Le cadre inclusif de l’OCDE a publié le 19 février dernier son rapport sur le Montant B du Pilier 1 relatif à la simplification des règles de prix de transfert dans le cadre des activités de distribution et de marketing de routine.
Pour mémoire, le Pilier 1 est composé de 3 ensembles de règles :
- Les règles relatives au Montant A qui visent à établir une nouvelle règle de partage de la base taxable des multinationales de grande envergure entre les États,
- Les règles relatives au Montant B qui visent à instaurer une rémunération standard pour les activités de distribution et marketing de routine,
- Les règles relatives aux Règlements des différends.
Au cours de l’année écoulée, les principaux éléments de conception du Montant B ont fait l’objet de plusieurs consultations publiques.
C’est dans ce contexte que l’OCDE a publié le 19 février 2024 un rapport (d’une cinquantaine de pages) sur le Montant B proposant aux pays une approche simplifiée et rationalisée de l’application du principe de pleine concurrence aux activités de distribution et de marketing de routine. En pratique, il s’agit de fournir des taux de rémunération « standard » pour ces activités, ce qui permettrait d’éviter à la fois la réalisation de benchmarks et les débats sans fin avec les administrations fiscales quant à la pertinence de ceux-ci.
Les objectifs affichés sont donc la réduction des litiges en matière de prix de transfert, des coûts de mise en conformité et le renforcement de la sécurité juridique tant pour les administrations fiscales que pour les contribuables. Ces mesures devraient bénéficier tout particulièrement aux pays « à faible capacité » (notamment localisés en Afrique, Asie ou Amérique du Sud qui disposent de moins de ressources et de données). Il convient de relever que l’Inde a émis un certain nombre de réserves au contenu du rapport. Par ailleurs, la Nouvelle Zélande a d’ores et déjà indiqué qu’elle ne comptait pas mettre en œuvre le montant B du Pilier 1.
Le contenu du rapport a été intégré dans les Principes directeurs de l’OCDE applicables en matière de prix de transfert en tant qu’annexe au chapitre IV. Il est important de noter que ce rapport ne remet pas en cause les principes généraux de détermination des Prix de transfert.
Périmètre
Notons tout d’abord que l’application du montant B n’est pas subordonnée à un seuil de chiffre d’affaires et concerne donc potentiellement toutes les multinationales.
Certains types de transaction sont en revanche exclues de son champ.
Le rapport définit explicitement celles qui sont concernées : (chapitre 3) :
- les opérations de commercialisation et de distribution (achat/revente)…
- …de biens corporels (à l’exception de certains produits de base listés dans le rapport – hydrocarbures, minéraux, produits agricoles, etc.)…
- …auprès d’une ou plusieurs entreprises associées, pour les distribuer en gros à des tiers (à l’exception de clients finaux)…
- …réalisées par des distributeurs, des agents commerciaux ou des commissionnaires.
De plus, le prix de ces transactions doit pouvoir être déterminé de manière unilatérale (par opposition à des transactions couvertes par les MAP), et l’opérateur testé ne doit pas présenter de risques économiques significatifs (dépenses d’exploitation annuelles comprises entre 3 % et 20/30 % de ses recettes nettes annuelles). Ce ratio devrait être basé sur une moyenne pondérée de 3 ans.
Seule la distribution/commercialisation de biens corporels serait dans le périmètre à l’exclusion de la distribution/commercialisation de biens incorporels et de services expressément exclus du champ d’application du montant B.
Mode opératoire
Le rapport fournit un cadre concernant la mise en œuvre pratique de l’approche simplifiée et rationalisée (chapitres 4 et 5).
Ainsi, le chapitre 4 précise clairement que la méthode transactionnelle de la marge nette constitue la base du mécanisme de fixation des prix de l’approche simplifiée et rationalisée, tout en acceptant le recours à la méthode du prix comparable sur le marché libre (CUP) lorsque celle-ci est plus pertinente.
