Le Conseil d’État précise les règles de dévolution de la charge de la preuve dans l’hypothèse où l’Administration met en évidence l’octroi d’un financement sans intérêt par une société française à un entité liée établie à l’étranger, constitutif d’un avantage « par nature » pour l’application des dispositions de l’article 57 du CGI.
Rappel
En application des dispositions de l’article 57 du CGI, l’Administration bénéficie d’une présomption de l’existence d’un transfert indirect de bénéfices par une société assujettie à l’IS en France vers l’étranger à condition qu’elle ait établi :
- l’existence de liens de contrôle ou de dépendance entre la société française et l’entreprise située hors de France. Par exception, la condition de dépendance ou de contrôle n’est pas exigée lorsque le transfert s’effectue au profit d’entreprises établies dans un pays à fiscalité privilégiée ou un ETNC ;
- et l’octroi d’avantages consentis par cette société à cette entreprise.
Ces avantages peuvent être de 2 sortes :
- Avantages par comparaison : par voie de majorations ou de minorations de prix d’achat ou de vente ;
- Avantages par nature : « cas d’avantages qui, par nature, déclenchent le jeu de la présomption de transfert indirect de bénéfices, sans qu’il soit besoin de procéder à une quelconque forme de comparaison avec des opérations réalisées par des entreprises comparables exploitées normalement » (analyse du rapporteur public Romain Victor dans ses conclusions sous CE, 19 septembre 2018, n°405779, Sté Philips France). A cet égard, le Conseil d’État juge de longue date que constitue un avantage « par nature » l’octroi d’un financement sans intérêt (CE, 2 juin 1982, n°23342, Cie générale de radiologie ; CE, 9 novembre 2015, n°370974, Sté Sodirep textiles SA-NV).
La société contrôlée peut toutefois renverser la présomption de transfert indirect de bénéfices hors de France, si elle est en mesure d’établir l’existence d’une contrepartie obtenue justifiant l’octroi de l’avantage litigieux.
L’histoire
Au titre des exercices 2011 à 2014, une société française a consenti des avances non rémunérées à ses filiales roumaines. Ces avances ont été financées, pour partie au moyen d’emprunts contractés par la société française, et pour partie sur ses fonds propres.
L’Administration a considéré que ces renonciations à recettes devaient s’analyser comme des transferts indirects de bénéfices à l’étranger au sens des dispositions de l’article 57 du CGI.
Pour déterminer le quantum de la réintégration, l’Administration a appliqué aux avances litigieuses les taux d’intérêt moyens auxquels la société française s’était elle-même endettée.
Les juges d’appel ont accepté de faire varier le montant de la réintégration en fonction de l’origine des fonds, en distinguant les avances financées par fonds propres et celles financées par emprunt.
Dans le 1er cas, ils ont admis l’application des taux moyens des avances sur titres pratiqués par la Banque de France, tandis que dans le 2nd, ils ont confirmé le recours par l’Administration aux taux supportés par la société française sur les emprunts externes.
La décision du Conseil d’État
Devant le Conseil d’État, les débats se sont déplacés sur le terrain de la dévolution de la charge de la preuve.
Le Conseil d’État rappelle d’abord que l’octroi d’un financement sans intérêt constitue un avantage « par nature » pour l’application des dispositions de l’article 57 du CGI.
Il pose ensuite le principe suivant : lorsque l’Administration constate qu’un prêt ou qu’une avance a été consenti sans intérêt par une entreprise française à une entreprise étrangère qui lui est liée, il appartient alors au contribuable de démontrer que le taux d’intérêt qu’entend retenir l’Administration pour arrêter le montant du transfert indirect de bénéfices à l’étranger excède le taux d’intérêt que l’entreprise étrangère emprunteuse aurait pu obtenir d’un prêteur indépendant dans les conditions du marché.
A défaut, pour combattre la présomption de transfert indirect de bénéfices à l’étranger, le contribuable doit apporter la preuve que les avantages consentis ont été justifiés par l’obtention de contreparties.
Au cas d’espèce, le Conseil d’État relève que la CAA de Bordeaux s’est bornée à juger, s’agissant des avances financées par la société française sur ses fonds propres, qu’il ne résultait pas de l’instruction que les taux de rémunération qu’elle aurait pu obtenir d’un établissement financier ou d’un organisme financier auprès duquel elle aurait placé, dans des conditions analogues, des sommes d’un montant équivalent, auraient été supérieurs aux taux moyens des avances sur titres pratiqués par la Banque de France.
Il juge ainsi qu’en s’abstenant de faire peser sur la société la charge de prouver le caractère exagéré des taux d’intérêt retenus par l’Administration par rapport à ceux que ses filiales roumaines auraient pu obtenir d’un prêteur indépendant dans les conditions du marché, la CAA de Bordeaux a commis une erreur de droit au regard des règles de dévolution de la charge de la preuve.
Aussi, il casse la décision, sans se prononcer sur les modalités de détermination du quantum de la réintégration au cas d’espèce, et renvoie l’affaire pour jugement au fond à la CAA de Bordeaux.