étant devenu l’article L 442-1, II).
Il ressort de ces différentes décisions une nette tendance, depuis 2019, à rejeter la nature de loi de police pour qualifier l’interdiction française de rompre brutalement une relation commerciale établie. La cour d’appel de Paris a justifié cette position en précisant notamment que, « s’il est constant que ces dispositions contribuent à la moralisation de la vie des affaires et sont susceptibles de contribuer au meilleur fonctionnement de la concurrence, elles visent davantage à la sauvegarde des intérêts privés d’une partie qui sollicite l’indemnisation d’un préjudice lié à la rupture d’un contrat privé, de sorte qu’elles ne peuvent être regardées comme cruciales pour la sauvegarde de l’organisation économique du pays au point d’en exiger l’application à toute situation entrant dans son champ d’application » (CA Paris 2-7-2024 no 21/17912 précité).
Références de la décision | Qualification de la loi de police | Motivation |
2-7-2024 nº 21/17912 | Non | « Elles visent davantage à la sauvegarde des intérêts privés d’une partie ». « Dès lors, ces dispositions ne constituent pas une loi de police ». |
11-3-2021 no 18/03112 | Non | Idem |
3-6-2020 nº 19/03758 | Non | Idem |
28-2-2019 no 17/16475 | Non | « Le litige ne présente aucune des caractéristiques limitativement énumérées par la CJCE ou par le règlement Rome I pour justifier la qualification de loi de police ». « Le respect de ces dispositions ne peut être qualifié en l’espèce de’crucial’pour la sauvegarde des intérêts publics de la France ». |
9-1-2019 nº 18/09522 | Oui | « La cour estime que l’article L 442-6, I-5o du Code de commerce constitue une loi de police ». |
19-9-2018 nº 16/05579 | Oui | « Il est constant que les dispositions de l’article L 442-6, I-5o du Code de commerce relèvent d’une loi de police ». |
L’affaire n’est toutefois pas définitivement entendue car on peut légitimement s’interroger sur le maintien de cette jurisprudence à l’aune de l’article L 444-1, A du Code de commerce, introduit par la loi dite « Egalim 3 » (Loi no 2023-221 du 30-3-2023). Ce texte prévoit que l’ensemble des dispositions du chapitre I du titre IV du livre IV du Code de commerce « s’appliquent à toute convention entre un fournisseur et un acheteur portant sur des produits ou des services commercialisés sur le territoire français. Ces dispositions sont d’ordre public. Tout litige portant sur leur appli-cation relève de la compétence exclusive des tribunaux français ». Or, l’article L 442-1, II du Code de commerce figure parmi les dispositions ainsi visées. Il en résulte, d’une part, que cette disposition est d’ordre public en vertu de la loi et, d’autre part, que la compétence juridictionnelle est réservée aux seules juridictions nationales.
Au cours des débats parlementaires relatifs à la loi Egalim 3, il a été clairement précisé que « l’intention du législateur est de considérer ces dispositions comme des lois de police, tout en laissant le soin aux juges de les consacrer effective-ment comme telles, conformément à la pratique juridique » (Rapport au Sénat no 326 enregistré à la Présidence du Sénat le 8-2-2023).
S’il est aisé de comprendre que, pour le législateur, il s’agit, avec cette disposition, de prévenir tout contournement de la loi française, le texte s’applique néanmoins à un nombre conséquent de dispositions législatives, ce qui soulève des incertitudes quant à son champ d’application. En effet, à la lumière du règlement Rome I, une loi de police a vocation à être reconnue dans des « circonstances exceptionnelles » et doit être interprétée de façon restrictive (Règl. CE 593/2008 du 17-6-2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, considérant 37).
Il ressort des arrêts une tendance à rejeter la nature de loi de police
Le législateur français en est parfaitement conscient. Ainsi a-t-il été précisé dans les travaux parlementaires relatifs à la loi Egalim 3 que « la rapporteure se félicite du choix qui a été fait de préciser que les chapitres en question du Code de commerce sont d’ordre public, plutôt que d’inscrire directement dans la loi leur caractère de loi de police. Ériger près de quarante articles à ce rang aurait en effet pu entrer en contradiction avec le droit de l’Union européenne » (Rapport au Sénat précité). Le rapport en conclut qu’il revient donc au juge de qualifier, au cas par cas, les articles en question comme des lois de police, et particulièrement l’article L 442-1, II du Code de commerce relatif aux ruptures brutales. Il serait donc souhaitable que la Cour de cassation se prononce afin de confirmer ou non la tendance visant à considérer que l’interdiction française de rupture brutale n’est pas une loi de police.
