TSN : L’Administration tire les conséquences de la décision du Conseil d’État

L’Administration actualise ses commentaires administratifs, afin de tenir compte de la récente décision du Conseil d’État, qui a annulé, dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir, plusieurs paragraphes du BOFiP consacré à la TSN (taxe sur les services numériques).

Rappel

Pour mémoire, le Parlement a adopté, en juillet 2019, une loi instaurant une taxe sur les services numériques (« TSN ») de 3 % appliquée au chiffre d’affaires annuel généré par (i) des services d’intermédiaires fournis par une interface numérique et (ii) des services de publicité ciblée.

L’Administration a dévoilé en octobre 2019 et mars 2020 plusieurs projets de commentaires au BOFiP, qui ont donné lieu à consultation publique (voir notamment l’éclairage de Sophie Tardieu, Eric Lesprit et Julien Pellefigue).

Les commentaires définitifs ont finalement été publiés le 8 avril 2021, en tenant notamment compte de l’article 44 de la LF 2021, relatif à la clarification des règles de TVA applicables aux offres composites.).

Dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir, une société a attaqué plusieurs des paragraphes de ces commentaires (nb : commentaires dans leur version en date du 8 avril 2021).

Le Conseil d’État a annulé certains d’entre eux, tout en en validant d’autres (CE, 31 mars 2022, n°461058, SASU Amazon Online France) et a donné un délai de 2 mois à l’Administration pour corriger son BOFiP.

Dans les délais, l’Administration tire les conséquences de cette décision au BOFiP dans une mise à jour datée du 18 mai 2022.

Mise à jour du BOFiP

Suppression pure et simple de certains des paragraphes annulés par le Conseil d’État

L’Administration supprime certains paragraphes annulés par le Conseil d’État, portant sur :

L’exclusion des services fournis entre membres d’un groupe

Pour mémoire, les services numériques (qu’ils aient le caractère de services d’intermédiation numérique ou de services de publicité ciblée) ne sont pas des services taxables lorsqu’ils sont fournis entre entreprises liées entre elles par une relation de contrôle au sens du II de l’article L. 233-16 du Code de commerce. Dans ses commentaires au BOFiP, l’Administration indiquait que la condition d’exclusion était appréciée globalement, sans qu’il ne soit possible de l’appliquer seulement pour une fraction de la clientèle. Il en résultait notamment que lorsqu’un service taxable était fourni à l’ensemble des entreprises, il ne bénéficiait pas de l’exclusion (BOI-TCA-TSN-10-10-10, § 80, supprimé).

La notion de services d’intermédiation numérique taxables – Le cas des jeux en ligne

Dans ses commentaires, l’Administration précisait que les jeux qui se limitent à une interaction minime entre joueurs, telle que le partage des performances ou, tant qu’ils ne constituent pas l’un des principaux attraits du jeux, des échanges de points, d’objets, de personnages ou équivalents, relèvent de l’exclusion des services taxables. Il en allait de même des jeux dont le principal objet est la progression d’un joueur en solo, même s’il dispose par ailleurs d’une fonctionnalité multi-joueurs en ligne (BOI-TCA-TSN-10-10-20, § 170, alinéas 5 et 6, supprimés).

Réécriture de certains paragraphes annulés par le Conseil d’État

Pour d’autres paragraphes annulés par le Conseil d’État, l’Administration privilégie une nouvelle rédaction, plutôt qu’une suppression pure et simple.

Calcul de la TSN – Exception relative aux opérations économiques indépendantes

On sait que sont exclues des sommes taxables à la TSN les sommes versées par des utilisateurs en contrepartie de livraisons de biens ou de fournitures de services qui constituent, sur le plan économique, des opérations indépendantes de l’accès et de l’utilisation de l’interface numérique. Cette condition d’indépendance reprend celle définie à l’article 257 ter du CGI, utilisée pour l’appréciation de l’étendue des opérations économiques taxables à la TVA lorsqu’elles sont constituées de plusieurs éléments (opérations complexes). Elle repose sur les mêmes critères d’appréciation.

Dans ses commentaires au BOFiP, l’Administration indiquait que ne peuvent, en aucun cas, être considérées comme indépendantes de l’accès ou de l’utilisation de l’interface les prestations dont l’acquisition permet de bénéficier de fonctionnalités additionnelles ou améliorées, ou encore d’avantages commerciaux et qu’en particulier, lorsqu’un exploitant d’une place de marché propose aux vendeurs des services logistiques revêtant un caractère optionnel et en concurrence avec d’autres entreprises, mais qui leur permettent de bénéficier de conditions tarifaires plus avantageuses dans l’utilisation de cette place de marché, ces prestations ne sont pas, sur le plan économique, indépendantes de l’accès à la place de marché ou de son utilisation (BOI-TCA-TSN-20, § 140, 5e, 6e et 7e alinéas anciens).

Le Conseil d’État a censuré cette interprétation, considérant que la simple existence d’une offre promotionnelle conjointe ne saurait caractériser, à elle seule, l’existence de prestations associées ou indispensables au sens des dispositions de l’article 299 bis, I,3° du CGI.

L’Administration en tire les conséquences en supprimant toute référence aux offres promotionnelles conjointes.

L’Administration indiquait, par ailleurs, qu’il n’était pas possible de décomposer la contrepartie versée par l’utilisateur de l’interface numérique en une première composante qui serait étroitement liée, sur le plan économique, à l’accès ou l’utilisation de l’interface numérique et une seconde composante qui ne le serait pas, ni de bénéficier de l’exclusion au motif que, au sein de la livraison de biens ou de la prestation de services, les éléments qui sont étroitement liés, sur le plan économique, à l’accès ou l’utilisation de l’interface numérique présenteraient un caractère non prépondérant.

Elle donnait notamment l’exemple suivant : l’exploitant d’une place de marché commercialise, pour un prix forfaitaire, une offre donnant, pendant une période déterminée, accès à un service de fourniture de contenus numériques ainsi qu’un accès privilégié à la place de marché. L’offre ne peut être artificiellement décomposée et le prix forfaitaire est taxé dans son intégralité (BOI-TCA-TSN-20, § 150, 3e alinéa, ancienne version).

Le Conseil d’État a jugé que l’existence d’une offre commerciale conjointe ne saurait faire obstacle, à elle seule, à ce que les prestations qu’elle rassemble puissent être considérées comme indépendantes, et annulé les précisions administratives au motif qu’elles ajoutent à la loi.

En conséquence, l’Administration a modifié l’exemple litigieux et l’a complété d’un second exemple, consacré aux prestations logistiques qui comprennent des éléments accessoires qui ne sont pas indépendants de l’accès et de l’utilisation de l’interface. Dans le cadre de ce nouvel exemple, l’offre ne peut être artificiellement décomposée et le prix forfaitaire est taxé dans son intégralité.

Enfin, l’Administration profite de la mise à jour pour apporter des précisions plus générales sur les conditions d’appréciation de l’indépendance d’une opération, à la lumière de décisions de la CJUE rendues en matière de TVA (méthode du faisceau d’indices en vue d’identifier les éléments caractéristiques de l’opération en cause du point de vue du bénéficiaire, BOI-TCA-TSN-20, § 120).

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Alice de Massiac

Alice a développé depuis plus de 20 ans une large expertise en accompagnant de grands groupes en France et à l’international, tant en conseil qu’en contentieux, anticipant les impacts dans […]

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Clara Maignan

Clara Maignan, avocat, a rejoint les équipes de Deloitte Société d’Avocats en 2011. Elle exerce au sein du Comité Scientifique Fiscal.