Peut-on librement utiliser, à d’autres fins, des informations obtenues de manière licite dans le cadre d’un audit d’acquisition (ou due diligence (DD) en anglais) ? C’est la question à laquelle répond la Chambre criminelle de la Cour de cassation dans son arrêt du 25 juin 2025 (Cour de cassation n° 24-80.903). Elle écarte ainsi la qualification d’abus de confiance dans le cadre d’une affaire concernant l’utilisation d’informations obtenues lors d’un audit d’acquisition : les informations avaient alors été utilisées à des fins de présentation d’une offre de reprise dans une liquidation judiciaire (offre, par ailleurs, acceptée par le tribunal de commerce).
Le contexte
Cette affaire débute lorsque le groupe Technicolor, depuis renommé Vantiva SA (actionnaire minoritaire, potentiel acquéreur) et le groupe Quinta Industries (cédant) signent des accords de coopération puis un accord d’investissement prévoyant l’acquisition par une filiale du groupe Technicolor de 17,5 % de Quinta Industries. Dans ce cadre, un audit en vue de l’acquisition est conduit.
Néanmoins, cinq ans plus tard, le futur acquéreur (Groupe Technicolor) se désiste de l’acquisition des titres en alléguant des difficultés financières.
Quelques mois plus tard, les sociétés du groupe Quintas Industries (ancien cédant) sont placées par jugement en liquidation judiciaire.
Une filiale du groupe Technicolor Entertainment Services France (ancien acquéreur) (TESF), présente alors des offres de reprise indissociables dans les différentes procédures des sociétés du groupe. Par la suite, le tribunal de commerce accepte ces offres de reprises et la filiale de TESF est désignée repreneur des fonds de commerce de quatre sociétés du groupe Quinta Industries.
Le groupe Quinta Industries finit par déposer plainte pour abus de confiance et escroquerie auprès du procureur de la République, estimant que les acquéreurs, devenus repreneurs, avaient obtenu une partie des actifs du groupe à vil prix, en raison des informations qu’ils avaient obtenus initialement.
Sur le délit d’escroquerie
La chambre criminelle écarte tant l’infraction d’escroquerie que celle d’abus de confiance.
L’article 313-1 du code pénal définit l’escroquerie par « le fait, soit par l’usage d’un faux nom ou d’une fausse qualité, soit par l’abus d’une qualité vraie, soit par l’emploi de manœuvres frauduleuses, de tromper une personne physique ou morale et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d’un tiers, à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge. »
La chambre criminelle de la Cour de cassation précise la notion de manœuvres frauduleuses.
En effet, la Cour écarte la caractérisation de manœuvres frauduleuses en rappelant que la dégradation rapide de la situation financière du groupe cible et liquidé ont empêché l’aboutissement des négociations et, par conséquent, les pourparlers et les audits ne pouvaient pas constituer des manœuvres frauduleuses, écartant ainsi le délit d’escroquerie.
Sur l’abus de confiance
Concernant l’abus de confiance, l’article 314-1 du code pénal définit l’abus de confiance comme « le fait par une personne de détourner, au préjudice d’autrui, des fonds, des valeurs ou un bien quelconque qui lui ont été remis et qu’elle a acceptés à charge de les rendre, de les représenter ou d’en faire un usage déterminé ».
Dans un premier temps, les juges de la Cour de cassation rappellent que des informations transmises dans le cadre d’un audit de pré-acquisition peuvent constituer un bien immatériel, susceptible de détournement. Position constante de la Cour de cassation depuis un arrêt du 22 mars 2017 (n° 15-85.929) dans lequel la chambre criminelle précisait que les informations relatives à la clientèle sont un bien incorporel, et que par « « bien quelconque » il faut entendre tout bien susceptible d’appropriation de nature corporelle ou incorporelle ». Elle confirmait alors l’abus de confiance s’agissant d’employés ayant détourné les informations relatives à la clientèle dans le but de les utiliser au profit d’une structure qu’ils avaient créé pour détourner la clientèle .
Dans un second temps, les juges rappellent que le préjudice se déduit du seul fait du détournement, une position constante (Cour de cassation n° 66-91.982, chambre criminelle, 12 avril 1967, publié au bulletin n° 115) et encore rappelée récemment (Cour de cassation no 22-83.689, chambre criminelle, 13 mars 2024).
S’il n’est pas contesté une utilisation des informations recueillies dans le cadre de l’audit ayant ultérieurement servi à la reprise de certains actifs de 5 des 6 sociétés du groupe, la cour écarte néanmoins le délit d’abus de confiance et précise la notion de détournement.
En effet, les juges précisent que, les informations n’ont pas été détournées parce que précisément elles ont bien été utilisées pour le but dans lequel elles avaient été remises, à savoir une acquisition des actifs de la société. Autrement dit, le simple fait que celle-ci se réalise dans le cadre d’une procédure de reprise, et non d’une convention de cession, n’est pas déterminant à cet égard.
Les juges n’ont donc pas retenu les arguments critiques développés par la partie civile selon lesquels les informations confiées lors de l’audit pré-acquisition ne pouvaient être utilisée que pour le projet initial d’acquisition, malgré l’avantage certain que cela a conféré au repreneur au détriment des autres candidats dans le cadre de l’offre de reprise.
Bien que l’on puisse déplorer que l’acquéreur n’ait pas finalisé l’achat avant l’ouverture d’une procédure collective concernant le groupe cible, on ne peut lui reprocher d’avoir attendu d’observer l’évolution de la situation financière de la société cible avant de faire une offre de reprise, si cela devenait possible.
Cela laisse clairement entendre que la solution des juges de la Cour de cassation est liée aux faits de l’espèce : tout repose sur l’avancement des négociations et des pourparlers au moment concerné.
Enseignement
Cet arrêt envoie un message rassurant aux professionnels du restructuring en ce qu’il ne condamne pas, par principe, l’utilisation qui est faite des informations obtenues à l’occasion d’un audit de pré-acquisition pour présenter ultérieurement une offre de reprise lorsque la cible est mise en liquidation judiciaire.
Ajoutons que la solution est particulièrement heureuse car si l’abus de confiance avait été retenu, cela aurait conduit à interdire un potentiel acquéreur, entré en négociations avec une cible, à présenter une offre de reprise lors de sa liquidation. Ce qui serait alors contradictoire avec l’objectif poursuivi par les procédures de reprise.