Nature de l’action | Texte applicable | Principe | Loi applicable |
Contractuelle | Règlement Rome I | Le contrat de vente de biens est régi par la loi du pays dans lequel le vendeur a sa résidence habituelle (art. 4). | Loi étrangère |
Délictuelle | Règlement Rome II | La règle générale consiste à considérer que la loi applicable est celle du pays où le dommage survient, soit la France lorsque la victime y est située (art. 4). Pour un exemple : Cass. com. 7-5-2019 no 17-15.340 F-D. | Loi française |
La question de la nature contractuelle ou délictuelle de l’action engagée
Si l’interdiction française de rupture brutale d’une relation commerciale établie n’est pas une loi de police et si les parties au contrat n’ont pas désigné de loi applicable, la détermination de celle-ci en cas de contentieux implique nécessaire-ment la résolution d’un conflit de lois.
Retenons ici une situation usuelle, celle d’une entreprise située en France qui s’estime victime d’une rupture brutale, l’auteur de la rupture étant quant à lui situé dans un autre État membre de l’Union européenne (UE). Il faut alors raisonner en droit international privé européen. Dans cette hypothèse, la qualification de la nature de l’action engagée pour rupture brutale (contractuelle ou délictuelle) est décisive tant pour la désignation de la juridiction compétente, par application du règlement Bruxelles I bis (Règl. UE 1215/2012 du 12-12-2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnais-sance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale), que pour la détermination de la loi applicable, sur le fondement des règlements Rome I (Règl. CE 593/2008 du 17-6-2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles) ou Rome II (Règl. CE 864/2007 du 11-7-2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles).
Par exemple, pour une rupture brutale d’un contrat transfrontalier de vente de biens entre un acheteur français (victime de la rupture) et un vendeur situé dans l’UE (auteur de la rupture), les solutions inverses ci-dessous exposées sont en-visageables concernant la loi applicable en fonction de la nature de l’action (cet exemple est volontairement simplifié pour illustrer le caractère potentielle-ment décisif de la nature de l’action) :
Bien que la qualification de la nature de l’action puisse être déterminante dans certains cas, elle est aujourd’hui source d’incertitudes.
Suivant une jurisprudence constante, pour les litiges relevant du droit interne, la Cour de cassation retient que l’action engagée dans une hypothèse de rupture brutale est de nature délictuelle (Cass. com. 6-2-2007 no 04-13.178 : RJDA 7/07 no 785 ; Cass. com. 4-10-2011 no 10-20.240 FS-PB : RJDA 1/12 no 93 : Cass. com. 20-5-2014 no 12-26.705 F-PB).
Par une décision remarquée du 14 juillet 2016 (CJUE 14-7-2016 aff. 196/15, Granarolo : RJDA 11/16 no 839), la CJUE a retenu une position contraire. Saisie d’une question préjudicielle par la cour d’appel de Paris (CA Paris 7-4-2015 no 14/17985), la CJUE a ainsi jugé que « l’article 5, point 3, du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000 [désormais article 7, 2 du règlement Bruxelles I bis] doit être interprété en ce sens qu’une action indemnitaire fondée sur une rupture brutale de relations commerciales établies de longue date, telle que celle en cause dans l’affaire au principal, ne relève pas de la matière délictuelle ou quasi délictuelle au sens de ce règlement s’il existait, entre les parties, une relation contractuelle tacite, ce qu’il revient à la juridiction de renvoi de vérifier ».
Cette décision, rendue en matière de compétence juridictionnelle, a notam-ment été appliquée en 2023 par la cour d’appel de Paris, qui a considéré qu’elle était « transposable » à l’analyse de la loi applicable et a retenu que « la relation commerciale nouée entre les parties l’est exclusivement sur le fondement du contrat conclu […]. Aussi, l’action intentée […] est de nature contractuelle dans l’ordre international » (CA Paris 6-9-2023 no 21/19358 ; voir aussi CA Paris 7-2-2024 no 22/02149).
A l’occasion d’un litige pour lequel le règlement Bruxelles I bis était applicable, la Cour de cassation a entériné la position de la CJUE en matière de désignation de la juridiction compétente en citant expressément la décision Granarolo (Cass. com. 20-9-2017 no 16-14.812 F-PBI : RJDA 2/18 no 188). Faut-il préciser que dans le cas d’application d’un instrument communautaire, c’est l’interprétation donnée par la CJUE qui l’emporte, y compris sur la jurisprudence de la Cour de cassation. Aussi, la décision de 2017 relève de « l’évidence ».
La Cour de cassation a ensuite jugé que, « dans l’ordre international, hors champ d’application du droit de l’Union européenne », l’action engagée en matière de rupture brutale est de nature délictuelle (Cass. 1e civ. 12-3-2025 no 23-22.051 FS-B : RJDA 6/25 no 343). Elle limite ici la portée de la solution énoncée dans l’arrêt Granaloro au champ d’application du droit de l’Union européenne.
La Cour de cassation crée donc deux qualifications différentes d’actions en justice selon que le contexte relève ou non du droit de l’Union européenne. En droit, cette différence de traitement est techniquement fondée par la différen-ciation de l’ordre communautaire et de l’ordre international (hors Union européenne), mais elle est indiscutablement contestable sur le plan de la cohérence juridique. A tout le moins soulève-t-elle des incertitudes pratiques.