Le chapitre 5 donne les clefs de détermination de la rémunération de pleine concurrence par application de l’approche simplifiée.
Ainsi, une matrice de fixation des prix, fournie par l’OCDE, établit le niveau « cible » de marge d’exploitation devant rémunérer une transaction donnée. Cette matrice sera remise à jour tous les 5 ans.
Ce niveau varie (de 1,5 % à 5,5 %) en fonction de plusieurs critères, notamment :
- le secteur d’industrie auquel appartient la partie testée (classification en 3 types de groupes industriels) ; et
- l’intensité factorielle de la partie testée, qui est calculée à partir de deux ratios : intensité des actifs d’exploitation / CA et intensité des charges d’exploitation / CA (segmentation en 5 catégories).
Pour pouvoir appliquer le taux adapté de la matrice de fixation des prix, les entreprises devront retenir l’approche suivante :
- Etape 1 : déterminer le groupe industriel pertinent de la partie testée sur les 3 disponibles.
- Etape 2 : déterminer la classification de l’intensité factorielle de la partie testée parmi les 5 possibles. Cette classification doit être calculée sur la base d’une moyenne pondérée des 3 exercices précédents.
- Etape 3 : identifier la fourchette du segment de tarification qui correspond à l’intersection entre le groupe sectoriel et la classification de l’intensité factorielle. Le rendement dérivé de l’application de cette étape produit une fourchette égale au pourcentage de rentabilité des ventes obtenu à partir de la matrice des prix, avec une flexibilité de plus ou moins 0,5 %.
Le résultat de l’application de la matrice de fixation du prix devra faire l’objet d’un ajustement complémentaire à la hausse dès lors que la partie testée est située dans un pays à faible capacité.
Le rapport présente par ailleurs les exigences en matière de documentation pour les opérateurs qui souhaitent démonter leur éligibilité à l’approche simplifiée et rationalisée (chapitre 6).
Enfin, le rapport traite des interactions entre le Montant B d’une part, et la sécurité juridique en matière fiscale et l’élimination de la double imposition (procédure amiable/ procédure d’arbitrage) d’autre part (chapitre 8).
Options laissées aux Pays
Les pays peuvent choisir d’appliquer le Montant B pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2025. Pour les pays qui choisissent de l’appliquer, il sera considéré comme fournissant un résultat de pleine concurrence.
Deux options de mise en œuvre leur sont proposées :
- donner la possibilité aux contribuables de retenir l’approche simplifiée et rationalisée ;
- imposer l’application de cette approche par leur administration fiscale et les parties testées.
Comme toutes les approches optionnelles des principes directeurs en prix de transfert de l’OCDE, le résultat issu de l’approche simplifiée retenue par un pays n’est pas contraignant pour le pays de la contrepartie. Cependant, les pays membres du Cadre Inclusif s’engagent à respecter le résultat de l’approche simplifiée lorsque cette approche a été appliquée par un pays à faible capacité (liste à venir avant fin mars 2024) et à éviter la double imposition.
L’OCDE continue par ailleurs de réfléchir au sujet sur les activités de distribution hors routine (attendue pour fin mars 2024 également).
L’avis du praticien : Julien Pellefigue
Si les règles de fixation des prix de transfert sont un compromis entre la sécurité juridique et la conformité avec la réalité économique, le montant B est clairement un mouvement en direction de la sécurité juridique. En proposant des taux de rémunération « standard », il s’éloigne clairement de l’analyse économique de chaque situation particulière. Le principal facteur explicatif du niveau de profit normal d’une activité dans un marché donné est, en effet, l’intensité concurrentielle qu’on observe sur ce marché, qui n’est pas retenue comme critère. Dans l’hypothèse où le montant B serait largement accepté par les pays en développement (pour lesquels il est souvent très difficile de faire des benchmarks faute de base de données d’entreprises locales), cela apportera un bénéfice certain. Les multinationales pourront bénéficier d’une réelle amélioration en termes de sécurité juridique.