L’injonction de procéder aux dépôts modificatifs des actes déposés lors de la constitution d’une société dure… la durée de la personne morale

La Chambre commerciale de la Cour de cassation, contredisant les juridictions du fonds, écarte toute prescription en matière de dépôt des actes, délibérations ou décisions modificatives des pièces déposées lors de la constitution d’une personne morale au registre du commerce et des sociétés (Cass. com., 25 janv. 2023, no 21-17592, F–B).

Au sens de l’article L 123-5-1 du Code de commerce, tout dirigeant de personne morale a pour obligation de procéder au dépôt des pièces et actes au registre du commerce et des sociétés.

Se fondant sur cet article, des associés d’une société ont saisi le président du Tribunal de Commerce pour obtenir que des statuts modifiés par le passé soient enfin publiés.

Pour contrer cette action qui le visait directement, le dirigeant de la personne morale a opposé un argument qui a pu lui sembler imparable : la modification des statuts non publiée avait eu lieu en 1993 et le délai de prescription attaché à l’action des demandeurs était donc acquis au jour de la demande.

Cet argument a effectivement prospéré devant la Cour d’Appel entrainant un pourvoi des associés à l’origine de l’action, et la cassation de cette décision des juges du fond.

La base textuelle

Le pourvoi était d’ailleurs mal fondé car les demandeurs partaient également du principe qu’il y avait bien un délai de prescription. Ils soutenaient, en effet, que l’article L.110-4 du Code de commerce, siège de la prescription, ne pouvait pas s’appliquer en l’espèce, raisonnement écarté par la Cour de cassation.

Néanmoins, elle écarte également l’application, retenue par la Cour d’appel, de l’article 2224 du Code civil établissant que « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ». Pour cela, elle invoque les articles L.123-5-1 et R. 123-105 du Code de Commerce qui prévoient que les pièces déposées lors de la constitution d’une personne morale doivent être déposées au registre du commerce et des sociétés pour être portées à la connaissance du public.

Cela implique pour la Cour que l’action intentée par les demandeurs ne soit pas « soumise au délai de prescription prévue par l’article 2224 du code civil » pour les actions personnelles ou mobilières.

L’information des tiers, argument principal de la décision

Ce texte est écarté car la publication au registre du commerce et des sociétés a pour objectif l’information des tiers.

Sur le terrain de la technique juridique, la Cour de cassation apporte ainsi une précision importante (en pratique) puisqu’elle juge que le fondement de la prescription de l’article 2224 du code civil, de 5 ans pour les actions personnelles ou mobilières, est justifié par la nature individuelle de l’intérêt protégé (une action personnelle ou mobilière). Or, en l’espèce, la publication des modifications des actes sociétaires publiés au registre du commerce et des sociétés, poursuit un intérêt général d’information du public.

Cet intérêt général serait tenu en échec par la prescription du code civil, qui se retournerait contre la sécurité juridique.

En effet, si un délai de prescription était reconnu pour l’action ouverte, à tout intéressé, par l’article L.123-5-1 du Code de commerce, les dirigeants des personnes morales pourraient, volontairement ou par négligence, priver les tiers d’information à l’issue du délai de prescription d’autant plus facilement que les tiers ne pourraient connaître facilement l’existence des modifications d’actes comme les statuts des sociétés.

Par sa décision, la Cour de cassation vient donc favoriser la sécurité juridique tout en renforçant, de manière bienvenue, la portée de l’obligation de publication de certains actes au registre du commerce et des sociétés, et, par conséquent, la force des obligations pesant sur les dirigeants.

Edouard Blémont Mouren

Corporate M&A lawyer.

Photo d'Arnaud Raynouard
Arnaud Raynouard

Professeur des Universités à l’Université Paris-Dauphine, Arnaud Raynouard anime le Comité Scientifique Juridique du cabinet Deloitte Société d’Avocats. Agrégé en droit privé et sciences criminelles, et diplômé en gestion, Arnaud […]