Par un arrêt du 2 avril 2025 (Cass. 1e civ. 2-4-2025 no 23-11.456 FS-B : RJDA 7/25 no 395), la Cour de cassation a posé une question préjudicielle à la CJUE pour lui demander de se prononcer une nouvelle fois sur le point de savoir si l’action engagée pour rupture brutale était de nature délictuelle ou contractuelle. Elle justifie cette demande par la décision Wikingerhof rendue par la CJUE le 24 novembre 2020 (aff. 59/19). Rappelons qu’une question préjudicielle est recevable par la CJUE lorsqu’elle porte sur une question non déjà tranchée.
Cette décision a été rendue dans une affaire opposant la société Wikingerhof (« Wikingerhof »), une société allemande exploitant un hôtel, à la société néerlandaise Booking.com (« Booking. com »), exploitant la célèbre plateforme de réservation hôtelière. Reprochant à celle-ci un abus de position dominante commis dans le cours de la relation contractuelle entre les deux sociétés, Wikingerhof avait introduit une action judiciaire devant un tribunal allemand. Comme souvent en matière de contentieux international, Booking.com s’était opposée à la compétence des juridictions allemandes, excipant de la compétence exclusive des juridictions néerlandaises en vertu d’une clause attributive de juridiction prévue dans le contrat conclu avec Wikingerhof. C’est dans ce contexte que la Cour fédérale de justice allemande avait saisi la CJUE sur le point de savoir si, au sens de l’article 7, 2 du règlement Bruxelles I bis, une action visant à faire cesser certains agissements mis en œuvre dans le cadre d’une relation contractuelle relève de la matière délictuelle lorsqu’elle est fondée sur une allégation d’abus de position dominante. La CJUE a répondu positivement, en précisant que :
- la qualification contractuelle suppose que l’interprétation du contrat liant les parties soit indispensable pour apprécier la licéité du comportement reproché ;
- la qualification délictuelle doit prévaloir lorsque l’action est exclusivement fondée sur la violation d’une obligation impo-sée par la loi et qu’il n’est pas nécessaire d’examiner le contenu du contrat pour établir le caractère licite ou illicite du comportement.
Dans son arrêt du 2 avril 2025, la Cour de cassation précise que « les commentaires doctrinaux de l’arrêt Wikingerhof qui ont été publiés en France ont relevé que cet ar-rêt ne citait jamais le précédent Granarolo ce qui a nourri l’hypothèse d’un abandon par la Cour de justice de cette jurisprudence » ; elle pose donc clairement aux juges européens la question de savoir si « une action indemnitaire enga-gée pour la rupture brutale des relations commerciales établies sans qu’ait été respecté un préavis d’une durée raisonnable exigé, non pas par le contrat, mais par des dispositions législatives relatives aux pratiques restrictives de concurrence, relève de la matière délictuelle, comme semble le suggérer la jurisprudence Wikingerhof, ou de la matière contractuelle, comme l’indiquait précédemment la jurispru-dence Granarolo ».
La qualification de la nature de l’action est source d’ incertitudes
De notre point de vue, la remise en question par la CJUE de la jurisprudence Granarolo par la décision Wikingerhof est loin d’être évidente. D’une part, la CJUE ne cite aucune-ment Granarolo, ce qu’elle aurait pu (et surtout qu’elle aurait dû) faire si elle souhaitait abandonner sa jurisprudence de manière non équivoque. D’autre part, l’abus de position dominante et la rupture brutale sont des actions différentes. Cette dernière a un lien plus évident avec le contrat. Par essence, la rupture d’une relation commerciale suppose une relation conventionnelle, expresse ou tacite. Cela est différent en matière d’abus de position dominante, quand bien même celui-ci interviendra le plus souvent dans un cadre contractuel, mais cela n’est évidemment pas systématique.
Cette question préjudicielle de la Cour de cassation ravive une nouvelle fois l’incertitude autour de la qualification de la nature de l’action engagée pour rupture brutale, ce qui ne facilitera pas l’analyse de certains contentieux internationaux en attendant la réponse de la CJUE.
Conclusion
Au vu des développements précédents, il paraît difficile d’éclairer une entreprise étrangère qui s’interroge sur le point de savoir si son cocontractant français peut engager sa responsabilité pour rupture brutale en cas de préavis jugé insuffisant, ni même de déterminer de manière certaine le juge compétent. On peut regretter l’ensemble des incertitudes ainsi relevées. Alors que, de l’avis général, il devient crucial d’assurer une cohérence et une simplification du droit, le contentieux international des ruptures brutales souffre d’instabilité juridique. Des solutions claires et pragmatiques seraient indiscutablement favorables au climat des affaires en France. A cet égard, on peut plaider pour un alignement des solutions au niveau européen et fran-çais, qui offrirait une rationalisation bienvenue