Article 57 et démonstration de l’existence d’un lien de dépendance

La CAA de Douai juge que l’appartenance de deux sociétés à un même groupe ne permet pas, à elle seule, de démontrer l’existence d’un lien de dépendance entre celles-ci, nécessaire à la mise en œuvre de l’article 57 du CGI.

Rappel

Pour mémoire, pour faire jouer la présomption de transfert indirect de bénéfices à l’étranger prévue à l’article 57 du CGI, l’Administration doit établir au préalable :

  • L’existence d’un lien de dépendance de droit ou de fait entre l’entreprise française et l’entreprise étrangère (à moins que celle-ci ne soit établie dans un pays dont le régime fiscal est privilégié au sens de l’article 238 A du CGI)
  • Et l’octroi d’avantages anormaux par l’entreprise française à l’entreprise étrangère

La notion de lien de dépendance n’est définie ni par la lettre de l’article 57 du CGI, ni par renvoi à un autre article du même Code.

Il s’agit dès lors d’une définition autonome, précisée, au fil du temps, par l’Administration et le juge de l’impôt.

A cet égard, l’Administration considère qu’une entreprise française est placée sous la dépendance juridique d’une entreprise étrangère, lorsque cette dernière possède une part prépondérante de son capital, ou la majorité absolue des suffrages susceptibles de s’exprimer dans ses assemblées. Il en va de même lorsque l’entreprise étrangère exerce, au sein de l’entreprise française, directement ou par personnes interposées, des fonctions comportant le pouvoir de décision (BOI-BIC-BASE-80-20, n°30, 2 septembre 2015).

Si la dépendance juridique ne peut être démontrée, il faut alors s’en tenir à la constatation d’une dépendance de fait, qui peut découler d’un lien contractuel ou des conditions dans lesquelles s’établissent les relations entre les deux entreprises (BOI-BIC-BASE-80-20, n°60, 2 septembre 2015).

L’histoire

Une société belge exerçant en France une activité d’embouteillage de boissons via un établissement stable, a conclu, à compter du 1er juillet 2009, un nouveau contrat de distribution avec une société suisse appartenant au même groupe.

La conclusion de ce contrat s’est accompagnée d’une restructuration des activités de la société belge.

A l’issue d’une vérification de comptabilité portant sur les exercices 2010 à 2013, l’Administration a entendu mettre en œuvre les dispositions de l’article 57, estimant qu’en acceptant les nouvelles conditions d’organisation et de fonctionnement résultant de la signature du contrat, la société belge via son établissement stable français avait consenti un avantage à la société suisse.

La décision de la CAA de Douai

Devant la Cour, le litige se cristallisait, pour l’essentiel, sur l’existence de liens de dépendance entre les sociétés belge et suisse.

Sur l’existence de liens de dépendance

L’Administration estimait n’être pas tenue d’apporter la preuve de l’existence d’un lien de dépendance, dès lors qu’elle considérait que la société suisse bénéficiait d’un régime fiscal privilégié.

Elle faisait valoir, à cet égard, que le taux d’IS applicable dans le canton de Berne où était établie la société était de 13 %, soit inférieur de plus de la moitié à celui dont elle aurait été redevable en France (nb : taux de droit commun de l’IS français de 33,1/3% à l’époque – rappelons également qu’aujourd’hui, un régime est considéré comme privilégié lorsque les impositions y sont inférieures de 40 % à celles qui auraient été supportées en France).

La CAA juge, sans surprise, que cette démonstration est insuffisante. On rappelle qu’il résulte d’une jurisprudence bien établie qu’une simple différence de taux (aussi significative soit-elle) entre l’IS français et l’IS du pays étranger considéré ne suffit pas à démontrer l’existence d’un régime privilégié (pour une illustration récente, voir CE, 29 juin 2020, n°433937 ou encore CE, 20 juillet 2022, n°442362 et 442366, CUIF).

Il en découle que l’Administration ne pouvait se prévaloir de la dispense de la démonstration de l’existence de liens de dépendance prévue lorsque l’entité étrangère est établie dans un Etat à fiscalité privilégiée.

Celle-ci faisait toutefois valoir, à titre subsidiaire, qu’il existait un lien de dépendance juridique entre les sociétés belge et suisse, dès lors qu’il s’agissait de sociétés sœurs, appartenant au même groupe.

Là encore, la Cour écarte l’argument comme non probant, en l’absence de liens capitalistiques entre les deux sociétés.

A cet égard, on notera que le juge de l’impôt ne retient, à notre connaissance, l’existence d’une dépendance juridique qu’en présence d’une détention capitalistique ou de l’exercice de fonctions comportant d’importants pouvoirs de décisions (voir notamment CE, 23 mai 1960, n°42218).

Enfin, la Cour juge que l’appartenance commune à un même groupe ne permet pas davantage d’établir, à elle seule, l’existence d’une dépendance de fait (en ce sens, voir CE, 18 mars 1994, n°68799-70814, jugeant que ne caractérise un lien de dépendance ni l’existence d’une simple communauté d’intérêt, ni une interdépendance économique).

Sur l’existence d’un acte anormal de gestion

Faute de pouvoir apporter la preuve de l’existence de liens de dépendance, l’Administration ne pouvait maintenir son redressement sur le terrain de l’article 57 du CGI. Aussi a-t-elle demandé devant la Cour une substitution de base légale pour se placer sur le terrain de l’acte anormal de gestion.

Elle arguait, à cet égard, que la nouvelle organisation du groupe découlant de la signature du contrat de 2009 s’était traduite par une diminution du chiffre d’affaires de l’établissement français, ainsi que de ses bénéfices, alors qu’il avait consenti d’importants investissements et que cette réorganisation ne s’était pas traduite par un transfert de risques. Elle estimait ainsi que l’acceptation du nouveau contrat et de la réorganisation qui s’en est suivie était donc contraire à son propre intérêt.

La CAA souligne toutefois que cette réorganisation assurait à l’établissement un volume de production minimale (garantie de 60 % de sa capacité de production pendant 3 ans – aucune garantie de volume de production n’étant prévue antérieurement à la réorganisation) dans un contexte de marché très concurrentiel (fermeture de plusieurs établissements du groupe en Europe) et écarte, à ce titre, l’existence d’un acte anormal de gestion – et donc la substitution de base légale.

  • Voir CAA Douai, 25 Août 2022 n°20DA01106
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Alice de Massiac

Alice a développé depuis plus de 20 ans une large expertise en accompagnant de grands groupes en France et à l’international, tant en conseil qu’en contentieux, anticipant les impacts dans […]

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Clara Maignan

Clara Maignan, avocat, a rejoint les équipes de Deloitte Société d’Avocats en 2011. Elle exerce au sein du Comité Scientifique Fiscal.